Le projet de loi a eu un long parcours et suscite une très forte attente. Les grands objectifs que vous avez inscrits dans cette loi, madame la ministre, en font un tournant dans l'histoire de notre politique énergétique. L'importance de ces grands objectifs, annoncés par le Président de la République lors de la Conférence environnementale, ne doit pas être ignorée.
Il y a tout d'abord l'obligation de réussir face au dérèglement climatique. Après la marche pour le climat, qui a rassemblé des centaines de milliers de personnes, après la remise du rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), l'urgence climatique s'impose à tous. La question n'est pas tant celle de la possibilité d'un accord que celle de la qualité de cet accord : la Conférence de Paris, l'an prochain, doit être une opportunité historique.
C'est ensuite le choix de réduire de 50 % la consommation d'énergie d'ici à 2050, un choix audacieux et courageux qui marque une rupture dans notre modèle de développement. C'est la seule possibilité responsable de nous montrer à la hauteur des enjeux du dérèglement climatique et d'engager une nouvelle révolution industrielle, celle de l'efficacité énergétique. C'est aussi la seule possibilité de résorber le déficit de notre balance commerciale, en grande partie dû à la facture énergétique, et de protéger les Français face aux aléas géopolitiques de notre approvisionnement.
C'est enfin la seule possibilité de fonder un nouveau modèle de développement, basé sur le découplage entre la prospérité de notre société et sa consommation énergétique, choix souligné par le rapport France 2025, Quelle France dans dix ans ?
Ce projet de loi permet également de sortir du tout-nucléaire, avant, nous l'espérons, une sortie du nucléaire. L'histoire énergétique de la France est marquée par son audace et la capacité du pouvoir politique à décider : ce fut le choix du programme électro-nucléaire, que les écologistes désapprouvent, mais nous pensons que la même audace peut nous permettre aujourd'hui de rompre avec ce modèle. Le passage de 75 à 50 % est une opportunité historique de diversification du mix énergétique. C'est un compromis politique, et non le choix des écologistes, car nous souhaitons toujours la sortie du nucléaire.
Le nucléaire, comme l'a montré le rapport de Denis Baupin, est un choix coûteux, notamment parce qu'il requiert des investissements massifs pour rénover le parc. Il risque de nous faire passer à côté de la troisième révolution industrielle s'il stérilise l'innovation et la recherche en empêchant le développement des énergies renouvelables. C'est, en outre, un choix dangereux, comme l'attestent la catastrophe de Fukushima et le rapport subséquent de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur le parc nucléaire français et l'absence à ce jour de solution pour les déchets.
C'est un texte ambitieux, donc, mais également perfectible. Si l'esprit de la loi est celui d'une rupture, le texte en est encore éloigné, et il est même décevant, sur plusieurs points. Il risque de passer à côté de son ambition initiale et de ne pas engager toutes les ruptures nécessaires.
Si l'on peut saluer la trajectoire pour 2050, il manque de précision sur le moyen terme : la définition d'objectifs clairs, identifiables par tous les acteurs, d'ici à 2030, fait défaut. De même, on sent bien l'amorce d'une stratégie d'accélération et d'amplification face au dérèglement climatique, mais elle n'est pas encore aboutie. Ainsi, le texte prend de bonnes mesures dans le bâtiment, mais nous ne disposons pas encore du plan stratégique à l'horizon 2050 dont nous avons besoin pour éliminer les aléas. Sur les énergies renouvelables, il faudrait poursuivre l'audace du modèle allemand et nous inclure dans les perspectives européennes les plus volontaristes.
Le texte manque, en outre, de précision sur la sûreté nucléaire, en particulier sur le délai de quarante ans, estimé par tous les experts, notamment l'ASN, comme un seuil qui mérite réflexion : ce seuil devrait figurer dans la loi.
Le texte manque de précision sur la transition vers les mobilités durables, notamment le développement du véhicule électrique, sur la lutte contre la précarité énergétique, au service de laquelle le chèque énergie est un bon outil dont néanmoins le financement et la portée doivent être élargis, sur l'obligation de rénovation et la manière de l'appliquer, ainsi que sur les constructions à énergie positive.
Enfin, le projet manque de moyens. Les financements publics ne sont pas au rendez-vous. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2015 sera bien sûr déterminant : les objectifs du projet de loi ne pourront être tenus que si les moyens sont présents. C'est pourquoi nous défendrons la possibilité de mobiliser les ressources du livret de développement durable et du livret A sur la transition énergétique, avec l'appui de la Caisse des dépôts.
Nous regrettons, enfin, que ce texte crée des verrous sur les financements innovants, tels que le tiers financement. En confortant le monopole bancaire, l'article 6 de la loi tue la seule possibilité nouvelle de financer la transition énergétique. Nous devons absolument faire évoluer ce point.
Nous saluons la volonté de rupture et de changement que traduit ce texte. À chaque fois que vous avancerez, vous pourrez compter sur notre soutien ; à chaque fois que vous hésiterez, sur notre vigilance. Ce texte est une opportunité unique et historique d'engager une véritable mutation, et nous sommes déterminés à y travailler avec vous.