C'est en ma qualité d'avocate fiscaliste spécialisée en matière de fiscalité des personnes et du patrimoine que j'ai l'honneur de me présenter devant votre commission. Mon propos se concentrera donc sur la délocalisation des personnes physiques, laissant de côté celle des entreprises, qui relève davantage de l'analyse économique. Sans pouvoir vous livrer de chiffres – les statistiques sont à rechercher du côté du ministère des Finances ou de celui des Affaires étrangères –, je peux dresser le profil des candidats à l'exil et exposer les principales raisons fiscales qu'ils avancent pour justifier leur départ.
Les intentions des Français qui choisissent de s'expatrier sont multiples et ne sauraient se résumer au seul enjeu fiscal, même si celui-ci reste prégnant. Le rôle du conseil consiste alors à préciser les conditions du départ, à en définir le cadre juridique et à déterminer ce qu'il impose en matière de bouleversement des conditions de vie, de coût financier – une délocalisation à Londres implique par exemple un surcoût de logement –, de protection sociale, voire d'éducation des enfants. Il s'agit d'appréhender le départ dans sa globalité. Une délocalisation impose au contribuable et à sa famille une rupture en termes de conditions de vie au quotidien et de liens sociaux. Certains candidats à l'exil renoncent d'ailleurs à leur projet, estimant ces contraintes excessives.
L'expatriation des forces vives représente une réalité. Le phénomène n'est pas récent ; dès 1998, le premier dispositif d'exit tax se donnait pour objectif de lutter contre les délocalisations d'entrepreneurs ou de managers qui cherchaient des cieux plus cléments pour réaliser les plus-values de cession de valeurs mobilières. Depuis trois ou quatre ans, les départs ont toutefois connu une accélération. L'âge des candidats à l'exil a également changé : s'il s'agissait auparavant essentiellement de retraités ou d'entrepreneurs souhaitant céder leur entreprise à la fin de leur carrière professionnelle, les jeunes entrepreneurs sont désormais également concernés. Ceux-ci partent d'ailleurs pour des raisons dépassant la seule matière fiscale, à la recherche d'un cadre réglementaire stable et simple, à même de les accompagner sereinement dans le développement de leur entreprise. Même les enfants sont aujourd'hui pris dans le mouvement : en l'absence de convention fiscale, l'article 750 ter du code général des impôts fait tomber les actifs des parents déjà installés à l'étranger dans le champ d'application des droits de mutation à titre gratuit. C'est notamment le cas pour la Suisse depuis la dénonciation de la convention fiscale franco-suisse en matière de succession.
Pourquoi envisager l'exil ? La forte augmentation de la pression fiscale, l'instabilité législative et la complexité – voire l'illisibilité – de certaines lois nourrissent les projets de délocalisation. La comparaison de nos taux d'imposition avec ceux de nos voisins fait apparaître que c'est moins en matière de fiscalité des revenus que de celle du patrimoine que la France se trouve dans une situation désavantageuse. Le taux marginal de l'impôt sur le revenu s'établit en France à 45 % ; la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus – la fameuse « surtaxe Fillon » – le porte à 48 ou à 49 %. Ce taux n'est pas très différent de celui que connaissent nos voisins ; le décalage vient plutôt des prélèvements sociaux qui viennent s'y ajouter. En matière de fiscalité des revenus professionnels, les cotisations de sécurité sociale – déplafonnées dans notre pays – ne sont aussi lourdes qu'en Belgique et en Italie. En matière de revenus de patrimoine et de placement, les prélèvements sociaux – la CSG, la CRDS et les prélèvements sociaux additionnels – s'élèvent à 15,5 %. On en arrive donc à des taux avoisinant 60 %, qui s'appliquent également aux gains sur stock-options et actions gratuites, ces derniers se retrouvant aujourd'hui davantage taxés que les revenus salariaux – mauvais point pour l'attractivité de notre pays lorsqu'une entrreprise réfléchit au lieu où établir le siège de sa direction. On nous a envié notre système de TVA ; aujourd'hui, ce sont la CSG et la CRDS qui font rêver certains législateurs étrangers.
C'est en matière de fiscalité du patrimoine que les termes de la comparaison sont certainement les moins favorables pour la France. Le taux d'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières soumises au régime de droit commun reste élevé, s'établissant entre 60 et 32 % – la différence des taux dépend désormais de la durée de détention des actions –, alors qu'il ne dépasse pas 30 % dans la plupart des pays voisins. Il s'établit ainsi à 28 % au Royaume-Uni, à 26 % en Allemagne, à 27 % en Espagne, à 26 % en Italie ; quant à la Belgique et à la Suisse, les plus-values – sauf exceptions – n'y sont pas imposables. Un régime dérogatoire mis en place l'an passé et applicable aux plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2013 permet aux détenteurs de titres souscrits auprès de jeunes PME de bénéficier d'un abattement qui ramène le taux d'imposition à 23 % au bout de huit ans de détention. Ce taux incitatif et compétitif ne saurait toutefois concerner l'ensemble des contribuables.
Le sujet majeur reste néanmoins celui de la transmission. Depuis juillet 2011, le taux marginal d'imposition des droits de succession et de mutation à titre gratuit s'établit en France à 45 %. À partir d'un montant de 550 000 euros par part d'actifs donnés ou transmis en ligne directe, le taux applicable s'élève déjà à 30 %. Les abattements ont été réduits pour s'établir aujourd'hui, pour les successions ou les donations en ligne directe, à 100 000 euros, et le délai entre deux donations permettant de les appliquer est passé de six ans en 2011 à quinze ans en 2013. Le jeu de ces modifications rend désormais difficile d'organiser les transmissions en réalisant des donations au fil du temps. Les droits de succession belges – 30 % dans la région de Bruxelles – sont également assez élevés, mais la Belgique connaît des droits de donation extrêmement réduits – 3 % dans la même région de Bruxelles. Les transmissions sont donc systématiquement anticipées en Belgique. Certains cantons suisses – tels que Zurich – ne connaissent ni droits de succession ni droits de donation ; dans le canton de Vaud, à Lausanne, ils s'établissent à 7 %. Au Royaume-Uni, les droits de succession sont aussi relativement élevés, mais les donations réalisées plus de sept ans avant le décès sont libres de droits, ce qui permet là aussi d'anticiper les transmissions ; le régime des non domiciliés offre des avantages complémentaires. En Italie, les droits de donation et de succession, très réduits, s'élèvent à 4 %. Notre taux d'imposition s'avère ainsi nettement plus élevé que ceux de nos voisins.
La question de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) semble au contraire moins sensible aujourd'hui qu'elle ne l'était hier. La règle du plafonnement de l'impôt sur le revenu et de l'ISF à 75 % des revenus est certes moins favorable que les dispositions du bouclier fiscal, mais elle rend l'impôt acceptable. Ce n'est donc plus l'ISF qui suscite les délocalisations.
Si des taux d'imposition nettement plus élevés que ceux pratiqués par nos voisins motivent certainement en partie les départs, d'autres facteurs doivent être pris en considération. Ainsi l'instabilité législative et celle de la doctrine administrative créent-elles une zone d'insécurité qui affecte largement la confiance. Les quatre lois de finances votées en 2011 et le collectif budgétaire particulièrement chaotique adopté fin 2012 ont sans doute suscité des candidatures au départ, tout comme la tentative de l'administration fiscale, en juin 2013, de passer outre la censure du Conseil constitutionnel en matière de plafonnement de l'ISF intervenue quelques mois auparavant. Ces revirements brutaux de la doctrine et l'incertitude devant laquelle se trouvent placés certains contribuables entretiennent le malaise. Autre exemple : la possibilité ou non de qualifier une société de holding animatrice conditionne tant l'exonération d'ISF à titre d'outil de travail que la mise en place des « pactes Dutreil » qui fixent le taux marginal d'imposition de la transmission à 45 % – autant d'enjeux significatifs.
La complexité et le défaut de lisibilité des textes constituent également un facteur de départ. Certains régimes fiscaux – qui semblent avoir perdu leur objectif premier – se révèlent extrêmement lourds à gérer. Depuis le 1er janvier 2013, les plus-values sur cession de valeurs mobilières sont soumises au barème progressif de l'impôt sur le revenu et assujetties aux prélèvements sociaux de 15,5 %. Dans les conditions de droit commun, un dispositif d'abattement applicable au calcul de l'impôt sur le revenu s'établit à 50 % pour les titres détenus entre deux et huit ans et à 65 % au-delà de huit ans, ce qui ramène le taux d'imposition à 31,25 % si l'on ne tient pas compte de l'impact de la déductibilité de la CSG et de la « surtaxe Fillon ». La détention des actions sur le long terme est donc bien encouragée ; cependant, les abattements jouant de la même manière en matière de moins-value, elle peut également se révéler pénalisante. Ainsi, on peut imputer 100 % d'une moins-value réalisée moins de deux ans après l'acquisition du titre ; mais au bout de huit ans de détention, on ne peut plus en imputer que 35 % en régime de plein droit et 15 % en régime dit incitatif. Taxer ainsi les pertes apparaît absurde et n'encourage pas le risque.
Le dispositif de l'exit tax représente un autre exemple de la complexité des textes. Les deux formulaires à compléter au moment du départ fiscal – 2074ETD et 2074ETS – comportent onze pages chacun, leurs notices en comptant plus de vingt. Si l'on détient plus de deux participations – ce qui amène à dupliquer les déclarations –, on se voit obligé, au moment du départ, de remplir cinquante ou cent pages. De plus, certains formulaires ne sont toujours pas disponibles, la succession de trois régimes différents d'exit tax rendant difficile pour l'administration fiscale de publier les documents dans les délais. Si cela ne signifie pas qu'il est devenu impossible de satisfaire ses obligations fiscales, il semble en revanche nécessaire, tant pour les particuliers que pour l'administration fiscale, d'alléger les formalités déclaratives des contribuables.
Pour limiter les impacts potentiels de la fiscalité sur l'attractivité de notre pays, il nous faut sortir de l'impôt abscons dont la complexité confine à l'absurdité. Le monde s'ouvre mais la France se replie sur elle-même, poussant ses forces vives à l'exil. Avec la naïveté du bon sens, je conclurai en disant que c'est moins un régime d'exit tax qu'un régime d'attractivité du territoire qui doit nous permettre de conserver notre compétitivité.