Je ne suis pas un spécialiste international de la réduction du temps de travail. Mais j'ai eu l'occasion d'interroger mes homologues allemands sur cette question. Leur réponse m'a frappé. La crise en 2008 a été vécue de manière radicalement différente en Allemagne et en France. Très tôt, nos voisins ont donné la priorité à la préservation des emplois, ce qui les a conduits naturellement à envisager très vite le partage du temps de travail. Tout s'est construit autour de l'idée d'éviter les licenciements. Le partage du temps de travail a donc été organisé selon différentes méthodes, que nous connaissons mais que nous n'utilisons pas avec la même intensité ni la même rapidité. La réduction du temps de travail, notamment pour les seniors, a donné lieu à une compensation par l'État, à l'instar du chômage partiel que la France n'a pas ou peu utilisé – les Allemands en ont une vision beaucoup moins polémique et dogmatique, plus pragmatique. L'efficacité de cette approche est prouvée sur une période donnée. Je ne dis pas que c'est la solution au problème du chômage, mais on pourrait se reprocher, à la lumière de cet exemple, l'absence de lieu de réflexion, à l'exception de votre commission, sur la pertinence du partage du travail.
D'après mon expérience, très parcellaire, la modification de la durée légale du travail a principalement un impact financier. Elle n'entraîne pas nécessairement un partage du travail. Tous les assouplissements intervenus à partir de 2002 – ils sont pléthore – ont consisté à déplafonner le nombre maximal des heures supplémentaires. Il n'y a donc pas eu de création d'emplois. La France est revenue à 39 heures, les heures sont simplement payées et organisées différemment.
En revanche, dans les métiers qui effectuent un travail non stockable et non reportable, traduire la réduction du temps de travail en jours a mécaniquement eu pour effet de créer des emplois : si le pilote de l'avion est en RTT, vous ne pouvez pas expliquer aux passagers qu'il faut reporter leur départ, vous devez trouver un autre équipage. La réduction du temps de travail, par la fixation d'un nombre annuel de jours travaillés, conduit donc mécaniquement à partager le temps de travail. Il ne s'agit pas d'une solution idéale, car elle n'est pas applicable à tous, mais elle mérite d'être examinée : on ne pourra longtemps tenir avec cinq millions de chômeurs – un président de la République l'a dit dès les années soixante-dix alors que leur nombre était bien moindre. Il est donc urgent de trouver des solutions.