Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 24 septembre 2014 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'intervention des forces armées en irak et débat sur cette déclaration

Manuel Valls, Premier ministre :

Le terrorisme s’est modifié. Nous devons manier ce concept avec intelligence en raison des répercussions dans nos propres sociétés, en France et en Europe. Mais le changement fondamental de la nature de la menace doit nous obliger à tout faire pour y faire face.

Je remercie François de Rugy pour le soutien de son groupe, certes avec ses interrogations, et j’appuie ses propos sur l’islam de France. S’agissant de l’accueil des réfugiés, je veux lui dire que nous continuons à en accueillir, ainsi que cela a été souvent rappelé ici même par Laurent Fabius et par moi-même il y a un instant.

Pour ce qui est de la coalition, que d’autres ont évoqué, il faut l’élargir. Les Européens doivent se mobiliser davantage. La Grande-Bretagne s’exprime dans ce sens. J’ai évoqué hier ces questions avec la chancelière d’Allemagne. Pour ma part, j’ai l’impression – même s’il revient à ce pays de s’exprimer souverainement – que l’évolution que l’on notait depuis quelques années s’est confirmée. Non seulement l’Allemagne veut apporter un soutien financier, mais également participer à un certain nombre d’actions.

Quant à la présence des pays arabes – Émirats Arabes unis, Qatar, Jordanie, Arabie Saoudite –, elle est évidemment essentielle. Les discussions qui ont eu lieu entre le Président de la République, les différents ministres, moi-même avec le roi de Jordanie – l’un d’entre vous y a fait allusion –, et avec les autorités saoudiennes – présentes également en France – ont permis, me semble-t-il, de créer les conditions de cette coalition.

Je remercie aussi M. Charasse de son soutien. Il a raison s’agissant de la responsabilité – je l’ai évoquée – des États-Unis d’Amérique dans la situation de l’Irak. Aujourd’hui, car il ne s’agit pas de la même administration et parce que dix ans se sont écoulés, il faut dépasser les polémiques et agir ensemble, à condition que chacun tire les leçons de ce passé. À cet égard – François Fillon a également évoqué ce sujet –, c’est nous qui, en Afrique, avons pris le leadership au Sahel, et les Américains nous ont aidés en matière de renseignement et de soutien par les drones pour assurer la surveillance nécessaire. De même, si les Américains détiennent un leadership en Irak pour les raisons qui ont été évoquées par M. Vigier, nous les aidons avec nos propres objectifs – dont je dirai un mot – en toute autonomie.

On ne peut pas faire remarquer que le monde change, que le leadership n’est plus celui que l’on connaissait, que nous prenons nos propres responsabilités en Afrique, et nous mettre en cause – cela n’a pas été le cas dans cette enceinte aujourd’hui, mai on a pu l’entendre à l’extérieur – en expliquant – M. Asensi l’a fait à sa manière – que nous courrions derrière les Américains. Ces derniers sont des alliés. L’Amérique est un grand pays. Nous avons des objectifs communs et nous partageons des valeurs. Mais c’est la force de la France – il n’y a aucun changement à cet égard, monsieur le député – que de garder – c’est sa tradition – son indépendance, sa force, son autonomie. Si nous sommes intervenus en Afrique, c’est parce que cela relevait de notre responsabilité. À chaque fois, nous avons agi dans le cadre international.

Évitons les caricatures que l’on entend souvent selon lesquelles tel ou tel gouvernement suivrait les États-Unis. Je me souviens d’un moment d’unité quasi nationale lorsque Dominique de Villepin s’exprimait – je l’évoquais tout à l’heure – au nom de la France au Conseil de sécurité des Nations unies, Jacques Chirac ayant pris la position que nous connaissons. Les quelques rares députés qui soutenaient à l’époque l’intervention des États-Unis, nous reprochent aujourd’hui d’intervenir, alors que le cadre et l’histoire sont tout autres et que nous le faisons à la demande des autorités irakiennes. Les contradictions de quelques-uns restent leurs contradictions. Pour ma part, je me réjouis, comme il y a dix ans, de l’unité qui prévaut.

Lorsque François Mitterrand a décidé l’intervention de la France après celle du régime de Saddam Hussein au Koweït, l’unité était également très grande. Les situations – par trois fois en Irak –, n’obéissent pas aux mêmes règles et au même contexte. Essayer de tirer une ligne droite entre ces trois moments revient à faire fausse route et à se tromper sur les engagements et les intentions de la France.

S’agissant de la conduite des opérations, nous gardons notre autonomie. Il n’y a pas de commandement intégré, nous choisissons nous-mêmes les actions que nous menons : choix des cibles et du moment. Le ministre de la défense, le général de Villiers, chef d’état-major de nos armées, sont prêts à donner les explications nécessaires aux commissions, ce qu’ils ont déjà commencé de faire aujourd’hui.

Pour ce qui est de l’information du Parlement via la délégation parlementaire pour le renseignement – M. Charasse a évoqué la question –, je précise que cette délégation créée en 2008 au cours de la précédente législature a fait la preuve de sa pertinence et de son utilité pour traiter des questions de renseignement – c’est évidemment dans l’intérêt du Parlement. C’est la raison pour laquelle le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a choisi de soutenir l’élargissement de ses compétences en 2013. La délégation a désormais le pouvoir de convoquer les directeurs des services et est en capacité de travailler sur le plan national d’orientation du renseignement. Je suis donc tout à fait favorable à ce qu’elle soit régulièrement informée de notre stratégie en Irak et en Syrie avec le degré du détail qu’autorise son statut. S’il serait regrettable de se focaliser sur cette seule difficulté en laissant de côté une vision d’ensemble, j’approuve évidemment la décision de son président de convoquer le directeur général des services intérieurs et le directeur central de la police des airs et des frontières pour tirer les enseignements de l’affaire de Marseille.

Nous vivons dans une démocratie. Il est normal que l’on puisse s’interroger sur ce qui n’a pas fonctionné avec les autorités turques – l’origine du problème est là – et c’est ce qui explique pourquoi les choses se sont passées ainsi.

Il n’y a absolument rien à cacher. Ce sont là des interrogations légitimes des parlementaires et de nos concitoyens. Là aussi, transparence, vérité et responsabilité doivent s’imposer.

Monsieur Asensi, je partage votre constat quant au désastre de la politique menée par l’ancien Premier ministre irakien, M. Maliki, qui est sans aucun doute l’une des raisons de ce qui se passe depuis quelque temps en Irak. Il faut maintenant parier sur les nouvelles autorités irakiennes, le président Massoum et le Premier ministre al Abadi – c’est précisément la raison du déplacement en Irak du Président de la république. Vous avez raison de souligner que nous n’avons aucune responsabilité dans le chaos irakien. Pouvons-nous pour autant demeurer passifs ? Un grand nombre d’entre avez répondu par la négative. Il est de notre devoir d’assumer en Irak nos responsabilités.

Pour ce qui est du Qatar, évoqué par M. François Fillon et – ce n’est pas dévoiler un secret que de le dire – par les présidents de groupes et de commissions aujourd’hui à midi, je retiens deux faits.

Tout d’abord, le Qatar a participé, le 19 septembre, à la conférence de Paris sur l’Irak et en a approuvé les conclusions, qui demandent à tous les États de lutter contre le financement du terrorisme. Le Qatar devra bien appliquer ce qu’il a approuvé.

Cet État a également décidé de s’engager sur le terrain en participant ces derniers jours aux frappes. La communauté internationale est engagée dans la lutte contre les financements de Daech et je suis favorable, monsieur Fillon, à la plus grande transparence pour ce qui concerne toutes les formes de financement de l’islamisme radical et des réseaux terroristes. Nous pouvons nous retrouver tous sans ambiguïté ni aucune arrière-pensée lorsqu’il s’agit de dénoncer ce qui pourrait, aujourd’hui ou demain, alimenter le terrorisme. Ces pays, je le répète, ont décidé de participer à cette coalition.

Monsieur Le Roux, je salue la justesse de votre analyse du contexte politique du Moyen-Orient. J’approuve pleinement votre formule, qui fait écho à ce qui a pu être dit dans le passé : nous ne sommes pas dans un choc de civilisation, et surtout pas dans un choc entre l’Orient et l’Occident, entre les chrétiens et les musulmans. Les premières victimes de ce terrorisme sont ceux qui vivent là-bas, à commencer par les musulmans, les chrétiens et d’autres minorités. Il est très important de le dire, car on voit très bien les tensions que cette situation peut créer dans notre société et combien certains peuvent s’emparer de ces sujets pour jeter les uns contre les autres.

Vous avez eu raison d’insister, monsieur Fillon, sur la nécessité des aides sous forme de livraisons d’armes et de formation. S’il faut faire plus, nous le ferons. Les peshmerga et les forces de sécurité irakiennes doivent en bénéficier. Il faut, je le répète, souhaiter que d’autres pays européens se mobilisent à nos côtés pour accorder ces soutiens et je vous remercie de votre appel à la mobilisation européenne – tout en rappelant avec immodestie que j’ai évoqué ces questions dans mon discours de la semaine passée. L’Europe est en effet à la croisée des chemins, tant sur le plan économique que pour ce qui concerne sa responsabilité, si elle ne veut pas – pardonnez-moi cette formule lapidaire –« sortir de l’histoire ». Dans un monde qui change, face à ces pays émergents et ces évolutions démographiques et économiques, l’Europe doit peser partout dans le monde, y compris sur les questions diplomatiques et de défense. C’est l’honneur de la France que de peser et de s’engager, mais il faut que l’Europe agisse dans ce domaine, y compris sur le plan budgétaire, en tenant compte de l’engagement financier des uns et des autres.

Vous avez raison, monsieur Le Roux, d’évoquer la continuité des théâtres – Mali, Libye, Syrie et Irak – où nous sommes confrontés à une menace que nous retrouvons et qui nous oblige à avoir toujours à l’esprit, comme le Président de la République, qui a encore évoqué cette question lors de l’assemblée générale des Nations unies, non seulement l’intervention militaire, mais aussi ce qui suit. Cela vaut pour le Mali, où la situation reste fragile, comme pour l’Irak et pour la Libye, dont nous savons la situation et où nous connaissons les risques en termes de terrorisme, tant pour nos intérêts que pour ce que nous avons réussi à reconstruire au Mali ou pour des pays amis, comme la Tunisie.

Oui, monsieur Fillon, tout doit être entrepris pour sauver notre compatriote, M. Gourdel. J’ai également une pensée évidemment pour Serge Lazarevic, qu’il ne faut pas oublier. Nous coopérons très étroitement avec l’Algérie. Le Président de la République s’est entretenu avec le Premier ministre algérien, M. Sellal, et nous faisons confiance aux services algériens, dans une situation très difficile et qui suscite de grandes inquiétudes pour notre compatriote et pour sa famille, mais aussi pour l’Algérie, car nous savons ce que cette situation peut représenter pour elle. S’il est en effet un pays qui a vécu la guerre civile et ces années noires du terrorisme, c’est bien l’Algérie, qui l’a combattu en se sentant peut-être parfois un peu seule. Nous faisons donc confiance aux Algériens pour tout faire pour que nous puissions récupérer notre compatriote.

Aujourd’hui, il n’y a ni droite, ni gauche : il y a la République, il y a la France, mais il y a quand même des questions.

Vous avez justement souligné qu’il fallait élargir la coalition – je ne reviens pas sur les propos que je viens de tenir à cet égard. Pour ce qui est du recours au Conseil de sécurité des Nations unies, je rappelle que se tient aujourd’hui même une réunion de ce conseil spécialement consacrée aux filières de combattants étrangers.

La Russie et la Chine ont participé, le 19 septembre, à la conférence de Paris sur l’Irak. Il faut avancer. Il faut éviter, comme le démontre l’expérience du passé, tout ce qui serait susceptible de bloquer un processus. Tout doit être fait pour dialoguer avec les grands pays membres du Conseil de sécurité, comme la Russie, qui a ses propres intérêts stratégiques dans la région, et l’Iran, avec qui un dialogue existe – le Président de la République a rencontré hier le président iranien. Là encore, il y a des questions légitimes. Sans reprendre ici l’idée d’une grande conférence internationale, je répète qu’il faut avancer pour que le dialogue soit présent, car il y a un ennemi, un adversaire qui représente un vrai danger pour ce que nous sommes et pour nos valeurs universelles : Daech, cette organisation terroriste. Le but de notre action, de nos avions, est de l’affaiblir et de la réduire, et cela sans fixer de durée.

Je vous ai exposé la décision française à propos de la Syrie : nous aidons l’opposition modérée et agissons dans le cadre de notre autonomie stratégique et tactique. Nous pourrions avoir un long débat sur la Syrie, en remontant aux printemps arabes. Il faut aussi considérer – vous qui avez été Premier ministre, monsieur Fillon, vous vous souvenez bien de ces sujets difficiles et délicats – ce qui s’est passé en Libye, notamment le fait que la Russie a pu avoir, à tort ou à raison, le sentiment qu’on ne respectait pas les résolutions du Conseil de sécurité auxquelles elle avait donné son accord : cela a joué aussi sur son attitude à propos de la Syrie. Vous connaissez bien, je le répète, ces questions complexes.

Nous avons pensé, avec le Président de la République, qu’après la découverte de l’utilisation d’armes chimiques, la France devait proposer une solution. Elle n’a pas été retenue, et cela a sans doute pesé sur le cours des choses, même si la situation en Syrie nous oblige à éviter les idées simplistes et caricaturales.

Quant au risque de représailles, ce n’est pas, je le répète, notre intervention qui nous y expose en soi : nous sommes menacés quelles que soient nos actions sur le terrain en Irak. Ils nous visent pour ce que nous sommes, non pas seulement pour ce que nous faisons.

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