Pour ce qui concerne le niveau d'intervention, la loi du 20 août 2008 a amorcé un mouvement, qui pourrait être amplifié, en posant une règle concernant plusieurs dispositions relatives à l'aménagement du temps de travail et disposant que l'accord de branche ne s'applique qu'à défaut de précision de l'accord d'entreprise. Ce choix du niveau de l'entreprise est particulièrement cohérent avec la transposition par la même loi de la « position commune » du 9 avril 2008 pour ce qui concerne la représentativité syndicale. La réforme de la représentativité fonde en effet la légitimité des négociateurs syndicaux sur les scores électoraux obtenus au sein de l'entreprise : il est donc logique de rester au même niveau pour ce qui concerne la durée du travail – cela a amené à ne pas transposer l'article 17 de la « position commune » consacré au temps de travail et à opter pour une réforme plus large.
Les règles relatives au travail peuvent se ranger par catégories. Les premières relèvent de l'ordre public absolu et sont de nature législative : la négociation collective ne doit pas pouvoir les modifier. Les deuxièmes sont d'ordre public social : il est possible de les modifier par un accord collectif, mais uniquement pour les améliorer. Toutes les règles relatives au temps de travail ayant pour objet la préservation de la santé et de la sécurité, comme celles concernant la durée maximale du travail ou les temps de repos quotidiens ou hebdomadaires, doivent relever de cette catégorie. Une troisième série de règles peut être renvoyée à la négociation. En matière de temps de travail, elle doit selon moi intervenir au niveau de l'entreprise. Sur certains sujets, la branche garde cependant une vraie utilité même si elle est aujourd'hui en crise : le nombre d'accords de branche n'a guère progressé en quarante ans alors que celui des accords d'entreprise a été multiplié par vingt. Les nouveaux outils dont dispose le ministre du travail grâce à la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale doivent lui permettre de mieux faire vivre les branches.
La durée légale du travail n'est pas uniquement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Elle sert aussi de durée de référence pour l'application uniforme de dispositifs définis en valeur relative comme le temps partiel ou l'activité partielle autrefois appelée chômage partiel.
Avec le statut du cadre dirigeant, nous ne sommes pas à l'abri d'un coup de Trafalgar semblable à la tempête que nous avons connue sur le forfait jours. Le juge avait considéré que la directive européenne de 1993 fixant des normes en matière de temps de travail et de temps de repos ne permettait d'adopter une législation dérogatoire pour les cadres disposant d'un pouvoir de décision autonome que dans le respect les principes généraux de protection de la santé et sécurité. À défaut d'accords collectifs fixant des garanties suffisantes en la matière et garantissant que l'amplitude et la charge de travail restent « raisonnables », le dispositif dérogatoire des forfaits jours, mis en place en 2000, avait donc été remis en cause par la Cour de cassation en 2011. Je crains qu'un raisonnement similaire puisse un jour s'appliquer au statut des cadres dirigeants.
Les forfaits jours concernent aujourd'hui 15 % des salariés, soit trois millions de personnes. L'outil répond donc indéniablement à un véritable besoin des entreprises. Du point de vue du droit positif, un équilibre a été trouvé entre souplesse et régulation avec la loi de 2008 qui a fixé un nombre maximal de jours travaillés par an, et elle a prévu un entretien obligatoire. Le feuilleton jurisprudentiel que j'ai évoqué pose toutefois problème. La directive européenne interroge l'Union européenne et sa capacité à faire vivre un corpus de règles sur lesquelles elle garderait une prise. Alors que la directive a désormais plus de vingt ans et qu'elle n'a pas pu être révisée, la jurisprudence communautaire sur le sujet s'est développée. Autrement dit, le vide laissé par les politiques, en l'espèce les États et le Parlement européen, a été comblé par le juge. Ce n'est pas satisfaisant. Pour résoudre le problème, peut-être faudrait-il donner plus de poids aux partenaires sociaux au niveau communautaire ?