Je vous ai entendu avec plaisir, monsieur le président, qualifier de serein le climat de cette commission d'enquête, car ce sujet est trop souvent matière à polémiques éloignées des réalités.
La CTFC remettra à la commission un document écrit, je me contenterai donc d'aborder quelques points en vue d'éclairer au mieux le débat.
La durée du travail est un élément marginal de la compétitivité de notre pays. Pour preuve, dans un document intitulé « Approche de la compétitivité française », signé par l'Union professionnelle de l'artisanat (UPA), le MEDEF, la CGPME, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC, cette question est à peine évoquée.
La durée légale de trente-cinq heures détermine le seuil à partir duquel les heures supplémentaires sont décomptées – pour paraphraser quelqu'un, à partir duquel on travaille plus pour gagner plus. Or – et c'est heureux peut-être –, les Français travaillent beaucoup plus que trente-cinq heures, et la moyenne officielle de 39,4 heures hebdomadaires est même sous-estimée, parce que les outils ne permettent pas une comptabilisation précise en raison notamment du recours au forfait, parce que les chiffres ne prennent pas en compte tout le monde – à cet égard, la rigueur allemande permet d'obtenir des chiffres plus proches de la réalité que les nôtres – et, enfin, à cause des nouvelles technologies – comment comptabiliser le travail d'un salarié sur son ordinateur portable ou sur son téléphone mobile ?
Quant aux effets des trente-cinq heures, la création d'emplois est avérée, non pas à hauteur de l'objectif initial de 700 000 mais, plus sûrement, des 350 000 mentionnés dans l'étude la plus sérieuse, celle de l'INSEE. Ces emplois ont été créés dans les grandes entreprises, mais aussi dans les petites, les aides ayant permis à un certain nombre de ces dernières d'embaucher. Cela a donné aux entreprises de la souplesse pour mieux organiser leur production. On note ainsi une augmentation de la durée d'utilisation des équipements grâce à la modulation du temps de travail et au développement de la polyvalence. Les équipements utilisés en moyenne 51 heures en 1997 l'étaient pendant 55 heures en 2000, soit une augmentation de 8 % au profit de la création de richesses. Une posture idéologique conduirait à en attribuer le seul mérite aux trente-cinq heures, mais l'honnêteté oblige à souligner également le rôle du retour de la croissance.
La réforme a entraîné une hausse des coûts, dont on nous dit qu'elle est de 11,4 % pour les coûts horaires, ce qui correspond à un calcul strictement mathématique. La réalité n'est pas celle-là car le passage aux trente-cinq heures s'est accompagné de modération salariale, voire de gel des salaires ; il a donné lieu à des gains importants sur les temps de pause, d'habillage ou de formation – d'au moins une heure sur les quatre supprimées. Les coûts salariaux ont donc augmenté dans des proportions moindres que ne l'avancent certains « spécialistes ». La difficulté tient aussi à ce que ces chiffres renvoient à des moyennes alors que les situations diffèrent selon la taille des entreprises et selon les territoires.
Les gains de productivité, réels et avérés, compensent en partie sans doute le renchérissement du coût horaire du travail. Mais ils ont été obtenus au prix d'une pression accrue sur les salariés et d'une intensification de leur rythme de travail, au détriment de leur santé dans bien des cas. On a aussi vu apparaître le phénomène des « faux cadres », ces personnes qu'on a soustraites à la durée légale du travail en leur octroyant un statut de cadre. Dans la métallurgie, on a ainsi observé de nombreuses promotions sans augmentation de salaire, grâce au passage au forfait.
Dans le secteur privé, les trente-cinq heures ont donc eu à la fois des effets positifs et des effets négatifs, mais il en est allé différemment dans la fonction publique : le passage aux trente-cinq heures n'a pas donné lieu comme dans le privé à une réorganisation du travail. C'était peut-être l'occasion de faire une réforme de l'État, d'élargir les horaires d'ouverture au public des guichets. Elle a été ratée. La RTT n'a pas modifié la façon de travailler. C'est dommage. C'est sans doute parce qu'il n'y a pas de gestion du personnel dans la fonction publique, pas de vision globale des ressources humaines.
Il faut également mentionner l'impact sur la vie des gens et sur l'organisation de la société, qui n'est pas marginal. Pour les sociaux-chrétiens, le travail ne se résume pas au travail rémunéré. Travailler, c'est participer à l'oeuvre commune. Le temps dégagé pour du bénévolat ou pour l'encadrement de jeunes, c'est du travail, un apport à la vie collective. Si on « détricote » ce temps ou si on le supprime, comment préserver les activités qu'il permet ? Le bénévolat participe à l'équilibre de la société. Le temps passé en famille, le temps consacré à l'éducation des enfants, c'est aussi un travail. Ne détricotons pas ces temps personnel, associatif, familial, voire spirituel.
Nous faisons confiance à l'intelligence des acteurs, qui a permis de corriger les déséquilibres de la loi – il y en avait. Tous ensemble, patronat et syndicats, nous pouvons faire des choses équilibrées et raisonnables. Nous avons davantage besoin de stabilité, y compris législative et réglementaire, que de perturber une situation que nous avons très bien su équilibrer dans les entreprises. Je ne suis pas le seul à le dire : le patronat également réclame de la stabilité – mais qu'il soit cohérent en prônant la même stabilité pour la durée du travail ! – et le président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines considère lui aussi que les avantages d'une situation stabilisée sont bien plus grands pour les entreprises que la désorganisation par un changement législatif. Faisons donc confiance à l'intelligence humaine dans les entreprises !