Intervention de Ericka Bareigts

Séance en hémicycle du 1er octobre 2014 à 15h00
Transition énergétique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEricka Bareigts, rapporteure de la commission spéciale :

Madame la ministre, je voudrais vous remercier d’avoir été à l’initiative de ce texte tant attendu et qui se caractérise par la philosophie d’équilibre et les valeurs qui sont les vôtres. Avec lui, en effet, c’est une nouvelle vision de la société – à laquelle nous aspirons – que nous proposons.

Ce texte fondateur répond à trois urgences : économique, écologique et sociale. L’une des réponses qu’il apporte est celle de la simplification introduite par le titre VII. Elle repose sur des solutions de plusieurs ordres : l’unification des documents administratifs, la sécurité du réseau et son interconnexion, la transparence du fonctionnement et des règles de ce réseau et la maîtrise de la consommation.

Notre travail en commission a porté notamment sur la sécurisation des investisseurs, grâce à l’unification des documents administratifs. Ainsi, un amendement du Gouvernement, qui a été adopté, a répondu aux interrogations de nombreux collègues en généralisant à tout le territoire l’expérimentation relative à l’autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement. De cette façon, les procédures administratives et les voies de recours seront désormais simplifiées, ce qui contribuera à instaurer un climat de sécurité, dont nous avons précisément besoin aujourd’hui. Avec un droit de l’environnement plus simple et plus fiable, les investisseurs oseront se lancer et contribuer à la croissance verte de demain.

Pour être efficace, cependant, les marchés ne peuvent se contenter d’être plus simples : ils doivent également être plus transparents et mieux contrôlés. C’était une demande forte de nombreux collègues, qui souhaitaient notamment renforcer le contrôle des collectivités territoriales sur les investissements des opérateurs dans le réseau. Plusieurs dispositifs ont donc été adoptés en commission pour renforcer les contrôles. Ainsi, la Commission de régulation de l’énergie disposera-t-elle d’une compétence explicite pour approuver les formules de calcul du coût des ouvrages construits dans le cadre des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables. Cela offrira une plus grande transparence sur les coûts de raccordement au réseau, ce qui sera particulièrement utile pour les projets d’investissements.

Nous sécurisons également juridiquement le nouveau mode de calcul du tarif d’utilisation du réseau public de l’électricité, afin d’accompagner l’opérateur historique dans ses investissements, en rapprochant nos remboursements de la réalité de son activité.

L’adoption en commission d’un amendement présenté par le président Brottes, qui avait pour objet de renforcer le contrôle d’ERDF sur ces investissements et, partant, d’accroître la transparence, permettra, parallèlement, de s’assurer de la réalité de l’utilisation des fonds ainsi accordés.

Enfin, s’agissant de l’action des gros consommateurs eux-mêmes, un amendement adopté par notre commission permettra de plafonner à 60 % la différence entre le tarif préférentiel accordé aux entreprises électro-intensives et le tarif des autres consommateurs, afin de sanctuariser le principe de la péréquation tarifaire. Nous étendons aussi le bénéfice de ce tarif aux consommateurs ayant un profil anticyclique.

Il faut évidemment présenter ces évolutions sur les électro-intensifs en lien avec l’article 44. En effet, nous mettons en place un tarif préférentiel pour les consommateurs acceptant de se déporter, non seulement hors des pics de consommation nationaux, mais également, sur la proposition de Frédérique Massat, hors des pics de consommation locaux.

En rendant les réseaux prévisibles et réguliers, nous serons en mesure de pallier les problèmes susceptibles d’être posés par les énergies intermittentes. Cette reconnaissance du rôle de l’effacement, couplée au développement des connexions de notre réseau électrique avec nos partenaires étrangers, permettra de fournir plus facilement des débouchés aux surproductions d’énergies renouvelables susceptibles de survenir ponctuellement. Il s’agit, en quelque sorte, de la construction d’une solidarité nationale et européenne, qui sera un élément stabilisateur de la transition énergétique.

Je souhaiterais dire quelques mots du chapitre IV du titre VIII, dont je suis également rapporteure. Le travail réalisé à cet égard est largement issu des travaux de la mission d’information sur l’adaptation du droit de l’énergie aux outre-mer ; je tiens d’ailleurs à remercier très vivement le président Brottes d’avoir bien voulu me confier les fonctions – que j’ai partagées avec Daniel Fasquelle – de co-rapporteur de cette mission. M. Fasquelle et moi-même avons pu mettre au jour d’importants dysfonctionnements de la politique de l’énergie en outre-mer.

Le bilan de ce travail en commission est considérable, parce que, madame la ministre, nous avons bénéficié de votre pleine écoute, de votre compréhension fine de notre situation et de votre volonté politique de mettre à sa juste place l’enjeu énergétique pour les outre-mer.

Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, l’énergie n’est pas coûteuse en outre-mer parce que les citoyens ultramarins profiteraient du système : les coûts y sont élevés parce que la politique de l’énergie y est mal conçue, et que, trop souvent, des choix aberrants ont été faits. Le coût de l’électricité en outre-mer relève avant tout d’un mauvais choix politique.

Aussi les départements d’outre-mer connaissent-ils d’importantes difficultés en matière d’accès à l’énergie. À l’heure où je vous parle, dans certains de nos territoires, des dizaines de milliers de personnes n’ont toujours pas accès au service public de l’électricité. À Maripasoula, en Guyane, au cours des travaux de la mission d’information, j’ai pu voir ces milliers de Français qui doivent produire eux-mêmes leur électricité à des prix prohibitifs, en achetant du fioul acheminé en pirogue. Tout cela, évidemment, s’accomplit au détriment du développement de ce territoire.

Par ailleurs, on ne peut que regretter l’incapacité des territoires régis par l’article 74 de notre Constitution à émarger à la contribution au service public de l’énergie, malgré les sommes marginales que cela représenterait, notamment pour Wallis-et-Futuna.

C’est pourquoi notre commission a adopté, sur mon initiative, un amendement qui a notamment pour objet de prévoir, au sein de la programmation pluriannuelle de l’énergie de Guyane, un plan d’électrification en faveur des communes de l’intérieur guyanais, ainsi qu’un amendement de Serge Letchimy visant à la remise d’un rapport sur l’accompagnement des collectivités de l’article 74 de notre Constitution pour l’application du présent texte.

À ces problèmes structurels et historiques s’ajoute celui de la gouvernance. Bien trop souvent, les décisions sont prises à Paris, bien loin des réalités et des spécificités ultramarines. À titre d’exemple, la réglementation sur les normes de construction, parfaitement logique dans le contexte d’un climat tempéré, est complètement inadaptée aux zones tropicales. Les régions de Guadeloupe et de Martinique ont depuis des années travaillé, grâce à des habilitations législatives, pour rendre cette réglementation cohérente avec les réalités locales. C’est une chance pour ces populations. Pourtant, La Réunion n’en a pas bénéficié. On nous a empêchés d’adapter le bâti au climat, ce qui est très préjudiciable à toute la filière du BTP et au pouvoir d’achat des familles.

Malgré cela, et contrairement à une idée reçue, les outre-mer sont en retard. Les potentiels y sont insuffisamment exploités, ce qui affecte la croissance et l’emploi. Ainsi, selon le pôle de compétitivité Temergie, la transition énergétique représente potentiellement plus de 10 000 emplois sur le seul territoire de La Réunion. Ce n’est pas neutre lorsque l’on sait que, pendant que nous travaillions au sein de la commission, des jeunes manifestaient à La Réunion – à Saint-Denis, Sainte-Suzanne ou encore Saint-Paul – pour réaffirmer leur désir d’échapper au fléau du chômage.

Ce dont nous avons besoin, c’est un changement de gouvernance, qui nous permettra de mener enfin des politiques énergétiques cohérentes entre elles, organisées autour d’une stratégie développée dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Cette programmation sera opposable dans les appels d’offres et la détermination des tarifs d’achat. Notre commission spéciale a adopté des amendements que j’ai proposés en ce sens.

Il n’est pas normal que, dans les outre-mer, la CRE ne considère que les coûts évités de contribution au service public de l’électricité pour l’implantation de nouveaux moyens de production, car cela aboutit à ce que la puissance publique refuse de financer des projets de développement des énergies renouvelables au profit d’énergies très carbonées, ce qui a pour conséquence d’aggraver notre dépendance à l’égard des importations. En outre, notre vie est ainsi mise en danger car, comme on le sait, trois quarts des émissions humaines de CO2 sont dues à la combustion des énergies fossiles et sont responsables du réchauffement climatique et de la montée des eaux, laquelle menace directement nos populations. C’est évidemment ce risque qu’il s’agit d’éviter.

Cette approche pose aussi problème car elle ne prend pas en compte les impacts non comptables, qu’il s’agisse de l’emploi, de l’autonomie énergétique, de l’aménagement du territoire ou encore de la santé. Par exemple, des centrales à biomasse dans les départements d’outre-mer permettent de renforcer la filière canne qui est elle-même fortement créatrice d’emplois et participe pleinement à l’aménagement de notre territoire.

C’est pourquoi, avec le soutien de François Brottes et de nombreux collègues ultramarins, nous avons souhaité améliorer le texte afin que la politique de l’énergie soit non pas simplement déclinée en outre-mer, mais co-élaborée. Le texte sur lequel vous allez vous prononcer propose donc désormais une co-rédaction de la programmation pluriannuelle de l’énergie entre l’État et la région, dans chaque département d’outre-mer, autour de volets précisément définis par la loi.

Afin de prolonger cette gouvernance rénovée, la PPE ultramarine sera opposable et servira à la conduite des politiques de l’énergie outre-mer. Nous pourrons ainsi en finir avec les aberrations, telles que celles qu’on a pu voir dans le traitement du dossier du Galion en Martinique. Cette programmation sera également l’occasion de sortir du blocage généré par le fameux seuil des 30 % en matière d’énergies intermittentes qui freine le développement des projets actuels.

Oui, les outre-mer peuvent participer à l’élaboration de leur politique énergétique. Ce n’est d’ailleurs qu’avec l’aide des intelligences locales que nous pourrons amorcer la transition énergétique outre-mer et sortir du cercle vicieux de la dépendance aux énergies fossiles qui augmente les coûts de production et pollue l’environnement.

Chers collègues, la transition énergétique outre-mer ne se fera, comme dans l’Hexagone, qu’au prix d’une transparence permettant d’instaurer la confiance indispensable à la co-construction d’un projet de société porté par la croissance verte.

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