J'adhère, monsieur Pilliard, à vos critiques au sujet de la complexité, marque de fabrique de notre pays : nous avons l'art d'élaborer des textes trop complexes, qui suivent des cheminements étranges. Ce n'est pas un hasard si nous avons un ministre chargé de la décomplexification.
Je ne partage pas, en revanche, vos critiques contre le supposé monolithisme des 35 heures. À l'époque de la loi Aubry I, élue locale à Poitiers, j'avais créé une agence des temps chargée de travailler sur les rythmes de vie, les rythmes de la ville et les rythmes de travail ainsi que sur leur articulation. L'enquête que nous avions lancée au moment de la loi Aubry II avec l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) avait montré une extrême diversité des modalités d'application de la loi, allant du caporalisme imposant à tout le monde la même organisation à l'individualisation totale laissant chaque salarié décider de la manière d'accomplir ses 35 heures. À ces deux extrêmes, le dispositif fonctionnait mal. Il donnait les meilleurs résultats là où il y avait eu de véritables accords, avec des partenaires capables de discuter : chacun y trouvait son compte. D'ailleurs, lorsqu'en 2007, la droite martelait qu'il fallait revenir sur les 35 heures, beaucoup de représentants du patronat ont insisté sur le fait qu'un équilibre avait été trouvé après des négociations longues et difficiles et qu'il ne devait pas être remis en cause. Vous l'avez-vous même souligné.
L'application des 35 heures est donc loin d'être monolithique : certains salariés et certaines entreprises ont pleinement bénéficié du dispositif, d'autres pas du tout, certains salariés ayant même vu leur situation se dégrader, du fait notamment de la suppression d'avantages antérieurs.
Je souhaite revenir sur le temps partiel. Je suis présidente de la délégation aux droits des femmes et je vous rappelle que 80 % des emplois à temps partiel sont « offerts » aux femmes. Certains de ces emplois, plus que flexibles, sont « hyperflexibles », en particulier dans les services et le commerce. La Commission a auditionné hier des organismes qui reçoivent des personnes en situation précaire et notamment des travailleurs pauvres auxquels il reste quelque cinq euros par jour pour vivre. Peut-on vouloir une société où le niveau des salaires est tel qu'il ne laisserait que cinq euros par jour pour vivre ?
J'entendais un de vos collègues chef d'entreprise se plaindre de l'excessive rigidité du temps de travail, expliquer qu'il avait besoin que le salarié puisse venir une heure tel jour, cinq heures tel autre. Comment travaillez-vous, vous-mêmes ? Pensez-vous à la famille, aux enfants ? Comment le salarié peut-il s'organiser, articuler son temps de travail avec sa vie privée ? Peut-il trouver une garderie une fois pour une journée, une autre fois pour cinq heures ? Peut-on l'obliger à dépenser tout son argent dans un déplacement de trente kilomètres pour travailler trois heures ? C'est cela, dans la réalité, la flexibilité.
Je comprends le besoin qu'a l'entreprise de s'adapter aux fluctuations de l'activité, mais il faut prévoir des délais de « prévenance ».
Notre avenir doit-il donc se réduire à cette immense flexibilité conduisant tout le monde à la précarité et à l'impossibilité de bien articuler activité professionnelle et vie personnelle ? L'entreprise n'y gagnerait pas. L'ANI insiste sur la qualité de vie au travail : les entreprises ont tout avantage à ce que leurs salariés soient le moins stressés possible.