Intervention de Jean-François Pilliard

Réunion du 11 septembre 2014 à 9h30
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France, MEDEF en charge du pôle social :

Il nous paraît parfaitement légitime qu'une entreprise cherche à assurer de bons équilibres. Notre organisation ne souhaite pas l'instauration d'une hyperflexibilité, elle demande que, au sein d'un cadre de référence garantissant le respect de droits élémentaires – par exemple la loi –, puissent exister des espaces de discussion sur l'organisation du travail et donc sur la durée du temps de travail.

Nous ne contestons pas, moi le premier, le fait que, par le biais de la négociation notamment, on ait pu, à l'occasion de la mise en place des 35 heures, établir des compromis intelligents entre durée du travail, organisation du travail et compétitivité. Reste que ce genre de discussion aurait pu avoir lieu indépendamment de la réforme portant réduction du temps de travail. J'ai moi-même négocié des accords de cette nature, et je pense qu'ils peuvent avoir un effet positif dès lors que l'on tient compte de la spécificité de l'entreprise.

Pourquoi les accords de maintien de l'emploi ne fonctionnent-ils pas ? Depuis que la loi a été votée, quatre accords de ce type sont effectifs dans la branche que j'anime. Prenons le cas concret d'une entreprise à capitaux allemands du secteur métallurgique, installée en Alsace, comptant quelque 600 salariés, et qui rencontre des difficultés conjoncturelles.

Le chef de l'entreprise négocie un accord avec l'ensemble des organisations syndicales, qui toutes le signent. Aux termes de l'accord, le dirigeant s'engage à maintenir l'emploi pour une durée de deux ans, moyennant une stabilisation de la masse salariale et des aménagements à la durée et à l'organisation du travail. Or, en France, le contrat de travail prévaut sur l'accord collectif. Sur les 600 salariés, 160 considèrent que celui-ci remet en cause des éléments de leur contrat de travail. Ils quittent donc l'entreprise, mais la rupture est imputée à l'employeur et ils perçoivent des indemnités de licenciement dont le versement affecte la trésorerie déjà très détériorée de la société. Il se trouve que les 160 personnes concernées appartiennent majoritairement aux bureaux d'études de l'entreprise – leur départ vide donc cette dernière de son coeur de compétences. Je signale, en passant, que la plupart de ces personnes qualifiées ont retrouvé un emploi de l'autre côté de la frontière, trente kilomètres plus loin, touchant une rémunération supérieure à la précédente de 30 %, non sans avoir perçu l'assurance chômage.

De l'autre côté de la frontière, dans un établissement de cette même société, et pour les mêmes raisons, est signé un accord de compétitivité. Là, sur un effectif équivalent, seules 14 personnes considèrent que l'accord ne leur convient pas et, à la différence de ce qui se passe en France, démissionnent. Tant qu'on n'aura pas réglé ce genre de problème, on aura beau mener toutes les discussions théoriques intéressantes possibles, on restera globalement affaiblis.

Pourquoi donc se focaliser sur des accords de maintien de l'emploi défensifs ? Ne peut-on pas prévoir des accords de compétitivité qui s'inscrivent certes dans un cadre légal garantissant des droits élémentaires, auxquels nous sommes vraiment attachés, mais qui permettent également de débattre des sujets évoqués par la voie de la négociation d'entreprise ou de branche ? C'est le moyen pertinent, nous semble-t-il, d'obtenir une flexibilité raisonnable, équilibrée, négociée, jouant sur les paramètres de l'emploi, de la durée du travail et de la gestion de la masse salariale.

Vous m'avez interrogé plus précisément sur ce que nous avons fait à l'UIMM en matière de durée du travail. Nous avons été l'une des premières branches à négocier avec les organisations sur le sujet, ce qui nous a permis d'apporter un peu de pragmatisme aux textes applicables. Il n'en reste pas moins que l'accord que nous avons signé, compte tenu de la législation en vigueur, reste trop complexe et difficilement applicable par les PME et les TPE.

Pour ce qui concerne les dividendes, le partage de la valeur ajoutée, j'ai bien précisé dans mon exposé liminaire que je considérais qu'une entreprise ne pouvait vivre durablement qu'en étant attentive à ce que j'ai appelé les quatre partenaires : l'actionnaire, car toute entreprise a besoin d'être capitalisée ; le client, car une entreprise sans clients meurt ; les salariés, dont la compétence et l'engagement sont un élément fondamental de succès ; la société civile, dont une entreprise ne peut méconnaître les préoccupations.

J'ajoute que, en France, et même depuis la baisse significative du volume d'activité et des marges à partir de la mi-2008, les salariés ont continué, c'est incontestable, à voir leur salaire progresser plus rapidement que l'inflation et les gains de productivité. Si aujourd'hui le pouvoir d'achat des salariés a diminué, ce n'est pas à cause d'une décélération des salaires, mais précisément à cause de l'augmentation des impôts.

Voilà qui me ramène à l'Allemagne où l'on sait, quand les circonstances l'exigent, c'est-à-dire quand l'activité est faible, geler les salaires pour une période donnée. C'est ce qui s'est passé avec IG Metall dans le secteur automobile. A contrario, quand les affaires reprennent, comme c'est le cas aujourd'hui, les augmentations de salaires sont supérieures à l'inflation. La France a choisi une voie très différente, celle de la moyennisation : invariablement, les salaires nets, à structure constante, évoluent de l'ordre de 2,5 à 3 % par an. Il n'y a donc pas de réactivité ou d'adaptation à la conjoncture – et je conviens que nous avons notre part de responsabilité.

Je ne sais pas répondre, pour finir, à la question de savoir ce qui est raisonnable ou pas en matière de distribution des dividendes. Il appartient à un chef d'entreprise et à son conseil d'administration ou à son conseil de surveillance de veiller à l'équilibre, au respect de l'équité entre les parties prenantes. Je ne saurais indiquer le montant du dividende idéal – s'il était connu, la question serait réglée. Nous ne sommes pas favorables, en tout cas, à l'établissement de règles en la matière ; plus qu'au contrôle et à la sanction, il faut faire appel à la raison, au sens des responsabilités – attitude qui, du reste, ne doit pas être le propre des seules entreprises. Dans le monde politique comme dans le monde de l'entreprise, une majorité de personnes ont des comportements responsables quand certaines, on l'a encore vu récemment, se montrent moins scrupuleuses.

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