Intervention de Michel Heinrich

Séance en hémicycle du 1er octobre 2014 à 21h45
Transition énergétique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Heinrich :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, réussir la transition énergétique est un enjeu majeur en termes d’environnement, de santé, de préservation du pouvoir d’achat de nos concitoyens, de compétitivité de notre économie et de défense de notre souveraineté nationale.

C’est donc un sujet qu’il faut aborder avec beaucoup de pragmatisme, et dont l’approche doit être dénuée de toute idéologie.

Déjà bonne élève au regard des émissions de gaz à effet de serre – notre pays ne représente qu’1,2 % des émissions mondiales – grâce à l’énergie nucléaire qui produit 75 % de l’électricité et assure 15 % de notre consommation énergétique, la France réussira sa transition énergétique en réduisant l’usage des énergies carbonées, voire en en supprimant l’usage dans la production de l’énergie électrique, ce qui aurait dû être votre objectif pour le charbon.

Les autres objectifs vers lesquels nous devons tendre vont aussi, bien sûr, vers la réduction de la consommation des énergies dans l’habitat et dans les transports, et particulièrement dans le transport individuel qui est un gros émetteur de gaz à effet de serre. De ce point de vue, il y a des orientations intéressantes dans la loi.

Dans l’habitat, le texte aurait gagné à insister sur l’usage de la biomasse dans les réseaux de chaleur ou de la géothermie. Mais, par contre, pourquoi autant d’idéologie et de dogmatisme dans la définition de notre mix énergétique ? Ce n’est pas la transition énergétique que vous nous proposez, mais la transition électrique.

Pourquoi cette chasse au nucléaire, à qui l’on fixe des limites ? D’ailleurs pourquoi cet objectif de réduction à 50 % de sa part dans la consommation d’électricité ? Pourquoi pas 40 ou 60 %, alors qu’aucun objectif ou aucune limite ne sont annoncés pour le pétrole ou le charbon ?

Visiblement, vous vous trompez de cible, et vous le savez parfaitement, madame la ministre. Mais que ne feriez-vous pas pour vous attirer les faveurs des écologistes ?

Le Portugal et l’Espagne en arrivent à une remise en cause de leur programme dans les énergies renouvelables. De son côté, l’Allemagne se débat dans ses problèmes de réseaux et de régulation de la production éolienne, après avoir effectué des investissements colossaux pour en arriver à une explosion des coûts de l’électricité, qui sont deux fois supérieurs aux nôtres, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre. La cause de cette évolution ? Elle réside dans le remplacement de l’énergie nucléaire par de la lignite et du charbon.

Il eût été nécessaire, pour la France, d’en tirer les leçons.

Nous avons tous les atouts pour faire les bons choix et rester compétitifs, tout en devenant exemplaires. Nous sommes le seul pays en Europe à avoir ce socle solide. Pourquoi se mettre en danger ? Le monde énergétique est un monde plein d’aléas : choc pétrolier, gaz de schiste, crise ukrainienne…

Nos réserves d’uranium nous garantissent trois ans de fonctionnement de nos centrales alors que pour le pétrole et le gaz, nos réserves représentent respectivement un et deux mois de consommation.

Après 55 milliards d’euros d’investissement effectués dans l’ensemble de notre parc nucléaire pour atteindre des normes de sûreté équivalentes aux réacteurs de nouvelles génération, la Cour des compte évalue le coût de production de l’électricité nucléaire à 60 euros par MWh, contre 80 à 100 euros pour le thermique, et 80 à 280 pour le photovoltaïque.

Alors, pourquoi se hâter sur l’électricité, alors que le nucléaire a ce double avantage d’être décarboné et de fournir l’électricité la moins chère ?

Contrairement aux autres pays, nous pouvons donner du temps au temps, en développant la recherche et l’innovation, afin d’obtenir des diminutions du coût de panneaux solaires photovoltaïques fabriqués chez nous, en favorisant, également, le passage du fioul au gaz, en développant des moteurs plus performants à très faible consommation, mais aussi la voiture électrique.

Dans le domaine industriel, nous ne bénéficions que d’un seul avantage par rapport aux autres pays, c’est le coût de l’électricité, très inférieur à la moyenne de l’OCDE, et ceci en dépit des taxes affectées.

L’augmentation du prix de l’électricité en France accélérera notre déclin industriel. Envisager une transition énergétique en se fixant pour objectif de réduire la part du nucléaire constitue un signal fort qui dissuadera les investissements productifs étrangers.

Les objectifs de développement des ENR, tels qu’envisagés, conduiront à une augmentation de 50 % de la facture d’électricité d’ici 2025, augmentation de prix imputable au deux tiers à celle de la CSPE. Ni les entreprises, ni les ménages, et encore moins l’État, ne sont en mesure de financer les surcoûts de la transition énergétique telle qu’elle est envisagée.

Les énergies fossiles représentent, en effet, le premier poste de notre premier déficit commercial – 66 milliards d’euros en 2013 – soit plus que notre déficit courant. Nous sommes par ailleurs le premier exportateur d’électricité au monde.

La transition énergétique peut constituer un levier de rééquilibrage de notre économie, si elle se donne pour priorité de substituer des productions nationales – production ou économies d’énergie – aux importations énergétiques.

Réaliser une transition énergétique rentable permettrait de créer des emplois. A contrario, votre transition énergétique, idéologique, en détruira, comme l’affirme le rapport « Énergies 2050 » remis au ministre de l’industrie.

Ce texte que vous nous annonciez comme la grande loi de la mandature est catastrophique. Catastrophique dans la forme, avec les conditions déplorables de déroulement de nos travaux, qui avaient pourtant plutôt bien commencé, avec la commission spéciale et des débats de qualité.

Mais votre entêtement, monsieur le président, madame la ministre, à ne pas adapter le calendrier et la durée du débat à l’importance du texte, en font un texte bâclé sur le fond, aux conséquences dramatiques pour notre pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion