Intervention de Nicole Goulard

Réunion du 18 septembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Nicole Goulard, avocate fiscaliste associée au cabinet Jeantet Associés :

Le nombre de dossiers a doublé, voire triplé depuis trois ans. Certes, je ne dispose pas des chiffres de mes confrères, aussi ma vision reste-t-elle très parcellaire.

L'exit tax ne bloque en aucun cas les départs ; au contraire, au terme d'un effet pervers constaté dès la mise en place du premier dispositif en 1998, il conduit à les anticiper, conduisant les personnes à s'expatrier avant que la plus-value latente de l'entreprise n'atteigne un niveau trop important.

Depuis 2006 – année marquée par les affaires Vinci et EADS –, le législateur s'est attelé à renforcer la taxation des gains sur stock-options et attributions gratuites d'actions. Aux termes de la loi de finances rectificative pour 2012, les gains de levée – pour les stock-options – et les gains d'acquisition – pour les actions gratuites – sont taxés à la même hauteur que les salaires, avec un taux marginal de 45 %. À cela s'ajoutent d'une part les prélèvements sociaux – la CSG et la CRDS – qui s'élèvent à 8 %, et d'autre part une contribution sociale forfaitaire de 10 % due au moment de la cession des titres. On arrive ainsi aujourd'hui à un taux cumulé supérieur à celui qui pèse sur les salaires. Ainsi, pour les tranches de revenu excédant 300 000 euros – où les cotisations de sécurité sociale et les prélèvements sociaux représentent un peu moins de 10 % –, pour tout euro supplémentaire de salaire, le taux de prélèvement – cotisations de sécurité sociale et impôt sur le revenu confondus – fluctue entre 51 et 55 %, selon que l'on y applique ou non la « surtaxe Fillon » de 4 %. Le taux d'imposition qui pèse sur les gains de stock-options et d'actions gratuites s'établit quant à lui entre 60 et 64,5 %, posant de graves problèmes aux entreprises – en particulier non cotées – qui ont besoin de cet instrument pour motiver leurs cadres. Notons que dans les législations étrangères, la taxation de ces gains est au pire égale à celle des traitements et des salaires.

De plus, les stock-options et les attributions gratuites d'actions donnent lieu, du côté de l'entreprise, au paiement d'une contribution patronale de 30 %, due à la date où l'on consent les droits, c'est-à-dire avant de distribuer effectivement les actions. Ainsi, même si les cadres concernés quittent l'entreprise ou que les objectifs de performance qui leur ont été fixés ne sont pas atteints, et que les actions ne sont donc pas distribuées, l'entreprise aura néanmoins payé. Cette taxe très élevée se révèle ainsi plus chère que des charges sociales qui, elles, ne sont dues qu'au moment où les actions sont effectivement distribuées aux bénéficiaires. Il faudrait réinsuffler du dynamisme dans les plans d'actionnariat.

Je reviens sur la volonté farouche de l'administration, en juin 2013, de contourner la censure du Conseil constitutionnel en matière d'ISF. Dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012 et de la loi de finances pour 2013, on a débattu du périmètre des revenus à retenir pour le calcul du plafonnement de l'impôt sur le revenu et de l'ISF – mesure qui date de la suppression du bouclier fiscal. La loi a finalement prévu d'intégrer dans la notion de revenu un certain nombre d'éléments qui ne relèvent pas du revenu disponible, notamment les dividendes accumulés au sein d'une société contrôlée par le contribuable et la valorisation des contrats d'assurance vie. Ce dispositif a fait l'objet d'une censure du Conseil constitutionnel. Or le 14 juin 2013 – alors que les déclarations d'ISF avaient quasiment toutes été déposées –, une instruction a été publiée enjoignant de compter la prise de valeur des contrats d'assurance vie en euros parmi les revenus à retenir pour le calcul du plafonnement de l'ISF 2013. Cet incident a créé beaucoup d'émoi ; l'instruction étant non conforme à la Constitution et illégale – puisqu'elle ajoutait aux textes de loi –, elle a été annulée par le Conseil d'État statuant sur un recours.

Le plafonnement actuel de l'ISF à 75 % des revenus reste élevé, mais il n'excède que de quinze points les 60 % du bouclier fiscal. Certes, les contribuables concernés se seraient bien passés de cet impôt ; mais les modalités actuelles du plafonnement le rendent acceptable. Il ne figure pas parmi les motifs de délocalisation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion