La réponse est probablement à demander à Martine Aubry, qui a négocié l’accord politique entre le parti socialiste et les Verts ; il s’agit d’un arbitrage politique sans aucun fondement économique ou technique.
Or un tel objectif est déraisonnable. Avec un taux de croissance du produit intérieur brut de 1,8 %, comme l’envisage l’étude d’impact, cela provoquerait la fermeture d’un tiers des réacteurs, soit un peu moins de 20 sur les 58 actuellement en fonctionnement. Mais si l’on fait l’hypothèse, à l’instar de la Commission européenne ou du projet de loi de programmation des finances publiques, d’une croissance potentielle de 1,1 % ou 1,2 %, ce sont près de la moitié des réacteurs existants qui seraient appelés à fermer : il n’en resterait que 29.
La fermeture de réacteurs nucléaires ne serait possible que si le développement des énergies renouvelables permettait de compenser la perte de puissance. Or nous ne serons pas capables, dans les délais impartis, de compenser la totalité de la baisse de la production d’électricité d’origine nucléaire : il faudrait pour cela créer des forêts d’éoliennes ou investir massivement dans la méthanisation, le bois ou l’énergie solaire. Cela supposerait de mobiliser des fonds considérables, car il s’agit d’activités extrêmement capitalistiques.
Une autre conséquence – l’étude d’impact n’en parle pas, ce qui est étonnant – serait une très forte augmentation du prix de l’électricité. En effet, le prix de revient des énergies de substitution est très supérieur à celui du nucléaire, même réévalué par la Cour des comptes. Les premiers touchés par une telle augmentation seraient les ménages, et plus particulièrement les plus modestes. L’évolution de la situation en Allemagne devrait d’ailleurs nous amener à réfléchir. En cas de fermeture d’un tiers ou de la moitié de nos réacteurs, nos concitoyens verraient leur pouvoir d’achat et leur niveau de vie baisser encore, alors qu’ils ont déjà du mal à boucler leurs fins de mois.
Les énergies renouvelables ne permettent pas aujourd’hui une production d’électricité assez constante et surtout assez modulable pour répondre à des besoins extrêmement variables dans le temps ; l’objectif de 50 % fait donc planer le risque d’une carence en électricité. Si l’on fixait un objectif plus raisonnable, avec un taux inférieur de 5 à 10 points et une progressivité, on pourrait l’éviter.
Quant à ceux qui pensent que la solution serait d’importer de l’électricité, ils se trompent, puisque la Belgique, l’Allemagne ou l’Italie se retrouvent avec un fort risque de pénurie électrique en périodes de pointe, qui sont à peu près simultanées dans nos pays.
Techniquement, une forte baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité ne nous permettrait donc pas de répondre à nos besoins, à moins de faire comme les Allemands, c’est-à-dire de développer massivement d’autres sources d’énergie, comme des centrales thermiques au charbon ou au gaz – ce qui n’est pas envisagé par l’étude d’impact. On se heurterait alors à un autre problème : la contradiction entre l’objectif d’une forte réduction des gaz à effet de serre et les fortes émissions de ces centrales. L’équation deviendrait impossible à résoudre.
Je voudrais également évoquer le coût de la fermeture des réacteurs. Il est tout de même incroyable que l’étude d’impact ne fournisse aucun chiffre, non seulement sur l’évolution du prix de l’électricité, mais également sur ce point ; la commission des finances s’en est d’ailleurs étonnée.
L’indemnisation est incontournable : aucun juriste sérieux ne le contestera. Un rapport a récemment été remis par deux commissaires, parmi les plus sérieux – on ne peut pas dire qu’Hervé Mariton et Marc Goua soient du genre farfelu, et il est regrettable, madame la ministre, que vous ayez qualifié ainsi nos deux collègues.