Intervention de Frédéric Valletoux

Réunion du 18 septembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France :

Merci de nous recevoir. Afin d'illustrer l'application de la réduction du temps de travail dans les établissements publics de santé, nous avons mené une enquête qui nous a permis de dresser un état des lieux de la situation des établissements, sachant qu'il existe peu de statistiques sur le sujet.

Il ressort de cette enquête une très grande diversité dans l'application du décret de 2002, y compris pour des établissements de taille comparable et aux caractéristiques similaires. Cette hétérogénéité est le produit d'une méthode de concertation initiale biaisée par les perspectives d'attribution de moyens, contrainte par les délais, et par un climat social dégradé.

Dans la plupart des établissements, la mise en place des 35 heures a été l'occasion d'une large concertation avec, comme objectifs principaux, l'obtention de moyens et le maintien de la paix sociale. Peu d'établissements ont alors pris en compte les effets induits par la diminution du nombre de jours travaillés sur leurs organisations. En outre, un certain nombre de considérations locales ont parfois présidé à la définition des contours de la RTT.

Je vais donc vous présenter les impacts de la RTT, avant d'évoquer des pistes de propositions.

La mise en place des 35 heures a souvent été présentée comme la perspective d'un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Or à l'hôpital on en est loin. C'est le premier constat.

En effet, la mise en place des 35 heures a été comprise par beaucoup de professionnels comme la création d'un « droit » à jours de congés supplémentaires, dans la perspective de ce meilleur équilibre vie privée vie professionnelle. Pour un soignant, travailler moins de jours dans l'année apparaît comme une manière de réduire la pénibilité du travail. Toutefois, la réduction du temps de travail a mis les organisations sous tension. Le nombre de jours travaillés ayant diminué et l'ensemble des postes n'étant pas pourvu, les agents peuvent être rappelés pendant leurs congés, changent de planning régulièrement, réalisent des heures supplémentaires non régulées par des adaptations des organisations de soins. In fine, la mise en place de la RTT ne s'est pas traduite par une baisse significative de la pénibilité, et encore moins de l'absentéisme. Le meilleur indicateur de cette désorganisation induite par la RTT est le nombre de jours stockés sur les comptes épargne-temps (CET) – 5,9 millions de jours comptabilités à la fin de l'année 2010. Le « droit » compris comme acquis n'est donc que virtuel.

Deuxième constat : la recherche de la paix sociale a abouti à la signature rapide de protocoles visant le maintien des organisations et la recherche de moyens supplémentaires.

Maintien des organisations, car les 8 heures, ou 7 h 48, sont devenues 7 h 45, 7 h 36 ou 7 h 30. On continue ainsi à avoir des soignants du matin, de l'après-midi et de la nuit. Les admissions se font l'après-midi. Les sorties, les soins techniques et les explorations continuent à être programmés le matin. Les transmissions réunissent toujours pendant en moyenne trente minutes un nombre important de soignants. Ce maintien des organisations au moyen de durées journalières de travail proche de huit heures a créé des perturbations, au détriment des patients et des agents eux-mêmes dont la régularité des plannings n'est plus garantie.

La recherche d'attribution de moyens supplémentaires a été pensée dans un système de financement encore sous dotation globale, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui avec la tarification à l'activité (T2A). Je veux rappeler ici que, selon le rapport Acker de 2005, 32 000 emplois non médicaux sur 37 000 initialement prévus auraient ainsi été créés dans le secteur sanitaire. Par ailleurs, si le recrutement de 5 000 personnels médicaux était prévu, la totalité de ces postes n'a pas été pourvue faute de crédits, mais également de candidats.

Ainsi, les protocoles issus de cette époque ont généré depuis douze ans des effets délétères sur la situation des établissements. Je veux insister sur deux points.

D'abord, la pénurie du temps médical. Il faut rappeler que 24 % des postes de praticiens hospitaliers temps plein sont aujourd'hui vacants. Pour certains établissements et dans certaines spécialités, comme la radiologie et l'anesthésie, cette situation est devenue extrêmement problématique, avec comme conséquence un risque de détérioration de la qualité du travail. Par ailleurs, la transposition de la directive européenne sur le temps de travail de 2003 a eu pour conséquence de comptabiliser les gardes comme du temps de travail effectif, et de confirmer l'obligation d'une période minimale de repos de onze heures consécutives par période de vingt-quatre heures. Cette modification majeure dans le décompte du temps de travail des médecins à l'hôpital, associée à la réduction du temps de travail, a donc renforcé la pénurie du temps médical dans les établissements publics.

Ensuite, la mise en place de la T2A et la diminution des durées de séjour sont venues perturber la mise en place des 35 heures. Il faut rappeler que la durée moyenne de séjour en médecine et en chirurgie obstétrique a été divisée par deux entre 1980 et 2011, et plus encore pour les soins en psychiatrie et les durées de séjour en soins de suite et de réadaptation. La rotation des patients dans les services de soins s'est donc accélérée avec la diminution de la durée moyenne de séjour ; or les entrées et sorties des patients génèrent d'importantes charges de travail, tant pour les infirmières et les aides soignantes, que pour les médecins. Cette accélération a mis les organisations sous tension, au moment où la durée du travail était elle-même réduite.

Au titre des impacts majeurs de la RTT, il faut également souligner une augmentation sans précédent de la masse salariale ces dernières années – + 30 % entre 2002 et 2012 –, ce qui a majoré fortement le coût du travail dans le secteur public.

Cette situation a logiquement contribué à développer le recours à l'intérim. Aujourd'hui, si le recours à l'intérim paramédical a tendance à diminuer, le recours à l'intérim médical, lui, ne fait qu'augmenter. Le montant des dépenses liées aux sociétés d'intérim s'est élevé à plus de 67 millions d'euros en 2011, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2010.

En outre, si la durée du travail de nuit – de 32 h 30 par semaine selon la réglementation en vigueur depuis 2004 – constitue un élément d'attractivité pour de nombreux personnels, elle représente un coût très élevé pour les établissements publics, estimé à 69 millions d'euros.

Dans ce contexte, la question du temps de travail se pose avec acuité dans nos établissements.

Depuis 2002, la réglementation sur la gestion du temps de travail des professionnels hospitaliers a connu des évolutions régulières.

Ainsi, il a été considéré que, même en congé de maternité, l'agent continuait à générer des droits à RTT. Or la considération selon laquelle un temps non travaillé génère des droits à repos n'est pas sans conséquence sur la continuité des soins, la qualité des organisations et les finances hospitalières. Ce surcoût est en effet évalué à 78 millions d'euros.

En outre, la transposition de la directive sur le temps de travail est venue rappeler que le temps de déplacement des médecins pendant les astreintes relevait du temps de travail, décompté comme tel, et déclenchait un repos de sécurité de onze heures consécutives à la suite. Cette réglementation ne s'appliquant qu'aux professionnels salariés, les médecins libéraux qui exercent en clinique en sont exonérés.

La conjonction de ces différentes dispositions a eu pour conséquence de diminuer fortement les ressources humaines médicales et non médicales disponibles. Dans un contexte où la ressource médicale et paramédicale est de plus en plus rare et chère, de nombreux établissements ont alors initié des démarches de réorganisation et de renégociation de leurs accords RTT.

C'est ainsi que l'on voit se développer aujourd'hui des modalités horaires allant d'organisations du travail en sept heures à des cycles de douze heures. La mise en place de l'horaire dérogatoire de douze heures doit obéir à un formalisme strict, mais permet le cas échéant de répondre à des organisations de soins spécifiques – réanimation, urgences, activités chirurgicales, etc. Depuis quelques années, plusieurs établissements sont enclins à étudier cette possibilité organisationnelle pour un plus grand nombre d'activités, y compris dans le secteur médico-social. Il s'agit le plus souvent d'une demande émise par les soignants eux-mêmes, motivée par la réduction du nombre de jours travaillés, contribuant ainsi à un meilleur équilibre vie professionnelle vie privée.

Ainsi, la mise en place des 35 heures est incontestablement à l'origine de difficultés organisationnelles et financières, dont les hôpitaux peinent à se remettre plus de dix ans après. L'enjeu n'est pas de remettre en cause cette réglementation du temps de travail et de revenir en arrière. Dans un contexte budgétaire contraint, l'enjeu est de donner les moyens aux hôpitaux de mettre en place des organisations du travail adaptées aux besoins des patients. Cela m'amène à vous présenter nos trois propositions.

La première est la nécessité de recentrer les organisations du travail sur la prise en charge du patient.

Depuis douze ans, en effet, les organisations internes des établissements de santé et médico-sociaux reposent sur une structuration horaires des journées de travail : on planifie le temps de travail et, ensuite seulement, les prises en charge. Il faut aujourd'hui recentrer les processus organisationnels autour du soin, en veillant à l'articulation avec le temps médical. Pour cela, il faut évaluer les organisations requises, les prestations de soins à réaliser, et planifier les temps de travail qui vont permettre de les réaliser. Cette nouvelle donne permettra de moderniser les organisations et de redonner du sens au travail des personnels hospitaliers.

La deuxième proposition est de créer une stratégie territoriale.

Le Gouvernement souhaite inscrire au calendrier parlementaire un projet réformant l'hôpital qui place l'approche territoriale au coeur de la stratégie de santé. Nous souhaitons nous-mêmes la révision des organisations par une approche territoriale, grâce à laquelle les hôpitaux d'un même territoire définissent ensemble de nouvelles règles et de nouvelles organisations. Ainsi, le projet médical de territoire permettra de structurer l'organisation de l'offre de soins sur le territoire.

La troisième proposition consiste à soutenir la révision des accords locaux.

La révision des accords locaux doit faire l'objet d'une concertation avec les partenaires sociaux dans le cadre de laquelle les directions doivent être soutenues par les politiques et par la tutelle. En effet, certains hôpitaux entament des démarches de remise à plat de l'organisation du temps de travail, mais ils sont souvent, comme le montre l'actualité, stoppés dans leur élan, après l'intervention des agences régionales de santé notamment.

Il s'agit pour nous de soutenir une rationalisation et une simplification des organisations, ainsi que des horaires adaptés aux prises en charge – en sept heures ou en douze heures. Il s'agit également de mettre fin aux jours de congés extraréglementaires (jour de rentrée des classes, jour des médailles, jour du maire, etc.) et de prévoir un plafond des jours de RTT. Ainsi, l'alignement sur un plafond de quinze jours de RTT permettrait, comme le montre notre enquête, de réaliser un gain de plus de 640 000 journées, soit 400 millions d'euros d'économies pour les établissements.

Je le redis, ces démarches doivent être soutenues par les pouvoirs publics, même si elles sont difficiles et impopulaires auprès des organisations syndicales. En effet, selon notre enquête, lorsque le protocole n'a pas été renégocié, une des principales raisons évoquées est le risque de conflit social majeur.

En conclusion, au moment où l'on demande aux hôpitaux et au secteur de la santé en général un effort d'économies de 5 milliards d'euros, il est important de poser la question de l'organisation des temps de travail. Dans un contexte de pénurie médicale – 24 % des postes de praticiens hospitaliers sont aujourd'hui vacants – et de forte évolution des modes de prise en charge, et alors que le personnel représente 70 % du budget des établissements, il est certain que l'on ne réformera pas l'hôpital sans poser la question de son organisation interne.

Les hôpitaux essaient de s'atteler à ces réformes de structure – partage d'équipements, modernisation des organisations, chirurgie ambulatoire, etc. –, mais ce niveau d'effort demandé aux hôpitaux ne pourra être atteint, je le redis, qu'en s'attaquant au problème de l'organisation du travail. Les hospitaliers sur le terrain se sont lancés dans des concertations pour faire évoluer les organisations, mais force est de constater que le soutien des pouvoirs publics reste faible – les directeurs sont souvent « lâchés » dès les premiers signes de mécontentement. Les dirigeants hospitaliers ont besoin d'être soutenus dans cet effort de modernisation.

Pour cela, le cadrage national doit être clair et cohérent. Il est ainsi urgent de mettre un terme à l'inflation réglementaire, de revenir sur un certain nombre de règles qui paralysent les acteurs de terrain, et d'afficher un soutien clair aux directions dans la rationalisation de leurs organisations.

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