Intervention de Jean-Paul Cluzel

Réunion du 23 septembre 2014 à 15h00
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Jean-Paul Cluzel, président de la Réunion des musées nationauxGrand Palais, Rmn-GP :

Un établissement public tel celui que je préside est forcément intéressé par un projet qui tend à ce que de nombreux musées du monde s'exposent dans l'axe culturel du Grand Paris. Le Grand Palais, monument républicain, a été construit pour l'Exposition universelle de 1900. L'idée de centrer l'Exposition universelle sur le patrimoine existant et de le mettre en valeur est plaisante. La seule limitation qui s'impose à nous vous a été dite par mes collègues Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre et Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux : nous accueillons déjà un public fort nombreux et, à installations égales, le supplément de visiteurs que nous pourrions recevoir n'est pas très élevé. Quelque 10 millions de visiteurs viennent chaque année au musée du Louvre ; une fois l'accueil du public réaménagé, 12 millions pourront vraisemblablement être reçus. De même, si le Gouvernement avalise le projet de modernisation du Grand Palais et de réaménagement urbain de l'espace environnant, notre capacité moyenne d'accueil du public passera de plus de 12 000 à quelque 20 000 personnes. Selon les expositions, le Grand Palais et le Palais de la découverte reçoivent entre 2 et 3 millions de visiteurs ; nous pourrions alors en recevoir entre 4 et 5 millions, mais notre marge de progression ne va pas au-delà.

Or l'Exposition universelle de 1900 a reçu 52 millions de visiteurs, et celle de Shanghai, en 2010, plus de 73 millions. Tout dépend donc de l'objectif visé : veut-on accroître très sensiblement le flux naturel de visiteurs étrangers et français – ils sont 60 millions chaque année – ou choisit-on d'orienter le sens de leur visite en définissant un projet culturel, humain et politique fort ? Si l'on s'appuie sur les infrastructures existantes, le taux de fréquentation peut être accru, mais dans les proportions que j'ai dites ; c'est la seule limitation qui me vient à l'esprit.

J'aimerais rappeler ce qu'est la Réunion des musées nationaux – Grand Palais et ce qu'est le projet de sauvegarde et d'aménagement du Grand Palais. L'établissement public vit majoritairement de ses ressources propres, dont une part essentielle provient des activités événementielles organisées sous la nef : Biennale des antiquaires, Paris Photo, FIAC, défilés de mode… Nous organisons d'autre part des expositions dans les galeries. Notre mode d'exploitation des bâtiments peut donc poser problème ; en cas d'exposition universelle, on voudra bien sûr utiliser la nef, emblématique, mais la fermer pendant six mois à nos clients habituels, qui sont les grandes maisons de mode et les grands salons internationaux, c'est prendre le risque de les perdre. Le risque est d'autant plus réel que les travaux à venir imposeront la fermeture du monument pendant deux ans, l'achèvement des travaux ayant lieu en 2022 ; il serait malvenu de rouvrir en 2023 mais de devoir presque immédiatement fermer la nef à ces activités commerciales qui nous rapportent l'essentiel de nos ressources. La nef pourrait être utilisée lors de l'exposition, mais à des moments déterminés.

Plusieurs raisons rendent nécessaires de grands travaux au Grand Palais. La première est que lors de la restauration de la verrière, achevée en 2004, seule a été rénovée la partie de la toiture située au sud, et 20 000 mètres carrés restent à traiter. Il faut mettre l'ensemble hors eau et réparer les outrages dus au temps et au manque d'étanchéité en réhabilitant une série de sculptures et de ferronneries. La deuxième raison, cruciale au cas où se tiendrait une exposition universelle, est la nécessaire mise aux normes. Elle n'est pas acquise pour l'instant, qu'il s'agisse de la protection contre l'incendie ou de l'accès des personnes à mobilité réduite.

La troisième raison, c'est l'indispensable réaménagement du bâtiment. Lors de sa construction, en 1900, le Grand Palais était un ensemble cohérent et modulable. Le cloisonnement qui a eu lieu par la suite a pour effet que le passage entre le Palais de la découverte, la nef, les deux galeries nationales et les autres galeries plus récentes ne peut se faire que par l'extérieur. De plus, l'utilisation de chacun de ces espaces est subordonnée à celle des autres. Ainsi, faute de monte-charge ailleurs, il faut, pour apporter dans les galeries le matériel servant à installer les expositions, passer par la nef, et pour cela attendre qu'elle soit libre d'occupation. Cela entrave sérieusement la modulation de l'exploitation.

C'est pourquoi, lorsque le décret fusionnant la Réunion des musées nationaux et l'Établissement public du Grand Palais des Champs-Élysées a été pris, il m'a été demandé de présenter un schéma directeur permettant une exploitation normale. Ce schéma directeur devait combiner la sauvegarde du monument, sa mise aux normes, l'augmentation de sa capacité d'accueil et la réalisation de tout aménagement logistique permettant l'exploitation modulaire du bâtiment. L'ensemble peut déboucher sur un mode de financement des travaux original : l'État prendrait à sa charge la part des monuments historiques, mais l'établissement public pourrait vraisemblablement contribuer de manière significative à l'autofinancement des travaux puisque notre chiffre d'affaires qui est aujourd'hui, hors expositions, de l'ordre de 10 millions d'euros, pourrait passer, en euros 2013, à 20 millions d'euros, voire davantage. Ce projet capital et innovant accroîtrait donc une valeur ajoutée qui résulte pour 40 % de la mode et pour 30 % des foires et salons, activités françaises à la fois difficilement délocalisables et très tournées vers l'exportation. Il y a une très grande cohérence entre nos activités et un projet d'exposition universelle, en raison de l'histoire du Grand Palais mais aussi des activités qui s'y déroulent – expositions qui, parce que nous n'avons pas de collections permanentes, sont essentiellement produites grâce à des prêts d'oeuvres venant du monde entier, ou activités événementielles, qui sont essentiellement le fait d'entreprises françaises dont le gros du chiffre d'affaires se fait à l'international.

Les architectes qui ont emporté le concours d'aménagement du Grand Palais ont proposé au Président de la République et à la Ville de Paris, la « piétonisation », ou du moins une circulation très douce entre le Grand Palais et le Petit Palais, et la suppression de l'avenue du général Eisenhower. On créerait ainsi une esplanade qui changerait la nature du quartier, et l'on peut imaginer qu'au cours d'une exposition universelle des événements symboliques majeurs s'y tiendraient, en plus des événements qui pourraient avoir lieu dans le bâtiment lui-même. Ce projet d'aménagement urbain concernerait aussi la partie des jardins jouxtant la présidence de la République, une idée à laquelle le président François Hollande s'est montré particulièrement ouvert. Le secrétaire général de la Ville de Paris m'a indiqué qu'un projet moins ambitieux, prévoyant une circulation plus douce avenue Marigny, avait rencontré l'entier assentiment de l'ancien président Sarkozy. Profiter du réaménagement nécessaire du Grand Palais pour modifier son environnement me semble une idée propice à des événements culturels et artistiques, à des spectacles d'art vivant dans l'esprit d'une exposition universelle, avec des intervenants français ou étrangers. Ce projet serait en soi un atout pour la candidature française, et j'espère que le Gouvernement prendra une décision définitive fin 2014 ou au début 2015, permettant ainsi l'achèvement de l'essentiel des travaux en 2022.

J'en viens aux questions que vous m'avez transmises par écrit, la première étant : « À quelles conditions une exposition universelle du XXIe siècle pourrait-elle à nouveau lier son histoire à celle du Grand Palais ? ». Ce lien est pour nous une évidence. Il y aurait, je vous l'ai dit, une difficulté à envisager un événement durant six mois sous la nef en évinçant notre clientèle habituelle ; mais pour tous les autres lieux du bâtiment, le problème ne se pose pas. Il y aurait donc des restrictions à son utilisation, mais je ne verrais que des avantages à organiser sous la nef, quand le calendrier le permet, des événements majeurs, puisqu'elle permet le déroulement de manifestations d'une certaine ampleur dans une ambiance bien différente de celle d'un grand stade. On peut aussi envisager une installation d'été à partir de la deuxième semaine de juillet jusqu'à la fin du mois d'août, période de l'année pendant laquelle nous avons moins de clients commerciaux. Nous pouvons aussi décaler la programmation habituelle des galeries nationales pour tenir pendant ce semestre-là au moins deux grandes expositions, produites par des pays invités ou en co-production avec de grandes institutions de ces pays, sur le modèle de ce qui sera fait à l'occasion de l'Année de la Corée ou de l'Année du Mexique en France.

On peut aussi imaginer des projections sur l'immense façade du Grand Palais, comme cela a été fait lors de la présidence française de l'Union européenne. On peut encore envisager installations artistiques et spectacles vivants sur la nouvelle esplanade, dans l'espace situé entre le Grand et le Petit Palais, entre les galeries nationales et les Champs-Élysées, ainsi qu'aux alentours des berges de la Seine, sur le Cours la Reine, l'esplanade des Invalides et le Champs de Mars. On peut réaliser en ces lieux qui ont le Petit et le Grand Palais pour centre des manifestations sensiblement différentes de ce qui a été fait ailleurs récemment.

« Faut-il envisager des pavillons hors les murs, en bordure ou en entrée de site, ou peut-on imaginer des installations éphémères dans les locaux mêmes ? » me demandez-vous aussi. J'ai noté que mes collègues Jean-Luc Martinez et Philippe Bélaval penchent en faveur du « hors les murs ». Nous sommes plus favorables à des gestes artistiques conçus comme autant de totems et de signes de piste pour un voyage urbain, marquant la réappropriation par le plus grand nombre d'une culture patrimoniale, contemporaine et numérique, qu'à des installations qui risqueraient d'être de petite taille et qui ne résoudraient pas complétement la question de la capacité d'accueil des visiteurs.

À l'occasion des expositions universelles de 1900 et de 1937, on avait largement construit, mais j'ai le sentiment que l'on répondrait mieux à l'approche différente retenue cette fois par des installations et des événements dans nos murs. Si la nécessité de monuments nouveaux se fait jour, elle trouvera sa réponse dans les gares du nouveau métro express, dont l'ouverture coïncidera avec la tenue de l'exposition universelle de 2025, et avec des projets tels qu'Europa City. Si l'on souhaite construire, mieux vaudrait se projeter du côté des nouvelles tours qu'envisage la Ville de Paris dans les arrondissements périphériques plutôt qu'aux abords de nos monuments – ce qui n'empêcherait pas de concevoir des installations éphémères destinées à la billetterie.

À ce propos, vous m'avez interrogé sur les moyens de conjuguer les réservations faites par les visiteurs depuis le portail numérique de l'exposition avec nos propres billetteries. En cette matière, les musées parisiens ont encore de grands progrès à faire et la possibilité d'une réservation unique n'existe pas. Mais je ne peux envisager que si le principe de l'exposition universelle était adopté, nous n'ayons pas mis au point d'ici 2025 un Pass unique : un prix d'accès à tous les musées serait fixé, et l'on répartirait les recettes au prorata des visiteurs reçus et des coûts engagés par chaque institution. L'autre solution, consistant à prévoir un billet pour chaque site en co-production avec l'organisme gestionnaire de l'exposition universelle, ne me paraît pas correspondre à l'esprit d'un tel événement ; la fragmentation de l'exposition impose au contraire un Pass général.

Faudrait-il confondre les visiteurs habituels et les visiteurs de l'exposition universelle ou séparer les files d'attentes ? Tout dépend des manifestations. Toutefois, il arrive que cinq événements, sinon davantage, se tiennent simultanément au Grand Palais, et le souci d'assurer la fluidité des flux nous incite généralement à prévoir des files d'accès séparées, même si le paiement se fait en une fois avec une carte magnétique ; cela facilite aussi les contrôles de sécurité, dont rien ne laisse à penser qu'ils iront s'allégeant.

Vous me demandez comment les pays invités pourraient s'exposer dans nos monuments. Puisque l'idée directrice est d'accueillir les pays exposants dans le patrimoine existant et que chacune des institutions considérées a une politique scientifique et culturelle affirmée, plutôt que de dire à tel ou tel pays « on vous offre 2 000 m² », il nous paraîtrait plus intéressant d'instaurer entre pays invités et institutions d'accueil un dialogue tendant à des co-productions à partir des thèmes retenus pour l'Exposition. Certains de mes collaborateurs suggèrent de lancer des concours d'idée pour définir ce que l'on attend de la Chine, du Mexique, de la Serbie… Un tel dialogue serait grandement facilité par les technologies numériques, qui ont fait évoluer le concept même de commissariat d'exposition.

Votre dernière question – quels thèmes choisir ? – n'est pas la plus facile. L'histoire des expositions universelles récentes montre que l'on a toujours mis l'accent sur la modernité et l'humanité, thèmes également évoqués de manière récurrente au long des auditions que vous avez menées. Cela étant, alors que nous réfléchissions à ce que représente Paris pour d'innombrables personnes dans le monde, Vincent Poussou, ici présent, a suscité l'enthousiasme de notre équipe en suggérant le thème de l'amour, du désir et du sentiment, que l'on pourrait résumer d'un trait : « Aimer hier, aujourd'hui, demain »… Le projet est de s'appuyer sur le patrimoine français et étranger – et l'amour, thème universel, est l'un de ceux qui ont été le plus souvent traités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion