Intervention de Alexandre de Juniac

Réunion du 30 septembre 2014 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Alexandre de Juniac, président-directeur général du groupe Air France-KLM :

Les déchirements internes que vous évoquez doivent nous conduire à retisser les liens au sein de l'entreprise, sans chercher à stigmatiser telle ou telle catégorie de personnel, malgré les oppositions, parfois violentes, qui se sont fait jour. Les pilotes de la compagnie sont des gens compétents et responsables. Ils exercent un métier difficile, puisqu'ils ont la charge de transporter, plusieurs fois par jour, 300 personnes dans des conditions strictes de sécurité. Que le conflit ait pu mener leur profession dans une impasse ne remet pas en cause leurs qualités ni le fait qu'il ne saurait y avoir d'avion sans pilote, ni d'ailleurs sans mécanicien ou sans personnel de cabine. Tout le monde est indispensable au transport aérien.

Quant au consensus qui pourrait exister au sein de la compagnie au sujet de la mondialisation, je dirais qu'il s'en forme nécessairement un à partir de la réalité vécue quotidiennement par tout le personnel à travers le monde, au contact des clients et des concurrents. Parmi les milliers de messages de soutien que j'ai reçus, beaucoup exprimaient la nécessité pour Air France de se réformer et de s'adapter. Les pilotes eux-mêmes en ont conscience, car ils peuvent chaque jour observer sur le tarmac les avions des autres pays.

La différence de traitement entre le personnel navigant technique d'Air France et de Transavia représente, pour les vols moyen-courriers, une économie de 3 %, c'est-à-dire que l'heure de vol coûte 3 % de moins dans le cockpit d'un avion Transavia que dans le cockpit d'un avion Air France. Cela peut sembler négligeable, mais les compagnies d'aviation pratiquent en réalité un métier sans marge, de sorte qu'une telle différence fait basculer la compagnie de la perte au bénéfice.

Les compagnies à bas coût reposent précisément sur un modèle économique qui exclut tout compromis sur les coûts. Tous les postes de dépense devant être calculés au plus juste, la vigilance s'exerce sur les coûts de l'escale, de la maintenance au sol, du personnel navigant commercial et aussi des pilotes. Rien n'est oublié. Transavia ne dispose au demeurant d'aucune marge de manoeuvre, car ses coûts sont identiques à ceux d'easyJet, mais demeurent supérieurs à ceux de Ryanair. Il importe que votre commission le sache : Transavia ne figure pas parmi les plus compétitives des compagnies à bas coût.

Le développement d'une offre long-courrier low cost n'a pas encore fait l'objet de tentative vraiment convaincante. Air Asia s'y est essayée, mais a replié ses ailes. Puis Norwegian Airlines a fait une tentative, avec du personnel asiatique soumis à des conditions invraisemblables. Les Américains y ont mis un coup d'arrêt, jugeant que les conditions d'une concurrence équitable n'étaient pas respectées. Une nouvelle tentative est annoncée par Lufthansa. Tirant les leçons du passé, nous suivons la situation de très près. Mais les avions long-courriers volent déjà quatorze à quinze heures par jour, ce qui laisse peu de marge à qui voudrait en augmenter encore le taux d'utilisation. Sur un vol long, les options se révèlent également plus délicates à facturer, car il est difficile de ne pas offrir au moins un verre d'eau sur pareille distance.

Des vols charters européens existent déjà, mais c'est une offre saisonnière. Ils se concentrent cependant sur le secteur court-courrier, car les avions utilisés sont contraints à un repos forcé durant l'hiver, et cette immobilisation coûte trois fois plus cher pour des avions long-courriers. Malgré notre scepticisme sur une offre long-courrier à bas coût, nous restons cependant vigilants de façon à éviter d'être pris à revers.

Quant à l'offre des compagnies du Golfe, notre groupe a demandé respectivement aux gouvernements français et néerlandais, ainsi qu'à la Commission européenne, qu'ils négocient pour obtenir des conditions de concurrence équitables (level playing field) vis-à-vis des compagnies européennes, ce à quoi la Commission européenne s'est attelée. Conjointement avec Lufthansa, le groupe Air France-KLM a également demandé à la Commission européenne que le droit de la concurrence soit appliqué, qui prévoit qu'une compagnie non européenne limite sa participation à 49 % du capital d'une compagnie européenne qu'elle acquiert et n'exerce pas sur elle de contrôle effectif. Non seulement des compagnies du Golfe, mais encore des compagnies asiatiques et américaines se sont récemment portées acquéreuses. Des vérifications sont en cours.

Chez KLM, les pertes subies par la compagnie soeur française ont suscité des inquiétudes. Les deux compagnies sont en effet étroitement imbriquées, par leurs programmes, par leurs équipes commerciales et par le revenue management, système de gestion des capacités disponibles qui constitue le coeur de la maison et repose sur des équipes communes. Devant cette collaboration permanente, il faut apaiser les inquiétudes et rassurer au sein de la compagnie néerlandaise, en remettant le programme le plus vite possible en fonction.

À propos de l'enchaînement du conflit et des leçons à en tirer, je n'ai pas mentionné que nous avons reçu, fin août, le syndicat des pilotes pour une réunion de routine où, au terme de treize mois d'un dialogue fructueux fait de centaines d'heures de réunion, nous nous proposions de fixer les modalités de la négociation à venir sur Transavia et sur les conditions auxquelles pourrait être levée la limite des capacités de Transavia à quatorze appareils. Ce n'est pas sans surprise que j'ai ensuite reçu le préavis de grève – à quelques jours de la négociation qui devait s'ouvrir. Ce revirement subit ne peut s'expliquer que par un refus de voir la négociation aboutir. J'aurais préféré continuer dans la voie engagée.

Cette négociation ne portait du reste que sur Transavia France, sur des questions de vie quotidienne et sur des questions d'équilibre entre Air France et KLM. Malheureusement, le projet de Transavia Europe a été utilisé de manière tactique dans le conflit. Il est désormais retiré. Il aurait certainement évité ce traitement s'il avait été présenté plus tôt. Mais il n'était pas possible de le faire alors que le conseil d'administration et les actionnaires attendaient eux-mêmes, pour donner leur approbation, les résultats du plan Transform qui arrive bientôt à échéance. Depuis un an, j'avais néanmoins déjà indiqué publiquement, devant l'assemblée générale des actionnaires ou devant les organisations syndicales que, si Air France développait une compagnie à bas coût, elle serait paneuropéenne. L'existence d'un projet de dimension était donc bien connue, même s'il n'a été possible d'en préciser les contours qu'au moment où il se mettait en place.

La loi Diard a en effet évité tout désordre dans les aéroports, puisque les passagers ont pu, grâce à elle, être prévenus deux jours à l'avance. Elle a donc limité et pallié les inconvénients de la grève. Ce calme dans les aéroports peut être vu sous un jour moins favorable, si l'on songe qu'il a correspondu à une absence totale de passagers. Un peu de pression commerciale s'est seulement fait sentir dans nos agences. Quoi qu'il en soit, la loi Diard s'est révélée comme une disposition législative-clé. Pourvus de renforts, nos centres d'appels ont répondu chaque jour à des dizaines de milliers de passagers, qui ont été réorientés sur d'autres vols, y compris sur ceux de la concurrence. Le coeur serré, j'ai vu le personnel commercial très affecté de devoir prendre des réservations sur les compagnies rivales.

Au sujet de l'indice de confiance client, nous n'avons pas encore pu l'évaluer et il est trop tôt pour se prononcer sur les répercussions du conflit en ce domaine. Il nous guidera pour savoir comment mener notre politique de reconquête.

Pourquoi avoir refusé un médiateur ? La direction d'Air France et le Gouvernement ont refusé son intervention parce que des négociations étaient déjà en cours. Lorsque le fil a pu paraître un soir se rompre, j'ai moi-même appelé le président du Syndicat national des pilotes de ligne le lendemain matin. L'intervention d'un médiateur n'était donc pas indispensable et n'aurait eu d'autre effet que de faire durer les choses, ce qu'il fallait éviter.

Durant un bref intermède, une équipe paritaire, composée d'experts des deux côtés non pourvus de mandat, a travaillé à une solution. Mais elle n'est arrivée qu'à un contrat unique à des conditions dégradées par rapport aux conditions Air France, ce qui ne convenait pas. Aussi en est-on revenu à la négociation initiale.

Le projet de Transavia Europe est abandonné. Reviendra-t-il à l'ordre du jour ? Peut-être. Mais quoi qu'il en soit, les efforts se concentrent pour l'heure sur Transavia France, dont la flotte doit passer de quatorze à trente-sept avions, peut-être davantage, ne serait-ce que pour pouvoir couvrir toutes les villes européennes. Cela devrait conduire à la création rapide de 1 000 emplois sur le sol national, ce qui mérite d'être souligné.

Quant à l'ouverture aux compagnies non européennes, notamment aux compagnies du Golfe, nous avons demandé à la Commission européenne une régulation en matière d'obtention de droits de trafic et de respect des conditions de concurrence.

Pour la réunion de concertation qui aurait été annulée en amont du conflit, je vous avoue ne pas avoir compris à quoi il était fait référence, toutes les réunions s'étant tenues normalement.

Comment lever désormais la limite de quatorze appareils pour Transavia France ? Soit les pilotes signent le document auquel nous étions pratiquement parvenus quand le mouvement a commencé – l'offre tient toujours et peut-être un retour à la raison se produira-t-il –, soit Transavia France se développe dans des conditions similaires à celles qui ont été évoquées, après consultation des syndicats de pilotes, mais aussi des organisations représentatives des autres catégories de personnel. En tout cas, le temps presse. Pour réserver des créneaux horaires à Orly, développer des destinations et ouvrir les réservations pour avril 2015, nous devons aller vite.

Quant à la concertation sociale dans l'entreprise, elle est systématique depuis le plan Transform. Objet de consultations avec tous les syndicats, ce plan était porteur d'une restructuration assez sévère qui permettait de revenir à des résultats positifs en 2014. Le plan Perform va plus loin encore, puisqu'il est élaboré directement avec les salariés. La direction évalue le potentiel de croissance, entre 2 et 6 % selon les secteurs, et demande aux différents métiers comment ils pensent pouvoir atteindre le maximum de cette croissance. Ainsi, les propositions sont non seulement discutées, mais bâties ensemble avec les salariés, c'est l'essence même du plan Perform.

Je précise que cette méthode est employée depuis juillet 2014, soit bien avant le lancement du conflit. La démarche repose tout entière sur la conviction que les bonnes idées viennent du terrain. Cette volonté de dialogue devrait permettre de trouver les conditions d'un retour à la croissance.

Les jours de grève ne seront pas payés, comme c'est la règle dans le groupe depuis plusieurs années, quelle que soit la catégorie de personnel. L'incidence des arrêts de travail se fera sentir, pour la part fixe de la rémunération, sur les salaires de septembre et, pour la part variable, sur ceux d'octobre.

Monsieur le président, vous évoquez l'environnement fiscal et poussez l'amabilité jusqu'à envisager une baisse des taxes sur les passagers en correspondance ou une baisse de la taxe de solidarité sur les billets d'avion. Le groupe Air France-KLM s'acquitte de 6 à 7 milliards d'impôts et de contributions sociales chaque année, pour un tiers aux Pays-Bas et pour les deux tiers en France. Il est soumis à un niveau de taxation plus élevé que des concurrents européens opérant dans des conditions semblables, tel Lufthansa. Au même régime que cette dernière, le groupe verserait entre 300 et 500 millions d'euros de contributions sociales en moins chaque année.

Quant à la taxe de solidarité sur les billets d'avion, peut-être pourrait-on en effet réfléchir à abaisser son taux en élargissant son assiette, car il est difficile de comprendre pourquoi les compagnies aériennes devraient être les seules à financer les recherches sur le rétrovirus du sida.

À propos des contrats de régulation des gestionnaires d'aéroport, je tiens à dire que nous entretenons les meilleures relations avec Schiphol et avec Charles-de-Gaulle, car leur prospérité dépend de la présence de nos passagers. Il serait bon en effet que les revenus tirés du patrimoine immobilier ou des redevances perçues des commerces puissent aussi servir à améliorer l'infrastructure aéroportuaire. Aujourd'hui, la concurrence n'est pas seulement entre hubs européens, elle inclut les hubs du Golfe. Si Dubaï attire les grands congrès médicaux, qui pourraient se dérouler à Paris ou à Nice, c'est en raison de son hub et de ses hôtels.

En matière de droits de trafic, nous avons toujours milité pour une très grande prudence quant à leur octroi à des compagnies qui bénéficient de subventions d'État ou sont détenues à plus de 50 % par des États dont les attentes en retour sur investissement ne sont pas les mêmes que celles d'investisseurs privés, à l'image de ce que font nos amis américains, afin justement de garantir le respect des conditions de concurrence équitables.

Les pertes induites dépassent les 300 millions d'euros déjà cités, puisqu'elles concernent les fournisseurs, les passagers qui n'ont pas pu se rendre en France et la moindre affluence dans les boutiques.

Je confirme que les compagnies à bas coût ciblent désormais aussi la clientèle d'affaires, avec un certain succès d'ailleurs.

Quant à la flotte d'Air France, elle se renouvellera naturellement avec l'A320neo, qui deviendra l'avion de série à compter de 2018 ou 2019, quand s'arrêtera la chaîne de montage des anciens modèles. Transavia Hollande avait acheté des Boeing 737 pour constituer sa flotte et nous avons continué sur la lancée, car l'homogénéité de la flotte est essentielle dans les compagnies à bas coût, en simplifiant la formation des équipes, le système des réservations ou les opérations de maintenance. Mais nous n'avons certainement pas de position de principe sur le choix du constructeur d'avions.

Nous figurons déjà parmi les dix premières compagnies mondiales, mais nous voulons gagner encore en qualité. Un milliard d'euros ont été affectés à cette montée en gamme. L'offre nouvelle est disponible depuis hier pour Singapour et depuis deux mois pour New York. Des commentaires très positifs des passagers ont été entendus à la descente de l'avion : « C'est un autre monde ! », « Vous êtes revenus dans la classe des meilleurs »… J'en tire une grande satisfaction.

Air France est clairement identifiable comme compagnie nationale et les valeurs liées à notre pays sont aussi celles du luxe. Nous nous devons de compter parmi les deux ou trois meilleures en termes de qualité. C'est aussi la fierté des membres de la compagnie.

Pour la transparence sur les salaires, les organes de presse l'ont faite eux-mêmes. Le niveau de rémunération des pilotes ne me choque pas, compte tenu de la technicité de leur métier et des contraintes auxquelles ils sont soumis. Beaucoup sont des passionnés, qui préfèrent voler à Transavia, où les heures de vol sont plus nombreuses. Ne disent-ils pas eux-mêmes qu'ils ont le plus bureau du monde ? La terre, la mer, les étoiles… Je les crois.

Quant à Transavia Europe, je vous confirme l'abandon du projet. Mais la nécessité d'une offre de ce type se fera peut-être sentir un jour à nouveau.

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