Intervention de Patrice Verchère

Réunion du 1er octobre 2014 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Verchère, rapporteur :

Nous examinons ce matin une proposition de loi organique de M. Thierry Mariani, inscrite à l'ordre du jour de la séance publique à l'initiative du groupe UMP. Il s'agit de permettre aux Français établis à l'étranger de voter par voie électronique – c'est-à-dire par internet – à l'élection présidentielle, aux élections européennes et lors des référendums nationaux. Cela reviendrait à étendre la faculté de voter par voie électronique déjà ouverte à nos compatriotes expatriés pour les élections législatives et consulaires.

En effet, à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les Français de l'étranger ont élu, pour la première fois en 2012, onze députés. Afin de tenir compte de la situation particulière de ces électeurs, le législateur a alors autorisé le recours au vote électronique. Plus récemment, le vote électronique a également été retenu dans la loi du 22 juillet 2013 qui a réformé les instances de représentation des Français établis hors de France : désormais, les Français résidant à l'étranger élisent directement des conseillers consulaires au moyen, notamment, du vote par internet. La première élection de ce type a eu lieu en mai dernier, en même temps que les élections européennes. Dans les deux cas – élections législatives, d'une part, et consulaires, d'autre part – le vote électronique est une option, qui s'ajoute au traditionnel vote à l'urne dans les bureaux de vote ouverts dans les ambassades et les postes consulaires. C'est donc une possibilité supplémentaire offerte à l'électeur.

Compte tenu de ces précédents, nous disposons aujourd'hui d'un certain recul sur la procédure de vote électronique. Deux principaux enseignements peuvent être tirés. Premièrement, le vote électronique remporte un réel succès auprès des Français de l'étranger. Certes, le vote électronique n'a apparemment pas entraîné, à lui seul, une augmentation globale de la participation électorale. Mais il est probable que le niveau de participation aux élections législatives et consulaires aurait été plus faible en l'absence de vote électronique, a fortiori s'agissant de deux élections d'un type nouveau – ce qui rend d'ailleurs la comparaison impossible avec d'éventuels précédents.

D'autre part, le vote électronique a été, en pratique, largement utilisé par les électeurs : par une majorité d'entre eux – 57 % – aux élections législatives ; par une proportion certes moindre – 43 % – aux élections consulaires, mais cela s'explique sans doute par le fait qu'elles avaient lieu en même temps que les élections européennes, pour lesquelles seul le vote à l'urne dans les bureaux de vote était possible. S'agissant d'élections se déroulant le même jour, il est d'ailleurs assez singulier que les unes puissent donner lieu à un vote à distance par internet, tandis que les autres nécessitent un déplacement des électeurs. Dans les faits, très peu se sont déplacés : 89 % des Français de l'étranger se sont abstenus aux élections européennes de mai 2014, contre 57,6 % des électeurs à l'échelle de la France entière.

Le constat est donc clair : seul le vote électronique permet de surmonter les multiples obstacles qui, en fonction des États de résidence de nos compatriotes, peuvent entraver l'exercice de leur droit de vote – entre autres, l'éloignement des bureaux de vote, la difficulté voire la dangerosité des déplacements et le coût des transports.

Deuxième enseignement : le vote électronique a démontré sa fiabilité. Certes, il y a eu quelques « ratés » techniques en 2012, mais ceux-ci étaient largement imputables au caractère inédit de l'opération. Surtout, aucune fraude n'a été constatée, ni aucune atteinte à la sincérité du scrutin établie. En tant que juge des élections législatives, le Conseil constitutionnel a rejeté tous les griefs qui portaient sur les conditions de vote par voie électronique.

Bien sûr, certains opposants à cette proposition de loi organique nous objecteront que, avec le vote électronique, certaines fraudes peuvent ne pas être décelées, précisément parce qu'elles sont très efficaces. Mais alors, il conviendrait d'être cohérent et d'en tirer toutes les conséquences : il faudrait non seulement s'opposer à l'extension du vote électronique, mais aussi demander la suppression des possibilités de vote électronique déjà existantes, faute de quoi on mettrait en doute – insidieusement – la légitimité de nos collègues députés des Français de l'étranger.

En somme, rien ne me paraît donc sérieusement s'opposer à ce que le vote électronique soit étendu aux élections présidentielle et européennes, c'est-à-dire à l'ensemble des élections nationales au suffrage universel direct. Cette extension serait justifiée, je le précise, par la situation spécifique des électeurs établis hors de France. Une telle mesure n'imposerait donc en rien que la même possibilité soit offerte à l'ensemble des électeurs résidant en France : le Conseil constitutionnel y verrait très probablement une banale application de sa jurisprudence classique sur le principe d'égalité, qui permet de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite donc à adopter cette proposition de loi organique, qui permettra d'améliorer les conditions de l'expression démocratique de nos concitoyens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion