Madame la ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme je l’avais fait lors de la discussion générale au sein de la commission spéciale, je veux tout d’abord saluer l’initiative qui a mené à ce projet de loi et les intentions qu’il affiche. Il s’agit, en effet, de construire un nouveau modèle énergétique plus diversifié, plus équilibré, plus sûr, plus participatif, visant à relancer la croissance tout en luttant contre le réchauffement climatique, pour réduire le chômage et la facture énergétique de notre pays.
Cinq ambitions sont ainsi affichées : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à 1990 et les avoir divisées par quatre à l’horizon 2050, diviser par deux la consommation d’énergie finale en 2050 par rapport à 2012, réduire la consommation d’énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à 2012, porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation énergétique en 2020 et 32 % en 2030, et enfin ramener à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité en 2025 contre 75 % aujourd’hui.
Vous déclinez dans votre projet, madame la ministre, ces objectifs à partir de mesures concrètes. Je n’évoquerai pas les dispositions sur lesquelles je suis d’accord, mais celles à propos desquelles je m’interroge.
Nous avons connu, sous le précédent quinquennat, l’expérience des Grenelle de l’environnement. À l’époque, à écouter celui qui occupait alors vos fonctions, c’était une véritable révolution copernicienne ! Tout ce travail n’aura certes pas été inutile puisqu’il aura en particulier contribué à faire émerger une prise de conscience. Mais soyons francs, les ambitions affichées sont loin d’avoir vu le jour. Je ne souhaiterais pas, madame la ministre, que votre loi emprunte une voie similaire, d’autant qu’elle est présentée depuis deux ans comme l’une des plus importantes du quinquennat par le Président de la République.
Venons-en aux aspects du texte qui suscitent des interrogations. Selon les évaluations de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, il faudrait mobiliser entre 10 et 30 milliards d’euros supplémentaires chaque année par rapport aux niveaux actuels des investissements énergétiques – 37 milliards – pour parvenir au mix énergétique envisagé. Or il n’est retenu que 10 milliards sur trois ans, sous forme de crédit d’impôt, de chèque énergie et de fonds pour accompagner les collectivités locales, les particuliers, les entreprises et les banques.
J’ai bien entendu que vous espériez, madame la ministre, l’engagement du secteur privé. Je crains qu’en réalité, nous n’ayons pas les moyens, tant s’en faut, des ambitions proclamées. Vous souhaitez créer 100 000 emplois en trois ans en relançant une croissance qui permette de lutter contre le réchauffement climatique, de réduire la facture énergétique et de combattre le chômage. Qui n’approuverait pas… Mais où se trouvent ces réserves d’emplois au regard des ambitions environnementales affichées ? Dans la filière des énergies renouvelables, nous répondez-vous, lesquelles doivent prendre le relais du nucléaire dont la part doit être ramenée de 75 % à 50 % dans le mix énergétique d’ici 2025. Je l’ai déjà dit, ces intentions me semblent illusoires, non pas que le nucléaire m’apparaisse comme un horizon indépassable, mais parce que sa réduction dans la production d’énergie n’est envisageable qu’à mesure d’une montée en puissance efficace et forcément progressive d’énergies alternatives. Or, l’expérience que nous en avons aujourd’hui ne nous permet pas d’accélérer le calendrier.
L’exemple allemand est éclairant. En 2000, nos voisins d’outre-Rhin lançaient le « tournant énergétique ». Les énergies renouvelables représentaient alors 7 % de la production électrique nationale. Aujourd’hui, les énergies vertes représentent 23 % de la consommation électrique – dont une partie vient de la France – et l’objectif pour 2020 est d’atteindre les 35 %.
De fait, l’Allemagne est parvenue à développer le solaire, l’éolien et la biomasse. Le mouvement est d’autant plus appelé à s’accélérer qu’elle a décidé de sortir du nucléaire. Mais cette transition énergétique a un coût particulièrement élevé. La principale dépense est la subvention des tarifs de rachat de l’électricité produite sur la base d’énergies renouvelables, dont le montant est estimé à 680 milliards d’euros d’ici 2022.
Ce sont, bien sûr, les usagers qui paient. Or, le kilowattheure allemand est déjà l’un des plus chers d’Europe, à 0,27 euro, quand le nôtre est parmi les plus bas, à 0,15 euro. Sachez qu’il est en moyenne de 0,20 euro dans la zone euro et de 0,19 euro à l’échelle des vingt-huit pays de l’Union européenne.
Si la France occupe une telle place, c’est bien grâce à ses choix et à la maîtrise publique de sa production, dont il y aurait grand danger à sortir. À cela s’ajoute un paradoxe de taille : la fragilité et l’imprévisibilité de l’exploitation des énergies renouvelables. La sortie du nucléaire de nos amis allemands les conduit à rouvrir des centrales à charbon, les plus émettrices de CO2 et, comme ces dernières doublent la production des énergies renouvelable, les coûts de production augmentent d’autant.
Dans le domaine des transports, qui représentent 32 % de la consommation énergétique finale, le projet de loi mise sur le développement du véhicule « propre », en particulier grâce au remplacement de la moitié des flottes publiques par des véhicules électriques, hybrides ou à faible consommation et au déploiement de 7 millions de bornes de recharge électrique.
Très bien, mais il y a là de grands absents. Je pense en particulier aux transports collectifs et, pour le fret, au report modal, c’est-à-dire à la sortie du « tout routier » et au développement du ferroviaire et de la voie d’eau. De ce point de vue, nous marchons à reculons.
Le Gouvernement a ainsi reculé sur l’écotaxe poids lourd, la remplaçant, le 23 juillet dernier, aux termes de la loi de finances rectificative, par une formule allégée qui divise par deux la recette attendue de 1 milliard d’euros par an. Un kilométrage dérisoire de routes sera concerné, dont l’entretien sera à la charge des contribuables et non de ceux qui les utilisent et les dégradent. Cela pèsera bien entendu sur le financement des infrastructures de transport. Le développement du ferroutage ne pourra qu’en pâtir et le fret ferroviaire continuer de régresser.
J’en viens à un autre grand secteur dont votre projet de loi, madame la ministre, fait une priorité : le bâtiment. Il représente à lui seul 44,5 % de la consommation énergétique finale, l’objectif étant d’atteindre en 2017 le rythme de 500 000 logements rénovés par an. Cet objectif est louable mais très ambitieux car, chaque année, les objectifs fixés ne sont jamais atteints.
Notons que le crédit d’impôt pour les dépenses de rénovation énergétique a été renforcé, passant à un taux unique de 30 % du coût des travaux au lieu de 15 % ou 25 %. Néanmoins, cette mesure est très limitée dans le temps puisque le nouveau taux n’est valable que jusque fin 2015. Il ne vous aura pas échappé que la baisse du pouvoir d’achat des Français réduit leur possibilité d’engager les travaux nécessaires. Certes, le taux bénéficiera à « toute action simple » de rénovation. C’est incitatif, c’est vrai, mais cela risque de créer un effet d’aubaine pour les entreprises et d’inciter les particuliers à réaliser des travaux ponctuels, au détriment d’une cohérence d’ensemble efficace.
De même, pour augmenter de 30 000 à 100 000 par an le nombre d’éco-prêts à taux zéro, le projet de loi tend à décharger les banques de la validation technique des dossiers – c’est ce qui les fait rechigner aujourd’hui à accorder ces prêts – pour s’assurer simplement que les artisans répondent à la norme RGE, « reconnu garant de l’environnement ». Or, le label ne garantit pas une rénovation énergétique performante, laquelle, dans un souci d’efficience, gagnerait à relever d’un véritable service public de l’efficacité énergétique.
Parmi les autres grands enjeux pas ou peu présents dans votre texte figurent ceux qui touchent aux projets industriels et à l’adaptation de notre appareil productif à la transition écologique. Une volonté politique forte est pourtant nécessaire pour affronter des lobbies autrement puissants que ceux auxquels le Gouvernement a cédé sur l’écotaxe. Et cela ne passera pas par les 41 milliards d’euros du CICE et du pacte de responsabilité sans contrepartie, y compris écologique, mais selon l’OSCE par 16 milliards d’euros d’investissements par an à consentir par l’État et les entreprises.
La précarité énergétique est l’un des autres thèmes que nous devrons aborder. Selon un sondage publié dans le magazine 60 millions de consommateurs, un tiers des Français ont rencontré des difficultés, au cours de ces trois dernières années, à payer les factures de gaz, d’électricité ou de fioul. Depuis 2005, le prix du gaz a progressé de 80 %, et l’électricité de 10 % en un an. Le fioul est, quant à lui, soumis aux fluctuations des prix du pétrole mais également à l’augmentation de la TVA et de la contribution climat énergie appelée à monter en puissance et à renchérir les prix.
Selon des enquêtes menées auprès d’ERDF et GRDF, 580 000 coupures d’électricité ont eu lieu en 2012, soit 80 000 de plus que l’année précédente. L’extension des tarifs sociaux à près de 4 millions de bénéficiaires et l’instauration d’une trêve hivernale ont certes pondéré cette précarité énergétique croissante, mais le compte n’y est pas.
Se pose tout d’abord un problème de fixation des tarifs, ce qui est sous la responsabilité de la Commission de régulation de l’énergie, qui saisit le Conseil d’État quand le Gouvernement ne suit pas ses préconisations. Or, si cela avait été le cas, l’électricité aurait flambé, en un an, non pas de 10 % mais de 14 à 17 % ! Il conviendrait d’instaurer un peu de transparence sur le bien-fondé de ces exigences, comme l’a d’ailleurs reconnu la Cour des comptes, et de réaffirmer le principe d’une véritable maîtrise de la puissance publique sur la fixation des prix.
Vous proposez d’instaurer un chèque énergie qui se substituerait aux tarifs sociaux et s’ouvrirait aux 3 millions d’usagers du fioul et du bois. Il serait nécessaire que nous en sachions davantage sur son montant et son assiette.
Enfin, la régionalisation de la production et de la distribution est l’un de nos sujets de préoccupation ainsi que les questions relatives à la péréquation et à l’unicité des tarifs à l’échelle de l’ensemble du territoire national. Sur tous ces sujets, nous aurons des amendements à défendre.
Madame la ministre, avant de conclure, je voudrais vous rappeler les engagements que vous avez pris envers moi au sujet des centrales hydrauliques. Mais comme je vois que tout le monde est à son téléphone autour de vous, peut-être êtes-vous en train de m’envoyer des messages à ce propos !
La moitié des centrales hydrauliques risquent de fermer, madame la ministre ! Contrairement aux éoliennes, elles sont le fruit d’investissements privés et, oui, elles fermeront à cause de la loi sur l’eau ! J’ai interrogé Mme Batho, puis M. Martin. Aucune réponse. Je vous ai interrogée aussi, madame la ministre, et vous m’avez répondu que vous prendriez contact avec moi. Mais j’ai eu beau appeler à plusieurs reprises, il semble que l’on n’ait pas même un instant à me consacrer pour évoquer le sujet !