Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, vendredi matin, deux Rafale de l’armée française ont détruit un dépôt logistique du prétendu État islamique, dans le nord-est de l’Irak, près de Mossoul, conformément à ce qu’avait déclaré la veille le Président de la République lors de sa conférence de presse.
Le même jour, comme le prévoit la Constitution, les présidents de l’ensemble des groupes parlementaires ont été convoqués à la Conférence des présidents de ce matin, et le décret du lundi 22 septembre a fixé l’ordre du jour de cette séance, au cours de laquelle les membres de la représentation nationale sont informés de la situation.
D’autres survols d’avions de chasse ont eu lieu et nos forces aériennes sont pleinement engagées dans ce théâtre d’opération, le troisième pour la France : après le Mali, la Centrafrique, nos soldats combattent en Irak aux côtés des Américains, mus par la conférence internationale sur l’Irak dont Paris est à l’origine, tandis que les États-Unis ont hâté leurs préparatifs militaires, jusqu’à aller bombarder l’une des bases du mouvement djihadiste Haraka dans la nuit de lundi à mardi.
Les États-Unis sont présents dans la région depuis plus longtemps, malgré leur départ du pays en 2006, dans les circonstances que chacun connaît et sur lesquelles je ne m’étendrai pas.
Non qu’il serait inutile de rappeler la responsabilité de nos alliés américains dans le délabrement des structures politiques et sociales de l’Irak ni de s’attrister sur le triste état de la Mésopotamie, abîmée par l’ignorance des peuples – je parle des peuples occidentaux, cela va de soi – et le mépris de leurs commis.
Je ne le ferai pas, car ce débat est derrière nous. Nous sommes confrontés à une menace qui dépasse toutes les autres, une menace à laquelle il est impérieux de répondre, rapidement et en coordination avec l’ensemble des membres de la coalition internationale rassemblée par le Secrétariat d’État américain.
L’heure n’est plus aux rancunes ni aux faux-semblants. Nous devons à tout prix stopper la progression des combattants du djihadisme international, annihiler leurs capacités de nuire, par tous les moyens, y compris psychologiques : les nommer sous le vocable Daech pour tenter de les couper de leurs bases syriennes en est un.
L’État islamique est politiquement un leurre destiné à figurer l’affrontement avec les pays occidentaux, une provocation dont l’objet est de faire croire à un illusoire pied d’égalité dans la belligérance : un État se confronte à d’autres États.
En outre, l’État islamique est juridiquement un oxymore : « l’État islamique » n’existe pas en tant que tel. Premièrement, parce que la théorie de l’État est étrangère à l’islam politique : le Dar-al-lslam, par définition, ne connaît pas de frontières et pas de frontières signifie pas d’État. D’ailleurs, le prétendu État islamique entend maintenant abolir ces frontières dans et hors du Moyen-Orient.
Deuxièmement, parce que l’idée de « terre conquise » n’est qu’un avatar grossier de celle de « terre promise » et que le prétendu « califat », proclamé en juin 2014, ne saurait être comparé au gouvernement d’une communauté humaine avant tout constituée de mercenaires.
L’État islamique est une mystification. Les États doivent démontrer que les hordes de « combattants » radicaux qui sévissent dans cette région ne sont pas les plénipotentiaires d’un régime institutionnalisé. Nous y aide, d’ailleurs, la violence du message publié par le porte-parole de ce groupe, le lundi 22 septembre, qui, s’il n’était pas absolument sinistre, serait risible par le ridicule de son emphase. La barbarie est clairement revendiquée et, le lendemain, Hervé Gourdel était enlevé et menacé de mort en Algérie par un groupe dénommé « Jund al-Khalifa » dont le chef est un affidé du prétendu État islamique. La guerre contre le fanatisme sunnite se jouera donc des frontières.
Si les deux pays membres de la coalition internationale participant directement aux opérations de combat – la France et les États-Unis – interviennent en Irak à la demande de Bagdad, intervenir en Syrie dans ces conditions est évidemment impossible.
Cependant, comme l’a estimé le ministre des affaires étrangères à la veille de l’ouverture des débats à l’Assemblée générale des Nations unies, une interprétation extensive de l’article 51 de la Charte pourrait permettre juridiquement d’agir en Syrie. Ce point doit être précisé, monsieur le Premier ministre.
Alors que les États-Unis viennent de livrer leurs premiers raids aériens contre l’État islamique en Syrie, nous interdisons-nous de le faire – ce qui ne signifie pas que nous devions abandonner notre capacité de décision autonome, essentielle dans cette partie du Moyen-Orient et indispensable du point de vue politique et militaire ?
Politique, car les Français et les Américains peuvent ne pas utiliser les mêmes procédés pour saper la base sociologique des djihadistes.
Militaire, ensuite, pour des raisons évidentes lorsque l’on se souvient du revirement de l’administration présidentielle américaine renonçant, il y a plus d’un an, à intervenir militairement en Syrie.
La lutte contre le terrorisme international, aujourd’hui, diffère de celle menée après les attentats du 11 septembre en ce qu’elle est conduite plus étroitement avec les pays arabes, dont la diplomatie s’est clarifiée.
La frappe américaine en Syrie a été menée conjointement avec cinq alliés régionaux des États-Unis : l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, la Jordanie, le Qatar et le Bahreïn.
La question de la place de l’Iran est évidemment essentielle.
La Turquie, après la libération récente de ses otages, semble vouloir ne plus louvoyer même si elle négocie encore sa participation à la coalition internationale alors que la question de la sphère politique du Kurdistan doit être posée à l’échelle régionale et que la réduction du flux de réfugiés syriens doit être une priorité.
Il faut se féliciter de la clarification turque sans négliger la nécessité de clarifier les conditions de l’expulsion, hier, des trois djihadistes présumés en provenance de Syrie ayant transité par Istanbul, ainsi que la nature des responsabilités des autorités turques dans cette lamentable affaire.