Intervention de Thierry Benoit

Réunion du 30 juillet 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Benoit, président :

Votre audition fait l'objet d'un enregistrement et d'une retransmission vidéo.

M. Yves Struillou, directeur général de la direction générale du travail (DGT) au ministère du travail, de l'emploi et du dialogue social. Le sujet de la commission d'enquête tient à notre histoire sociale, à l'économie et au droit, armature d'une réalité sociale complexe, en constante évolution.

La question de la durée du travail est au coeur du droit du travail. Au XIXe siècle, les premières lois sociales ont eu pour objet de limiter cette durée pour les catégories les plus vulnérables, à savoir les enfants et les femmes. Mais si, historiquement, le droit du travail a d'abord visé à protéger l'intégrité des corps contre l'usure physique, en garantissant la santé et la sécurité des travailleurs, il tend aussi à protéger leur liberté, car le temps de travail est celui de la subordination, par opposition au temps libre.

Le droit du travail traite aussi de la rémunération, notion liée plus ou moins directement au temps que l'on consacre à l'activité professionnelle.

Il inclut, enfin, des considérations économiques, qui tiennent à la performance des entreprises, à l'évolution de la productivité du capital et du travail, et à l'organisation du travail, sous l'influence des mutations techniques et technologiques.

Ces déterminants ont conjugué leurs effets pour réduire historiquement la durée du travail à l'échelle de l'année ou pendant tout le cycle de vie. Au début du XIXe siècle, les ouvriers étaient présents 4 500 heures par an sur leur lieu de travail. Ce temps de présence a diminué tendanciellement, surtout au XXe siècle, en France et dans tous les pays de l'OCDE. Selon les chiffres de l'INSEE, il est passé de 2 230 heures en 1950 à environ 1 600 heures en 2007.

Cette évolution s'explique par la salarisation de l'emploi, notamment féminin, la réduction de la durée annuelle du travail des salariés à temps complet, l'augmentation des jours de congés payés et, depuis une trentaine d'années, le développement du temps partiel. Sur le plan juridique, elle s'est traduite par la réduction progressive des durées hebdomadaires maximales, qui s'élèvent à 44 heures pour la durée relative calculée sur douze semaines, et à 46 heures pour la durée absolue, avec possibilité de dérogation.

On ne peut expliquer le droit, la nature ni l'évolution de la durée du travail sans prendre en compte ces évolutions de long terme, ainsi que les mutations de l'organisation du travail comme de l'activité économique. À l'origine, ce droit a été conçu en cohérence avec la logique industrielle de la production en série, comme l'atteste le primat de l'horaire collectif de travail, qui a prévalu jusqu'au début des années 1980. Ce sont l'unité de lieu, l'unité de temps et la subordination juridique qui ont déterminé le droit de la durée du travail.

L'horaire collectif est au centre de l'articulation entre les obligations professionnelles et familiales. Il permettait d'assurer la continuité de la production industrielle de série et garantissait, pour les salariés, une sécurité tenant à la régularité de ces horaires. Si la notion d'horaire collectif apparaissait ainsi protectrice – et elle l'est toujours –, elle a eu aussi une fonction disciplinaire. L'ouvrier commettait une faute s'il ne respectait pas les horaires de travail définis par l'employeur, en vertu de son pouvoir de gestion.

C'est pendant la phase industrielle que furent jetés les divers fondements du droit de la durée du travail.

Le premier d'entre eux est l'intervention normative de l'État par la loi afin de fixer la durée légale du travail, qui constitue non une limite physique mais un seuil au-delà duquel se déclenchent les majorations de salaire. Un lien indissociable se crée entre durée légale du travail, temps de travail et rémunération.

Le second fondement est l'intervention normative de l'État pour définir le cadre temporel de référence. Le choix s'est fixé sur la semaine, lors de l'élaboration de la loi sur les 40 heures et de la rédaction des décrets d'application.

La troisième caractéristique est l'intervention normative, par la voie réglementaire, pour fixer les modalités d'organisation du temps de travail, laquelle repose sur la notion d'horaire collectif et la répartition de celui-ci sur cinq jours, cinq jours et demi ou six jours. Les décrets d'application de la loi relative aux 40 heures de travail hebdomadaire, qui établissent des distinctions en fonction des différents secteurs de l'activité économique, se sont appliqués jusqu'aux années 1980.

Toutefois, du fait de sa rigidité, la notion d'horaire collectif s'est révélée inadaptée aux évolutions des modes de production, qui privilégient désormais souplesse, réactivité et diversification des productions. En outre, elle peut faire obstacle aux aspirations des salariés, notamment des femmes, qui souhaitent par exemple ne plus avoir à solliciter une autorisation du responsable hiérarchique quand elles s'absentent pour assumer une contrainte familiale. Plus généralement, chacun apprécie de ne pas avoir à justifier un retard dû aux aléas des transports. Ces évolutions entrent en corrélation avec le niveau d'éducation de la population active : il s'agit désormais d'une population urbaine, qualifiée et diplômée, et non plus d'une population d'origine rurale. Dès le milieu des années 1970, la loi du 27 décembre 1973 introduit des exceptions à la règle de l'horaire collectif. Cette tendance à l'individualisation des horaires et de la quotité de travail n'a cessé de s'accentuer.

Il est indispensable de rappeler ces éléments pour mieux saisir les mutations, les enjeux et synthétiser sur le plan juridique les questions que pose le droit de la durée du travail.

Celles-ci sont multiples.

Quelle quotité de travail le salarié doit-il effectuer ?

Quelle sera la période de référence : la semaine, le mois, un cycle ou l'année ? En 1936, le choix s'est porté sur la semaine, et l'étalon retenu pour mesurer la quotité de travail a été le paramètre horaire. Ce choix s'est confirmé au lendemain de la Seconde guerre mondiale.

Troisièmement, comment définir le temps de travail ? Est-ce celui pendant lequel le salarié effectue strictement et matériellement sa tâche ou celui pendant lequel il se tient à la disposition de l'employeur ? Le point a fait l'objet d'un débat.

Quatrièmement, comment se répartit la quotité de travail sur la semaine, l'année ou le cycle de vie ?

Cinquièmement, comment est rémunérée la quotité d'heures contractuellement convenue par les parties au contrat de travail ? Quelles sont les incidences du dépassement d'un seuil fixé par les pouvoirs publics ?

Sixièmement, quelles sont les limites physiques définies par ceux-ci en fonction de considérations liées notamment à la santé ? Quelle est la durée de travail journalière ou hebdomadaire maximale ? Là encore, des évolutions sont intervenues.

Septièmement, comment s'articulent la norme étatique et le contrat de travail ? Comment se concilient les normes étatiques et les normes collectives qui figurent dans l'accord collectif ? Le contrat ou l'accord peuvent-ils déroger à la norme légale ? Le cas échéant, est-ce en un sens favorable ou défavorable au salarié ? Enfin, comment s'articulent l'accord de branche et l'accord d'entreprise ?

Cette série de questions fournit une grille de lecture permettant de saisir les mutations de notre droit et de mieux comprendre l'évolution tendancielle de la baisse de la durée du travail. Ces mutations sont au coeur des évolutions plus générales de notre droit, qui dessine une nouvelle architecture entre la norme étatique, la négociation collective et le contrat. La nouvelle architecture a été consacrée par le Conseil constitutionnel, qui, tout en s'adossant à l'article 34 de la Constitution de 1958, permet au législateur de renvoyer tant à la négociation collective qu'au pouvoir réglementaire, pour définir les modalités de mise en oeuvre de la loi.

Sur le plan historique et juridique, le point de bascule se situe au début des années 1980, avec les lois « Auroux », qui introduisent une nouvelle norme fixant la durée journalière de travail à dix heures. Cette limite est toujours en vigueur. Le législateur a prévu la possibilité de déroger à la durée journalière soit par la voie administrative classique – au moyen d'une dérogation délivrée par l'inspection du travail –, soit par la voie négociée, c'est-à-dire l'accord d'entreprise. C'est le premier exemple d'une nouvelle articulation entre la norme étatique et la norme conventionnelle.

Par ailleurs, les lois « Auroux » instaurent un dispositif de modulation, qui permet de s'affranchir du cadre hebdomadaire de calcul des heures supplémentaires.

En outre, elles permettent aux entreprises de disposer, sans autorisation de l'administration du travail, d'un volume d'heures supplémentaires, dont la quotité est fixée par la négociation, à un niveau inférieur ou supérieur à celui de 130 heures défini par décret. Le mécanisme est original : il autorise les partenaires sociaux à déterminer un seuil grâce à un accord collectif. Autant dire qu'on leur laisse une grande autonomie pour décider d'un paramètre important, qui conditionne l'intervention de la puissance publique.

Ces nouveaux dispositifs dessinent en creux une nouvelle conception de la durée du travail, dans laquelle s'inscrivent les lois « Aubry » du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000. Celles-ci poursuivent le dépassement du cadre hebdomadaire du décompte de la durée du travail, hérité de 1936, et mettent en place un décompte pluriannuel, voire annuel. C'est ainsi que, sous réserve de la conclusion d'un accord collectif, une partie de la population peut calculer sa durée du travail, et donc sa rémunération, à partir non de l'heure mais de la journée de travail.

Quatorze ans après l'adoption de la loi « Aubry II », le cadre juridique régissant le temps de travail a beaucoup évolué. Le législateur l'a assoupli en offrant aux entreprises des leviers pour organiser le travail au plus près de leurs besoins, dans le respect d'un ordre public social. Ce faisant, il s'inscrit dans la trajectoire amorcée en 1982, qui donne plus d'autonomie à l'entreprise.

La loi du 20 août 2008 cristallise cette trajectoire en inversant la hiérarchie des normes. En matière de durée du travail, elle accorde la primauté à l'accord d'entreprise. Sous le précédent quinquennat, le seuil de 35 heures, qui déclenche le versement d'heures supplémentaires, a été maintenu, afin de préserver le pouvoir d'achat des salariés.

Au cours de mon intervention, je rappellerai d'abord les principales dispositions des lois « Aubry », qui ont fixé à 35 heures la durée légale du travail. J'évoquerai ensuite l'assouplissement de ce cadre juridique par d'autres lois, qui ont accordé une plus grande autonomie à l'entreprise. Je terminerai en soulignant les conséquences pratiques de ces textes sur le dialogue social et les conditions de travail.

Les lois « Aubry » résultent de plusieurs textes antérieurs. L'article 39 de la loi quinquennale du 20 décembre 1993 a établi un dispositif expérimental, notamment grâce à l'amendement « Chamard ». La loi du 11 juin 1996, dite « Robien », qui tend à favoriser l'emploi par l'aménagement et les réductions conventionnelles du temps de travail, comporte un volet défensif.

La loi « Aubry I » fixe la durée légale du travail à 35 heures, au 1er janvier 2000 pour les entreprises d'au moins vingt salariés, et au 1er janvier 2002 pour les autres. Elle allège les cotisations patronales des entreprises pourvu que celles-ci, anticipant le passage aux 35 heures, prévoient dans un accord collectif, repris ensuite dans une convention entre l'État et l'entreprise, de diminuer de 10 % la durée effective du travail et d'embaucher à hauteur de 6 % de l'effectif en un an, s'agissant du volet offensif de la loi, et, s'agissant du volet défensif, de maintenir l'emploi et de renoncer à effectuer des licenciements pour motifs économiques.

La loi « Aubry II » confirme que la durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine. Elle allège les cotisations sociales des entreprises qui prévoient dans un accord collectif majoritaire – ce qui est une des innovations majeures de notre droit – une durée de travail collective de 35 heures, et qui précisent le nombre d'emplois créés ou préservés par la réduction du temps de travail.

Ce dispositif appelle plusieurs remarques.

D'abord, les lois « Aubry » ont été le vecteur juridique d'une mise en conformité de notre droit avec la directive européenne 93104 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Elles ont permis d'introduire dans le code du travail une définition du temps de travail : il s'agit du temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.

Ensuite, afin de permettre aux entreprises de réaliser des gains de productivité, de nature à boucler l'équation économique imposée par la réduction du temps de travail (RTT) associée à la modération salariale, la loi « Aubry II » a facilité les aménagements du temps de travail pour les entreprises. Elle a simplifié, en les fusionnant, les règles relatives aux modulations, et permis de s'affranchir du cadre hebdomadaire de calcul des heures supplémentaires, en établissant une moyenne sur une période infra-annuelle ou annuelle.

Enfin, la loi « Aubry II » a cherché à développer des outils permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle du salarié. L'accord collectif de réduction du temps de travail ou de mise en place de la modulation détermine les modalités de prise des jours de réduction de temps de travail (JRTT), pour partie au choix du salarié, pour partie au choix de l'employeur, selon une répartition fixée par l'accord d'entreprise. L'accord doit aussi fixer les délais maximaux dans lesquels les repos doivent être pris, ainsi que les délais de prévenance.

Ces paramètres, qui peuvent paraître techniques, ont été au coeur de la négociation des accords. Ils sont déterminants pour l'entreprise, qui doit programmer son activité et réagir aux fluctuations à la hausse ou à la baisse. Ils le sont aussi pour les salariés, car les délais de prévenance et la quotité de jours à leur disposition leur permettent de mieux articuler vie professionnelle et personnelle, par exemple pour prendre en charge leurs descendants ou leurs ascendants.

La loi « Aubry II » a modifié les modalités de fonctionnement du compte épargne-temps (CET) en permettant de l'alimenter par les JRTT, et en conciliant vie professionnelle et personnelle sur une période qui dépasse l'année, en vue de mener des projets liés à la formation ou au déroulement de carrière.

Quatrièmement, afin de favoriser la réduction négociée du temps de travail, particulièrement dans les petites entreprises, dépourvues de délégués syndicaux, les deux lois « Aubry » ont permis la négociation d'accords relatifs à la durée et à l'aménagement du temps de travail avec des salariés mandatés par les organisations syndicales.

L'objectif était non seulement de permettre aux entreprises et aux salariés dépourvus de représentation syndicale de bénéficier de la RTT, mais aussi d'accéder aux mécanismes d'aménagement, qui sont une des conditions de la performance de l'entreprise. Ces possibilités de mandatement ont inspiré les dispositions de la loi du 20 août 2008, qui permettent aux entreprises dépourvues de délégué syndical de négocier avec des salariés élus ou mandatés.

Cinquièmement, le temps de travail des cadres a été un enjeu majeur. Le législateur a prévu pour ceux-ci des dispositifs spécifiques, tels que le forfait annuel horaire et le forfait-jours, plus novateur. Les objectifs étaient multiples.

Il fallait d'abord résoudre la difficulté d'évaluer la durée du travail, pour une population en constante évolution quantitative et qualitative. Cette population inclut les cadres encadrant, les experts et les cadres autonomes, dont le temps de travail est extrêmement difficile à décompter. Faut-il y inclure, par exemple, celui d'un déjeuner auquel assiste un cadre commercial ou le temps de déplacement, lors d'un voyage à l'étranger ? Ces questions sont insolubles, si l'on retient un étalon horaire.

Il fallait ensuite mettre un terme à une situation d'insécurité juridique, tant pour les employeurs que pour les salariés, et rendre possible la réduction du temps de travail pour cette catégorie, ce qui n'est possible que si l'on s'affranchit d'un cadre horaire.

Il fallait aussi prendre mieux en compte l'organisation du travail des cadres. La création du forfait-jours constitue, de fait et en droit, un point d'équilibre du nouveau dispositif issu des lois « Aubry ». Celui-ci décompte la durée du travail non plus en heures mais en jours, ce qui permet de combiner un accord d'entreprise ou de branche avec une convention individuelle.

Grâce à la loi « Aubry II », le législateur a mieux articulé les accords collectifs sur la réduction du temps de travail et le contrat de travail. La jurisprudence a posé le principe selon lequel la durée du travail, telle que mentionnée au contrat, ne peut être modifiée sans l'accord du salarié. On peut dire, en citant le doyen Philippe Waquet, que la durée du travail fait partie du socle contractuel fondamental.

La loi « Aubry II » a aussi intégré au code du travail une disposition selon laquelle la seule diminution du nombre d'heures, en application d'un accord de réduction de la durée du travail, ne constitue pas une modification du contrat. On voit ainsi se dessiner une nouvelle articulation entre accord collectif et contrat de travail.

Pour autant, l'accord collectif sur la réduction du temps de travail peut avoir des incidences sur l'aménagement du temps de travail comme sur la rémunération, et nécessiter une modification du contrat. Pour cette raison, il a fallu ajouter au code du travail que, lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification du contrat en application d'un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement éventuel ne repose pas sur un motif économique, et qu'il est soumis aux dispositions relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel.

J'en viens au second temps de ma présentation.

Depuis les lois « Aubry », le cadre législatif a beaucoup évolué, afin de donner aux entreprises des leviers qui leur permettent d'organiser le temps de travail au plus près de leurs besoins, de faire face à leurs contraintes et de disposer d'une plus grande autonomie pour négocier.

Dans son volet « temps de travail », la loi du 20 août 2008 parachève un cycle d'importantes réformes législatives visant à adapter et à assouplir le cadre issu des lois « Aubry » sur les 35 heures. Ce texte concerne des équilibres essentiels de notre droit du travail et repose sur trois piliers : les règles sur la durée du travail sont constitutives de notre ordre public social ; elles sont indissociables de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise ; elles ont un impact sur la rémunération des salariés et leur pouvoir d'achat.

Pourquoi peut-on dire que ces règles sont constitutives de notre ordre public social ? La durée et l'amplitude du temps de travail affectent directement la santé du salarié, qui doit bénéficier, entre les séquences de travail, d'un temps de repos, à l'échelle de la semaine comme de l'année. En dehors de certaines dérogations encadrées par la loi, s'appliquent les règles relatives au repos hebdomadaire, au repos quotidien, à la durée maximale de travail hebdomadaire, au travail de nuit, aux temps de pause et aux congés payés. Ces normes constituent un socle, que l'accord d'entreprise peut améliorer. Elles assurent de manière effective le respect du principe relatif à la protection de la santé des travailleurs, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946.

Par application du principe de faveur, l'accord collectif peut aller au-delà de ces prescriptions pour assurer une meilleure protection des salariés. Ce champ de la législation est fortement irrigué par le droit de l'Union européenne. La directive 200388 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail est prise sur le fondement des stipulations du traité instituant la Communauté européenne, en particulier sur les dispositions relatives à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Elle fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé, que les États membres sont tenus de respecter. À ce titre, elle a conduit à introduire dans notre législation le principe du repos journalier et des temps de pause.

Venons-en au deuxième pilier de la loi : les règles régissant la durée du travail sont indissociables de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise, notamment du process et des aspirations des salariés. Le droit du travail s'inscrit dans une logique descendante, qui part de la loi pour aller vers l'accord de branche et l'accord d'entreprise, le tout étant régi par le principe de faveur, qui permet de déroger, dans un sens favorable aux salariés, aux dispositions fixées par le niveau supérieur.

En inversant la hiérarchie des normes dans certains domaines énumérés, la loi du 20 août 2008 consacre une évolution amorcée dès 1982, avec l'introduction dans le droit de l'ordre public dérogatoire, qui reconnaît aux partenaires sociaux la possibilité de négocier des dispositions moins favorables aux salariés. Encore faut-il s'accorder sur ce terme. Dans le cas d'un salarié qui effectue des heures supplémentaires – donc perd de sa liberté personnelle mais accroît sa rémunération –, il est très difficile à une autorité extérieure de juger de l'application du principe de faveur. On a donc laissé aux acteurs de l'entreprise ou de la branche le soin de définir ce paramètre.

L'approche initiée en 1982 s'est poursuivie avec la loi « Fillon » du 17 janvier 2003, qui, sans remettre en cause le principe de la durée légale, fixée à 35 heures, a permis d'aménager les conditions dans lesquelles la réduction du temps de travail est mise en oeuvre dans les entreprises.

Puis la loi du 4 mai 2004 a institué des rapports d'autonomie entre les différents niveaux d'accords collectifs.

Enfin, la loi du 20 août 2008 a parachevé cette dynamique. Désormais, les grands principes de notre droit de la durée du travail sont définis par la loi, comme l'impose l'article 34 de la Constitution, mais la hiérarchie est désormais la suivante : l'accord d'entreprise ; à défaut, l'accord de branche ; à défaut, les dispositions supplétives définies par la voie réglementaire.

Les thèmes concernés par cette inversion de la hiérarchie des normes sont strictement limités et ne remettent pas en cause les dispositions précédemment énumérées, qui se rattachent à l'ordre public social. Les paramètres que le législateur a voulu placer dans les mains des acteurs de l'entreprise sont la fixation du contingent d'heures supplémentaires, le repos compensateur de remplacement, les conventions individuelles de forfait, la répartition et l'aménagement des horaires, la journée de solidarité et le compte épargne-temps.

La loi du 20 août 2008 accorde une place plus importante à la négociation d'entreprise pour fixer les différents paramètres du droit de la durée du travail, ce qui permet de prendre en compte les besoins économiques des entreprises, leur organisation, compte tenu de leurs contraintes et de leurs activités, et les besoins des salariés. Elle simplifie significativement la réglementation en matière de temps de travail, en créant un mode unique d'aménagement négocié du temps de travail, dit « de modulation », qui se substitue aux quatre précédents.

La loi précise désormais que l'accord fixe les limites pour le déclenchement des heures supplémentaires, dans le respect de la durée légale, ainsi qu'un délai de prévenance d'au moins sept jours, sauf stipulation contraire, pour modifier la durée ou les horaires de travail. Le principe de faveur reste un principe fondamental, mais il a été adapté dans le droit de la durée du travail.

Les heures supplémentaires sont, selon les cas, jugées favorables ou défavorables aux salariés. Le législateur a tranché la question en s'appuyant sur les nouvelles formes de démocratie sociale.

Le fait que l'inversion de la hiérarchie des normes de droit soit inscrite dans la loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale ne relève pas d'une pure coïncidence de calendrier. Pour que l'accord collectif d'entreprise puisse fixer des paramètres aussi fondamentaux pour les salariés et les entreprises, aussi déterminants pour l'articulation entre vie professionnelle et personnelle, il fallait qu'il soit conclu par des organisations syndicales qui aient la légitimité d'engager la communauté de travail. Cette légitimité est adossée à l'appréciation de leur représentativité dans l'entreprise, compte tenu du résultat obtenu au premier tour des élections professionnelles pour choisir le comité d'entreprise ou les délégués du personnel.

Il y a un lien indissociable entre ces deux évolutions. On ne peut, en effet, concevoir que l'accord collectif devienne la matrice de la norme juridique applicable aux relations de travail quotidiennes, si cet accord est conclu par une organisation syndicale peu ou pas représentée dans l'entreprise. Dès lors, ne sont invitées à la table des négociations que des organisations dont la représentativité a été consacrée par les élections professionnelles.

Le troisième pilier de la loi est la prise en compte de l'aspiration aux gains de pouvoir d'achat, les 35 heures étant maintenues comme référence pour le déclenchement des heures supplémentaires, lesquelles bénéficiaient des dispositions de la loi du 20 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite « TEPA ». Aux termes de cette loi, la rémunération des heures supplémentaires et complémentaires devait bénéficier d'une réduction de cotisations sociales plafonnée au taux de 21,5 % ; l'employeur bénéficiait, pour les seules heures supplémentaires, d'une réduction forfaitaire de cotisations patronales ; les salariés étaient exonérés de l'imposition sur le revenu pour la rémunération des heures supplémentaires ou complémentaires.

Selon une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) de 2011, les deux tiers des salariés à temps plein, sans forfait, ont effectué des heures supplémentaires ; mais il n'est pas sûr que la loi TEPA ait vraiment contribué à l'augmentation de leur nombre ni, selon le but recherché, à une relance de l'activité. Elle fut abrogée par la loi de finances rectificative du 16 août 2012, qui supprimait les exonérations de cotisations salariales ; la suppression des exonérations fiscales, elle, fut décidée dans le cadre de la loi de finances pour 2013. En revanche, les exonérations de cotisations patronales dans les entreprises de moins de vingt salariés ont été maintenues.

La question des effets de la loi TEPA et de son abrogation est sujette à débat. Quelque 9,5 millions de salariés ont été concernés par la fin des heures supplémentaires défiscalisées. Selon le rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales de juin 2011, les bénéficiaires de la mesure étaient essentiellement des employés aux revenus supérieurs au SMIC ; pour un ouvrier ayant un salaire mensuel de 2 271 euros, la perte due à l'abrogation du dispositif serait de 48 euros.

La loi du 22 mars 2012, dite loi « Warsmann », a précisé que l'accord collectif peut primer sur le contrat de travail en matière d'aménagement du temps de travail. Nous retrouvons ici une question majeure, celle de l'articulation entre accord collectif et contrat de travail : le second étant la loi des parties, il ne peut être modifié que par leur assentiment réciproque.

Les mécanismes d'aménagement du temps de travail permettent aux entreprises d'adapter au mieux leur organisation du travail, mais ils peuvent aussi avoir une incidence sur le socle contractuel. Une jurisprudence de la Cour de cassation du 18 septembre 2010 avait précisé que la mise en place de ce type d'aménagement – en l'espèce, le dispositif de modulation – constituait une modification du contrat de travail qui, en tant que telle, requérait l'accord exprès du salarié ; si bien que se posait la question du recueil de l'accord de chacun des salariés, et celle d'un éventuel refus d'un ou de plusieurs d'entre eux. La jurisprudence conduisait donc à rendre plus aléatoire le recours au mécanisme d'aménagement du temps de travail ; aussi le législateur a-t-il précisé, avec la loi « Warsmann », que la mise en place d'un tel aménagement pour une période supérieure à une semaine ne constituait pas, au sens du code du travail, une modification du contrat de travail.

La question du temps partiel est liée à l'évolution de la durée légale du travail. C'est ce qui explique que la loi « Aubry II », en application du droit communautaire, ait traité du temps partiel ; elle a défini celui-ci en référence à la durée légale du travail, quel que soit son mode de calcul : est considéré comme travail à temps partiel tout travail dont la durée est inférieure à ces références légales. La même loi soumet la mise en place du temps partiel à la conclusion d'un accord collectif ; en l'absence d'un tel accord, le temps partiel peut être décidé après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.

Enfin, la loi « Aubry II » avait pour objectif de faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle des salariés à temps partiel ; elle a ainsi encadré le pouvoir qu'a l'employeur de changer la répartition des horaires de travail de ces salariés, car un tel changement peut avoir une incidence, non seulement pour la vie personnelle des intéressés, mais aussi pour leur vie professionnelle s'ils l'exercent dans plusieurs entreprises. Cette loi pose le principe selon lequel le refus du salarié ne constitue ni une faute ni un motif de licenciement dès lors que ledit changement n'est pas compatible avec des obligations familiales impérieuses.

En 2012, c'est sous l'angle de la lutte contre la précarité du temps partiel subi que le Gouvernement a souhaité réformer le cadre législatif applicable au temps partiel. Les partenaires sociaux, en accord avec le Gouvernement, se sont emparés de la question et ont conclu, le 11 janvier 2013, un accord dont les dispositions relatives au temps partiel ont été retranscrites dans l'article 12 de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi. Selon cet article, la durée minimale d'un contrat de travail à temps partiel est fixée à 24 heures hebdomadaires.

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