L'UFC-Que Choisir fait partie du paysage morcelé des associations de consommateurs agréées, qui sont au nombre de quinze. Créée en 1951, sous la Quatrième République, elle est la plus ancienne association de consommateurs de France et d'Europe. Elle est à bien des égards très atypique puisqu'elle ne fait partie ni des associations syndicales, ni du mouvement familial, ni des associations spécialisées : nous avons vocation à faire de la consommation, rien que de la consommation, mais toute la consommation – dans les domaines de l'alimentation, de la santé, du logement, des transports, etc. De ce point de vue, la seule association qui nous ressemble est la CLCV.
Nous avons pour spécificité de publier au niveau fédéral un organe de presse grand public à très large diffusion, qui nous a rendus et continue de nous rendre célèbres. Sa version en ligne est le premier site d'information payant de France. La puissance de feu et de communication de la revue est telle qu'elle fait parfois de l'ombre à notre activité associative elle-même et au réseau sur lequel elle repose – mais je ne m'en plaindrai pas. Notre revue se caractérise par son indépendance : elle est l'une des seules publications privées en France qui n'accepte rigoureusement aucune publicité, avec Charlie Hebdo et Le Canard enchaîné. Plus généralement, notre indépendance constitue notre premier capital et nous veillons jalousement à la préserver.
L'une des missions de la fédération est de consolider un réseau de proximité constitué d'associations locales et de faire en sorte de l'adapter aux besoins des consommateurs et de la société en général. Nous avons 150 associations locales, 350 points d'accueil, 130 000 adhérents et 4 500 bénévoles oeuvrant sur le territoire. Mais, bien que fédérées à l'UFC, et le plus souvent regroupées en unions régionales, ces associations sont indépendantes : elles ont leur propre budget, leur conseil d'administration, leur président. Chacune jouit donc d'une certaine autonomie tout en restant soumise à des règles communes. La fédération est particulièrement attachée à son rôle de tête de réseau, essentiel dans un mouvement associatif.
À ce titre, nous avons créé un « kit de viabilité économique » afin d'analyser l'indépendance, la solidité et la capacité d'investissement des associations de notre réseau. Celui-ci, avons-nous ainsi observé, est en quelque sorte à deux vitesses : les petites associations, qui comptent moins de 1 000 adhérents, ne sont pas du tout dans la même situation économique que celles qui en ont davantage, jusqu'à 2 000 ou 3 000. Les plus importantes, celles qui rendent le plus de services à la population et aux pouvoirs publics parce qu'elles peuvent mener des actions de représentation lorsque ces derniers le lui demandent, recevoir le public, communiquer dans les médias, sont celles qui font le plus appel à des salariés ; en prenant de l'ampleur, elles doivent faire face à une hausse problématique de leurs charges fixes. On sait que la naissance d'un troisième enfant confronte la famille à un problème de logement ; c'est un peu à la même difficulté que nous nous heurtons ici lorsqu'il s'agit de les héberger. Paradoxalement, ce sont donc plutôt nos petites associations locales, dépourvues de salariés et susceptible d'être hébergées gratuitement par les communes, qui parviennent à accumuler un peu d'argent, de sorte que leur viabilité économique n'est pas menacée à court terme.
En moyenne, hors emplois aidés, 13 % des produits totaux de nos associations proviennent des subventions. L'essentiel du financement est issu des adhésions. Au nom de l'indépendance, qui représente l'une de nos valeurs cardinales, nous tenons en effet à être principalement financés par les consommateurs eux-mêmes plutôt que par les entreprises, mais aussi plutôt que par les pouvoirs publics nationaux et locaux. Les subventions d'exploitation représentent en moyenne quelque 20 % de nos ressources : viennent en premier lieu les subventions liées aux emplois aidés, suivies de celles des collectivités puis, de très près, de la subvention DGCCRF.
On peut identifier quatre sources de fragilité des associations de consommateurs, en particulier de l'UFC-Que Choisir et de son réseau.
La première est liée à la déductibilité fiscale des dons, lesquels représentent 3,8 % des ressources globales de notre mouvement. Nous souffrons de l'absence de positionnement favorable de l'administration ; nous déconseillons même à nos associations de lui demander de fixer sa doctrine par un rescrit, de peur de ne plus pouvoir proposer le reçu fiscal aux donateurs si nous nous heurtons à un refus dans un département. Cela nous empêche de valoriser le don auprès du grand public et d'encourager celui-ci à nous soutenir. En la matière, nous regrettons une inégalité marquée au sein du mouvement consumériste : les associations comme la nôtre ou comme la CLCV ne bénéficient pas de la déductibilité, contrairement aux associations de consommateurs d'abord familiales, sans parler des associations de type syndical. C'est à nos yeux inadmissible. Nous demandons régulièrement que le régime de déductibilité soit sécurisé afin que le caractère d'intérêt général du mouvement consumériste soit reconnu.
Deuxièmement, la prévisibilité des ressources publiques, qu'elles soient nationales ou territoriales. 13 % hors emplois aidés, c'est relativement peu mais c'est déjà beaucoup. Nous sommes quelque peu inquiets de l'évolution de la législation sur la répartition des compétences entre les différents échelons territoriaux, qui attribue à chacun des compétences beaucoup plus ciblées. Le sport, le tourisme et la culture font exception : la clause de compétence générale continuera de leur être appliquée. Mais qu'en est-il de la consommation ? Il ne faudrait pas qu'une source de financement des associations locales se tarisse pour des raisons purement juridiques. En d'autres termes, les modalités de financement de la vie associative ne doivent pas être oubliées dans la réforme territoriale.
Au niveau national, depuis 2006, la DGCCRF a refilé la patate chaude, si vous me permettez l'expression, aux têtes de réseau, désormais chargées de distribuer au réseau la subvention qui lui est destinée. Sur ce point, je formulerai plusieurs observations.
D'abord, la mesure a entraîné le transfert à notre fédération des coûts de gestion de ces sommes. Précisons qu'elle ne les fait pas peser sur le réseau – c'est notre affaire, me direz-vous.
Deuxième observation : la baisse des subventions, qui touche inégalement les associations puisqu'elle est proportionnellement beaucoup plus marquée pour l'UFC-Que Choisir, atteignant 40 %.
Cette évolution a eu lieu – c'est ma troisième observation – dans l'opacité la plus totale. En quoi l'UFC-Que Choisir a-t-elle donc plus démérité que d'autres, pour être à ce point sanctionnée ? Car il s'agit bien à nos yeux d'une sanction sournoise, qui ne dit pas son nom. Le rapporteur du budget de la consommation se dit désarmé face à l'administration, qui ne l'informe même plus depuis deux ou trois ans des conditions de distribution de la subvention. Cette situation est parfaitement intolérable.
Enfin, contrairement à certains de nos collègues, nous préférerions des conventions pluriannuelles pour une meilleure visibilité, dans le respect, naturellement, du principe d'annualité budgétaire. Nous saurions ainsi où nous allons pour trois ans, ce qui n'enlève rien à la liberté du Parlement de voter ou non les enveloppes chaque année. L'imprévisibilité est une source d'insécurité pour le mouvement associatif, dans son fonctionnement comme dans son développement.
La pérennisation de l'emploi dans les associations représente un enjeu majeur. Je rejoins sur ce point, comme souvent, mon collègue de la CLCV. Je ne parle pas ici des têtes de réseau. Nous avons 130 salariés au niveau de la fédération et autant au sein du réseau, et 6 associations du réseau sur 10 recourent à l'emploi, en particulier aux emplois aidés. Ces salariés bénéficient de formations en interne ou à l'extérieur, et nos associations locales font état de leurs difficultés à renouveler les contrats uniques d'insertion (CUI), alors que c'est essentiel à la consolidation et au développement du réseau.
Nous sommes essentiellement un réseau de militants. Les trois adjectifs régulièrement mis en avant pour définir notre mouvement sont d'ailleurs « indépendant », « militant », « expert ». Ce dernier terme renvoie à la nécessité de se former et de bénéficier de l'appui de salariés qualifiés, qu'ils soient juristes, économistes ou, de plus en plus, informaticiens. Il est donc à nos yeux essentiel d'améliorer la qualité et la sécurité de l'emploi associatif, en particulier dans les associations locales, et d'adapter à nos besoins spécifiques les dispositifs de contrats aidés réservés au secteur non marchand.
Enfin, le secteur associatif consumériste souffre d'un véritable déficit de reconnaissance institutionnelle. On entend beaucoup de discours politiques sur l'intérêt du mouvement consumériste et la nécessité d'intégrer cette partie de la société civile à la gouvernance et à la préparation des décisions, mais ils restent en général purement incantatoires : lorsque l'occasion se présente de reconnaître le rôle de notre mouvement, les pouvoirs publics sont aux abonnés absents.
En voici un exemple : chose à peine concevable, la réforme du Conseil économique, social et environnemental n'a pas prévu d'y intégrer nos associations, alors que le mouvement familial y est largement représenté.
Pourtant, on ne cesse de placer la consommation au coeur des politiques, notamment environnementales avec les concepts de consommation responsable ou durable. C'est un enjeu tout aussi essentiel des débats sur les prix, les rentes de situation, les dynamiques économiques : ce que cherchent les associations consuméristes, au-delà de leur rôle d'assistance individuelle, c'est de faire du consommateur non plus un agent passif mais un véritable régulateur de l'économie, et l'on sait qu'il n'est pas de marché sans consommateur. Nous sommes un contre-pouvoir sur lequel les autorités peuvent compter pour s'opposer à des entités de plus en plus puissantes – trusts locaux, acteurs nationaux, voire internationaux. Ainsi, dans le cas de l'eau, les collectivités locales ont-elles pu s'appuyer sur l'expertise de nos associations pour livrer bataille aux compagnies gestionnaires.
Autre exemple : les associations de consommateurs sont en tant que telles absentes du Haut Conseil à la vie associative, même si certains de leurs membres peuvent y siéger en tant que personnalités qualifiées.
Bref, l'engagement associatif et militant dans le secteur du consumérisme mérite une autre place que celle qui lui est réellement réservée aujourd'hui, au-delà des discours, dans les dispositifs de gouvernance politique et administrative.