La question du temps de travail est fondatrice pour le droit du travail. La première loi du travail, celle du 22 mars 1841, qui visait à limiter le temps de travail pour les enfants a été suivie d'une série de textes ayant pour objectif de préserver la santé au travail des femmes et des mineurs en établissant des durées maximales de travail.
Dans un premier temps, la régulation du temps de travail a donc été exclusivement protectrice. Dans un second temps, elle a, d'une part, permis d'organiser la vie de l'entreprise et la vie personnelle des travailleurs, et, d'autre part, servi de curseur économique pour mesurer la durée du travail et calculer sa rémunération.
La norme « temps de travail » a en conséquence permis d'assumer progressivement trois fonctions essentielles : protéger, organiser, rétribuer. Au fur et à mesure de cette évolution, le débat sur le temps de travail est évidemment devenu plus complexe, et les sources de droit se sont diversifiées. La « protection » a d'abord été organisée par la loi avant que la source conventionnelle ne joue un rôle de plus en plus grand quand le temps de travail a servi à « organiser » et à « rétribuer ». Plus récemment, le droit européen a également édicté des normes, notamment en ce qui concerne la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Cet enchevêtrement de sources rend parfois complexe la lecture des règles applicables.
Le « temps de travail » constitue le domaine privilégié de la négociation collective. C'est dans ce domaine qu'apparaissent en 1982 les accords dérogatoires qui peuvent être moins favorables que la loi. La négociation collective devient alors le point de fixation d'un compromis sur le bon niveau de régulation dans l'entreprise. Depuis cette époque, sa sphère d'action n'a fait que s'accroître. Alors que l'on comptait deux mille accords d'entreprise par an au début des années 1980, environ dix mille étaient signés tous les ans dans les années 1990, et nous en enregistrons, depuis cinq à six ans, environ trente-cinq à quarante mille annuellement, dont un quart porte sur le temps de travail. La négociation collective occupe donc une place croissante, en particulier au niveau de l'entreprise, et les lois successives lui ont attribué un rôle de plus en plus grand dans l'organisation du travail.
En matière de temps de travail, il faut distinguer le quantitatif du qualitatif.
L'approche qualitative nous amène à nous interroger sur l'efficacité des outils qui donnent la capacité à l'entreprise d'organiser son activité. Les règles relatives à l'organisation du temps du travail ont longtemps fait l'objet d'un empilement dans une logique de réponses successives aux problèmes nouveaux. Cette pratique, en partie choisie par les lois Aubry, mène à une perpétuelle fuite en avant car le décalage est constant entre les besoins nouveaux et les outils existants. Au contraire, si ces derniers sont souples et malléables, comme cela est prévu dans la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, ils permettent aux acteurs de s'organiser efficacement et de s'adapter en permanence, car ils renvoient largement aux négociateurs le soin de trouver un point d'équilibre. Il existe ainsi désormais un système unifié d'aménagement du temps de travail avec très peu de clauses obligatoires alors que l'on pourrait vite tomber dans la caricature en décrivant la législation antérieure. La Cour de cassation avait par exemple jugé à juste titre que l'obligation de prévoir un programme indicatif en matière de modulation du temps de travail au niveau de l'entreprise mais aussi de la branche remettait en cause la modulation elle-même. Autre exemple : les salariés à temps partiel ne pouvaient pas profiter des jours de RTT créés par la loi Aubry II uniquement pour ceux qui effectuaient un temps plein.
Aujourd'hui, les outils performants existent bien, même s'il est vrai que certains, comme le forfait jours qui a donné lieu à un véritable feuilleton, mériteraient davantage de commentaires.
La principale question posée est cependant relative au bon niveau d'intervention : l'entreprise, la branche ou la négociation directe. J'estime, pour ma part, que le niveau de l'entreprise doit être privilégié. À côté d'outils qui ne peuvent être mis en place que par la négociation collective, il faut que les entreprises dans laquelle elle n'est pas possible disposent d'un kit permettant d'organiser le temps de travail.
L'approche quantitative consiste à fixer une référence pour la durée de travail, et des règles relatives à son dépassement qui se traduisent en termes de rétribution. Elle pose d'abord une question politique : la durée du temps de travail en France est-elle suffisante ? Pour y répondre, il est possible de se pencher sur les indicateurs qui nous permettent de nous comparer à nos voisins européens. Les données de l'INSEE, d'Eurostat et de la DARÉS montrent que la durée de travail hebdomadaire des salariés à temps plein est dans notre pays inférieure d'environ une heure à celle de nos voisins allemands et espagnols, qui correspond à la moyenne européenne. Ce constat ne concerne que les salariés à temps plein : il exclut les salariés à temps partiel et les travailleurs indépendants. Si le temps travaillé en France n'est pas suffisant, il faut alors trouver les leviers qui permettent d'augmenter réellement la durée du travail, car, comme l'avait constaté le sociologue Michel Crozier, « on ne change pas la société par décret ».
Une question se pose ensuite concernant la relation entre l'accord collectif et le contrat de travail. Que faire si le salarié refuse une modification de son contrat de travail issue d'une réduction conventionnelle du temps de travail ? La loi Aubry II avait abordé le problème mais la question qui était restée en suspens avait donné lieu à un débat jurisprudentiel. La loi dite « Warsmann » du 23 mars 2012 a finalement sécurisé la situation en contredisant l'arrêt du 28 septembre 2010 de la Cour de cassation selon lequel : « L'instauration d'une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l'accord exprès du salarié ». Le sujet était d'autant plus complexe que la France, influencée par le modèle allemand, s'interrogeait sur l'introduction d'une souplesse de la régulation du temps de travail et de sa rémunération à la hausse ou à la baisse. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi a ainsi créé les accords de maintien de l'emploi qui, durant deux ans, peuvent modifier la durée de travail et la rémunération, et qui règlent la question du refus du salarié, pour les entreprises en difficulté.
Enfin, il persiste un problème concernant le tissu conventionnel. Selon un certain nombre d'acteurs, les lois Aubry et les trente-cinq heures sont trop complexes. Ceux-là estiment qu'il est difficile de s'organiser et de faire évoluer les dispositifs prévus. Le plus souvent le problème provient de la difficulté à faire vivre le tissu conventionnel. Dans mes fonctions actuelles, quand je conseille de négocier un avenant, je constate souvent que mes interlocuteurs craignent d'ouvrir la boite de Pandore et de revenir à un débat qui a été pour eux difficile. Ce réflexe se rencontre moins fréquemment dans la génération renouvelée des DRH qui n'ont pas connu la négociation des accords postérieurs aux lois Aubry. Ce constat me conduit à distinguer la question de la complexité de celle de la sécurité. Il est possible de vivre avec de la complexité, mais il est difficile de vivre dans l'insécurité. L'édifice juridique gagne à la simplicité, mais il a avant tout besoin de règles sûres et stables.