Quatre grands facteurs déterminent l'organisation du temps de travail dans l'entreprise : la compétitivité, l'emploi, le coût du travail et l'organisation du travail.
La particularité du groupe Safran est de produire en France 80 % de ce qu'il vend et de vendre à l'étranger 80 % de ce qu'il produit. Nous profitons aujourd'hui de la forte croissance de l'activité aéronautique, dans un secteur toutefois très concurrentiel. Pour faire face à des pays producteurs de pièces tels que la Chine ou les États-Unis, nous devons adapter notre outil de production en permanence. Le maintien de l'emploi en France pour le groupe Safran est possible dans la plupart de ses activités pour une raison importante : le coût de la main-d'oeuvre dans le prix de revient de nos productions est relativement faible. Nous ne sommes pas une entreprise de services et, en moyenne, la part de main-d'oeuvre doit représenter un tiers environ des coûts de production. Évidemment, dans des secteurs concurrentiels où la main-d'oeuvre représente 60 à 70 % du prix de revient et où elle peut être externalisée, la question de la compétitivité des entreprises se pose. Dans ce cas, le temps de travail des salariés et la capacité ou non de l'adapter conduisent à évaluer l'intérêt qu'il y aurait à produire au Maroc, en Chine ou au Mexique.
En somme, il convient d'aborder le temps de travail avant tout à travers le prisme de la compétitivité, laquelle a des conséquences sur le maintien de l'emploi, le coût du travail et l'organisation du travail.
Comme Philippe Vivien, j'insiste sur la nécessité pour les entreprises de disposer de la capacité de s'adapter, bien plus importante que le point de référence de 35 ou de 39 heures. Je gère, au sein du groupe Safran, des secteurs diversement performants économiquement. Dans l'aéronautique, qui connaît une activité encore jamais atteinte, l'aménagement du temps de travail touche davantage à la productivité, à la capacité de répondre à la demande plutôt qu'à une adaptation en creux visant à maintenir l'emploi dans un contexte dégradé. À l'inverse, dans le secteur des hélicoptères qui traverse une passe difficile – nous sommes notamment fournisseurs d'Airbus hélicoptères – il faut absolument que nous puissions adapter le temps de travail à la demande des clients. Une trop grande rigidité est pénalisante par rapport à d'autres pays proches comme le Maroc ou même l'Allemagne ou le Royaume-Uni.
Les capacités d'ajustement au sein d'entreprises telles que les nôtres ne touchent pas prioritairement l'emploi des salariés. Parce que nous devons disposer d'une main-d'oeuvre très qualifiée, nous ne sommes pas du tout favorables à un turn over excessif : il est nécessaire, au contraire, que les emplois en question soient pérennes pour garantir la capacité de fabriquer des produits de très haute technologie qui ne s'inventent pas du jour au lendemain. Ce qui importe, c'est bien d'avoir la capacité d'adaptation mentionnée par Philippe Vivien.
Je reviens sur les conséquences de l'application des 35 heures. Au moment de leur mise en oeuvre, le secteur aéronautique a connu un creux d'activité très brutal. Contrairement à des entreprises concurrentes telles que Rolls Royce, General Electric, Pratt & Whitney, qui ont massivement supprimé des emplois, quitte à en recréer par la suite, le groupe Safran, dans un contexte de transformation radicale des outils de production, a considérablement accéléré ses plans de modernisation pour gagner des points de productivité, notamment par la mise en place d'équipements et de machines à commandes numériques, de manière à récupérer et à préserver au maximum les capacités de production de l'entreprise. La conjonction d'une nouvelle donne en matière de temps de travail et d'une diminution de l'activité a donc conduit à un plan d'adaptation des outils de production. Nous n'avons pas supprimé d'emplois mais nous avons modifié les modes de production pour gagner en productivité.