Intervention de Alexandre de Juniac

Réunion du 30 septembre 2014 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Alexandre de Juniac, président-directeur général du groupe Air France-KLM :

Je souhaite aborder trois points : évoquer le contexte stratégique dans lequel évolue le groupe, qui se caractérise par un bouleversement de l'activité sous la pression de la concurrence internationale ; exposer la réaction du groupe à ce bouleversement ; retracer le conflit récent qui s'inscrit dans ce contexte et nous oblige sans doute à renouveler les modalités du dialogue social.

La pression concurrentielle provient de trois sources : pour les vols long-courriers et intercontinentaux, celle-ci est le résultat de l'irruption massive des compagnies du Golfe et des compagnies asiatiques, qui proposent un très haut niveau de service avec des conditions d'exploitation qui ne sont pas les nôtres – notamment sur le plan social – et avec le soutien de leurs États d'origine. Le transport aérien est en effet l'un des axes de la stratégie économique des États du Golfe. Nous avons été parmi les premiers à alerter sur les risques que faisait peser sur le transport aérien européen l'arrivée de ces nouveaux acteurs et à réclamer des conditions de concurrence équitables.

La pression est aussi le fait du low cost. De moins de 40 %, il y a trois ans, la part de marché du low cost atteint aujourd'hui 45-46 %, soit une progression de deux points par an. Le low cost représentera bientôt plus de la moitié du marché européen. Après avoir démocratisé le transport aérien en permettant à une nouvelle clientèle de voyager, ces compagnies s'attaquent à la clientèle business qui fait les beaux jours d'Air France-KLM et des compagnies traditionnelles.

Le développement de ce marché nous a largement échappé. L'évolution du réseau d'easyJet entre 2000 et 2014 est très spectaculaire : au nombre d'une dizaine, les destinations sont aujourd'hui si nombreuses qu'elles sont impossibles à matérialiser sur la carte de l'Europe. D'autres compagnies se développent à la même vitesse.

Les compagnies à bas coût sont devenues des géants. Ryanair transporte plus de passagers qu'Air France-KLM dans son ensemble, et easyJet devrait nous dépasser dans les prochaines années. Elles opèrent entre 250 et 300 avions – et programment d'en opérer 400 – tandis que Transavia ne peut compter que sur 44 appareils. Les perspectives de développement européen de ces compagnies prévoient un doublement de la flotte entre 2013 et 2019, qui répond à une demande évidente.

Une troisième activité est soumise à la pression de la concurrence : la maintenance. Le groupe Air France-KLM compte 14 000 emplois industriels dont 9 000 en France. Nous subissons la concurrence des grands équipementiers qui cherchent à conserver dans leur giron la maintenance de leurs équipements. Le groupe est aujourd'hui numéro deux mondial dans cette activité très profitable sur laquelle nous investissons beaucoup pour garantir sa croissance.

Dans ce contexte, la réponse du groupe Air France-KLM ne peut être que mondiale ou européenne. Pour se battre à armes égales face à des géants et rester dans la course, il faut mettre les moyens. Si la croissance de la compagnie ne suit pas le rythme du marché mondial – 3 ou 4 % de croissance par an –, le déclin est assuré. Dans le métier capitalistique qu'est le transport aérien, la taille compte : la densité du réseau, le nombre de destinations et le nombre d'avions sont des éléments essentiels de la force commerciale et de la compétitivité d'un groupe comme Air France-KLM.

Face à ce défi, la stratégie du groupe se décline en trois volets : sur les vols long-courriers, Air France dispose d'un des plus beaux réseaux et offre le plus grand nombre de destinations intercontinentales – même si nous serons probablement dépassés par Emirates à brève échéance. À l'Ouest, Air France a noué des alliances très solides en Amérique du Nord – avec Delta – et en Amérique du Sud. En revanche, à l'Est, alors que la croissance du trafic y est la plus rapide, les partenariats sont encore embryonnaires – avec China Eastern, China Southern, Etihad, Japan Airlines. Nous devons nous inspirer de la réussite de l'alliance avec Delta tout en cherchant à diversifier nos partenaires.

En Europe, nous souhaitons, d'une part, renforcer nos hubs pour les rendre plus compétitifs et plus attractifs, grâce à des relations fortes avec les aéroports mais aussi au développement de réseaux d'apport performants. D'autre part, nous voulons développer le low cost au sein d'Air France-KLM pour pénétrer ce marché qui nous a échappé. Nous ne pouvons plus nous permettre d'en être absents pour plusieurs raisons : il s'agit d'un marché en croissance ; dans les discussions avec nos partenaires internationaux, nous devons pouvoir offrir l'accès au marché européen – c'est une faiblesse que de ne pas le contrôler. Nous avons les mêmes exigences à l'égard de nos partenaires américains ou asiatiques.

Le développement de Transavia est un élément clé de cette stratégie qui comprenait deux volets : le premier, le développement des Transavia actuels, et le second, la création de Transavia Europe. Pour Transavia France, il est prévu un triplement de la flotte sur quatre ans – de quatorze à trente-sept appareils –, accompagné du recrutement de 1 000 personnes dont 250 pilotes, permettant d'ouvrir des dizaines de destinations principalement au départ d'Orly. Pour Transavia Hollande, dont le modèle est à l'origine de Transavia France, le projet est plus mesuré, car le potentiel de croissance est plus limité : avec trente avions, la compagnie couvre bien le marché hollandais.

Il faut savoir que le taux de pénétration du low cost en France est plus faible que dans le reste de l'Europe, mais que le taux de croissance y est plus rapide. Si elle est de 46 % en Europe, la part de marché en France a progressé de 21 à 28 %. La France est devenue le marché cible pour les compagnies à bas coût, celles-ci ne s'en cachent pas.

Quant à la maintenance, notre stratégie repose sur une implantation internationale, en Amérique du Nord et en Asie, au plus près des clients, mais en conservant tout ou partie du travail industriel en France et en Hollande.

J'en viens maintenant au conflit. Celui-ci nous impose de faire évoluer le dialogue avec les partenaires sociaux. Je précise que le dialogue social à Air France est permanent et ouvert. Il occupe une place importante dans l'agenda de la direction.

Le dialogue sur le développement de Transavia France a débuté en octobre 2013, afin d'obtenir la levée de la limitation de la flotte à quatorze avions… sans succès depuis un an. Pour Transavia Europe, le projet de conquête européenne, grâce à l'ouverture de bases au Portugal et en Allemagne, est un sujet plus récent pour la simple raison que nous devions d'abord obtenir l'autorisation des actionnaires et du conseil d'administration, autorisation conditionnée par la capacité du groupe à financer sa stratégie au vu des résultats du plan Transform. Nous étions prêts le 4 septembre. Le matin même du conseil d'administration, nous avons présenté le projet devant le comité central d'entreprise, puis, quelques jours plus tard, devant le world council hollandais. Il n'y avait de notre part aucune volonté de dissimuler le projet, mais il eût été difficile de le présenter sans autorisation ni financement.

Je souligne que, pendant le conflit, le dialogue a été permanent. Il a donné lieu à plus de soixante-dix heures de négociation. Le dialogue a été difficile, parfois heurté mais il n'a jamais été rompu. Cependant, les revendications ont évolué. Le préavis de grève déposé fin août portait sur deux points : d'une part, l'équilibrage entre Air France et KLM, et des questions relevant de la vie quotidienne des pilotes ; d'autre part, Transavia France pour laquelle les pilotes réclamaient un contrat unique et un groupe de pilotes unique reprenant les conditions applicables à Air France.

Transavia Europe n'est alors pas mentionné. Il apparaît comme un objet de contestation au cours du conflit. Nous avons jugé préférable de suspendre puis de retirer le projet pour prendre le temps de l'expliquer et éventuellement le relancer une fois la conviction emportée. Dès lors que le retrait du projet a été annoncé, les revendications se sont bizarrement portées de nouveau sur Transavia France.

J'ai entendu des mots comme « dumping social » et « délocalisation ». Je m'interroge sur l'emploi de ce dernier alors que nous parlons de l'Europe de l'Ouest. Quant au dumping social, si nous nous sommes battus pendant quinze ans pour que les compagnies à bas coût installées en France appliquent le droit français, ce n'est pas pour réclamer un droit particulier pour les bases ouvertes par Air France au Portugal et en Allemagne. C'est la norme européenne que d'appliquer le droit local. L'expression de dumping social, s'agissant de l'Allemagne, me semble quelque peu abusive.

Le projet donc sera rediscuté en temps utile, lorsque les choses seront revenues à la normale. Car le retrait du projet Transavia Europe, auquel nous avons été contraints, affaiblit le projet stratégique qui avait pour objectif de consolider le groupe.

Durant les soixante-dix heures de négociation, des ruptures inattendues sont intervenues. Ainsi, au treizième jour de grève, le contact a été perdu : je l'ai personnellement renoué le samedi matin et les négociations ont repris de manière cordiale. Pourtant, la nuit suivante, nos interlocuteurs nous ont dit que le protocole, dont seuls des détails restaient en discussion, ne pouvait pas être soumis aux adhérents.

Finalement, la grève a été levée de manière unilatérale, sans contrepartie, puisqu'aucune revendication n'a été satisfaite. Transavia France sera développée, soit à partir de la piste évoquée dans la négociation avec les organisations de pilotes, soit à partir d'autres options que nous sommes en train d'affiner. Mais le temps presse : pour ouvrir en avril 2015, nous devons être prêts en novembre.

La reprise se fait de manière très rapide. Aujourd'hui, le trafic est assuré à 98 %. C'est un exploit de la part de nos équipes que d'avoir réussi cela en moins de quarante-huit heures. Le trafic sera de 100 % demain.

Nous menons une forte offensive marketing pour reconquérir les clients. Nous avons publié dans les journaux une lettre à leur attention pour présenter des excuses et les convaincre de revenir. Mais ils sont nombreux à être fidèles et à nous avoir manifesté leur soutien.

Enfin, il nous faut recoudre les plaies internes de l'entreprise et chercher les voies d'un dialogue renouvelé, responsable, qui ne soit pas fondé sur le conflit.

Les autres catégories de personnel ont été violemment perturbées par le conflit, elles ont apporté à la direction un soutien considérable – pétitions de milliers de personnes, courriels en nombre équivalent, manifestations au siège. Les encouragements portaient sur la méthode, le précédent plan très difficile s'étant fait dans le dialogue, et sur le fond, le projet apparaissant comme une exigence pour Air France.

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