Intervention de Pierre-Marie Abadie

Réunion du 30 septembre 2014 à 15h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre-Marie Abadie, candidat à la direction générale de l'ANDRA :

Je vous remercie pour l'honneur d'être auditionné par votre Commission. Ayant occupé, depuis 2007-2008, les fonctions de directeur de l'énergie à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de l'écologie et celles de commissaire du Gouvernement de l'ANDRA, je connais bien les enjeux, les défis et les priorités de cet établissement. Cette connaissance reste pourtant externe et si vous confirmez ma nomination, l'une de mes premières tâches consistera à bien comprendre l'établissement de l'intérieur en m'intéressant à son organisation, à son fonctionnement et au développement de ses métiers en matière de maîtrise d'ouvrage.

Je viens à l'ANDRA avec une culture diversifiée. J'ai commencé ma carrière dans l'environnement en m'occupant du contrôle des installations classées au sein de la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) de Lorraine. J'ai ensuite acquis une compétence dans le domaine économique et financier en travaillant à la direction générale du Trésor. Mon expérience au cabinet du ministre de la défense – où je me suis occupé de la réforme de la conduite des programmes à la délégation générale pour l'armement (DGA) et de restructurations de défense – m'a familiarisé avec les enjeux industriels. Enfin, le poste de directeur de l'énergie – qui combine les enjeux environnementaux, industriels et économiques – m'a permis d'acquérir un savoir-faire en matière de relations internationales, à la fois dans le cadre européen et multilatéral, notamment en ma qualité de vice-président du conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Ma vision de l'ANDRA s'articule autour de trois idées fortes.

Tout d'abord, face aux enjeux de long terme des déchets radioactifs, j'adhère pleinement au choix qui a présidé, dès 1991, à la naissance de l'agence : celui d'en faire un établissement indépendant chargé d'une mission de service public en faveur de l'environnement, un exploitant pleinement responsable et disposant de moyens humains, techniques et financiers adéquats. En cette période de crise, les dotations de l'établissement restent à la hauteur de ses besoins ; cette situation représente une chance, mais crée également des devoirs. L'ANDRA est ainsi, depuis plusieurs années, dépositaire d'un capital de crédibilité – scientifique, technique et sociétale – qui doit être préservé et développé. Cette crédibilité a été accumulée en interaction étroite avec le Parlement : créée au travers des différentes lois relatives aux déchets intervenues depuis vingt-cinq ans, l'ANDRA continue à bénéficier de l'attention de la représentation nationale, comme en témoignent le rapport des députés Julien Aubert et Christophe Bouillon ou le récent rapport de Christian Bataille et de Christian Namy sur l'évaluation du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR). C'est cette mobilisation collective des élus – nationaux et locaux – qui permet à l'agence d'avancer. Face à la responsabilité que représente l'enjeu national de traitement des déchets, les élus des territoires se mobilisent d'autant mieux sur le terrain qu'ils se savent soutenus et reconnus au niveau national et qu'ils bénéficient des retombées positives de leur effort. Il faut – sans précipitation, mais avec détermination et professionnalisme – maintenir cette dynamique vertueuse.

Son indépendance ne doit pas conduire l'ANDRA à agir seule. Au contraire, elle doit rester ouverte sur l'extérieur et travailler en lien avec son environnement : le monde scientifique, ses homologues étrangers et les producteurs de déchets qui, en vertu du principe pollueur-payeur, en financent le traitement. Dans cette collaboration, il faut veiller à éviter tant le complexe de supériorité – qui empêche l'écoute – que le complexe d'infériorité – qui conduit au repli sur soi. L'ouverture de l'ANDRA renvoie également à la question des générations futures, le problème des déchets radioactifs s'inscrivant dans une perspective de très long terme. Au-delà du lieu commun, il s'agit d'un véritable enjeu de transmission de la mémoire – celle de nos débats, de nos acquis et de nos incertitudes – aux générations qui nous suivent directement. L'agence doit enfin rester ouverte sur son environnement international.

La troisième caractéristique de l'établissement – qu'il me semble essentiel de préserver – est la polyvalence des métiers et des compétences en son sein. Il s'agit à la fois d'un établissement de recherche, d'un concepteur et maître d'ouvrage de nouveaux sites de stockage et d'un exploitant de sites industriels en fonctionnement. La recherche représente une facette essentielle de l'ANDRA dont les travaux menés depuis plusieurs décennies jouissent d'une bonne réputation. Nous avons accumulé beaucoup de connaissances, mais nous devons continuer à avancer afin de répondre aux nouvelles questions, notamment celles qui se posent dans le cadre du projet du Centre industriel de stockage géologique (CIGEO) à Bure-Saudron en Meuse et Haute-Marne. La conception et la maîtrise d'ouvrage de sites de stockage concernent tant le projet CIGEO que les programmes liés aux déchets de faible activité à vie longue (FAVL). En tant qu'exploitant de sites industriels – en fonction ou fermés et sous surveillance, comme dans la Manche –, l'ANDRA fait preuve d'une gestion sûre et respectueuse de l'environnement, ainsi que d'une capacité à nouer une relation de confiance avec son environnement local, en particulier avec les élus des territoires. Il faut continuer à faire vivre ces trois métiers et à les faire évoluer en fonction des demandes et des défis nouveaux.

Dans les mois et les années à venir, l'agence devra faire face à cinq défis principaux. Il faudra tout d'abord conforter les fondamentaux de l'établissement, tout en faisant évoluer l'organisation et les métiers. Je m'inscrirai pour commencer dans la continuité du travail remarquable que les équipes de l'ANDRA ont effectué dans ce domaine sous l'autorité de Marie-Claude Dupuis. Mais un cycle s'achève aujourd'hui pour le projet CIGEO : le débat public a eu lieu, l'esquisse est terminée, on entre désormais dans la phase de l'avant-projet sommaire (APS) avant d'aborder l'avant-projet détaillé (APD). S'ouvre donc une nouvelle étape, plus axée sur les détails de la conception et porteuse de nouveaux enjeux managériaux et organisationnels.

En quelques années, l'établissement est passé de 350 à 650 salariés ; son budget atteint aujourd'hui quelque 300 millions d'euros. L'ANDRA représente désormais un établissement de grande taille, investi d'une mission lourde et importante de maîtrise d'ouvrage ; cette dernière devra être renforcée dans les mois à venir au travers d'un pilotage stratégique des programmes. Il s'agira de faire des choix en identifiant les paramètres-clés pour optimiser la gestion en matière environnementale et industrielle. Il faudra également bien coordonner entre eux les différents sous-projets – la demande d'autorisation de création (DAC) de CIGEO comprend ainsi un dossier d'options de sûreté et un dossier d'options techniques de récupérabilité, mais le projet implique également des enjeux de gestion industrielle à long terme – ainsi que les interactions entre CIGEO et d'autres programmes tels que le programme FAVL. Il faudra enfin répondre à toutes les demandes – techniques, scientifiques, de sûreté – des évaluateurs extérieurs. Pour cela, il convient de développer un fonctionnement en mode « projet » – transversal et matriciel –, à l'image de ce qui a été réalisé à la DGA. Heureusement, l'établissement est déjà conscient de la nécessité d'évoluer afin de s'adapter à la nouvelle donne ; il a, depuis plusieurs mois, engagé une réflexion interne en ce sens dans le cadre de l'opération « CAP 2016 ». Le nouveau directeur général devra prendre une série de décisions organisationnelles, mais l'agence a clairement pris la mesure des défis managériaux auxquels elle fait face.

CIGEO – un chantier hors normes tant du point de vue technique qu'au regard de l'horizon temporel qu'il met en jeu – représente le deuxième défi majeur, le projet se structurant autour de la notion de réversibilité. À l'issue du débat national de l'année dernière, il a été décidé de mettre en oeuvre une démarche progressive et d'en préciser le calendrier. Pour parvenir, en 2025, à un fonctionnement opérationnel, la construction devra démarrer en 2020 ; la DAC interviendra en 2017, de nombreux rendez-vous dans le domaine industriel, de sûreté et d'ingénierie devant être honorés dès 2015. Plus tôt encore, il faudra terminer l'évaluation du coût du projet sur laquelle l'agence travaille depuis plusieurs mois. Le projet CIGEO laisse une place importante à la dimension territoriale, avec l'élaboration d'un schéma interdépartemental de développement du territoire (SIDT). Il s'agit au premier chef d'un sujet de l'État, mais l'ANDRA joue également un rôle important dans ce processus. Sa réticence à fournir des informations aux collectivités locales a pu provoquer des frustrations et des impatiences, mais l'agence ne saurait délivrer des données dont elle ne dispose pas encore. Les travaux de définition – l'APS et demain l'APD – apporteront bientôt de nouveaux éléments qui pourront demain être partagés avec les collectivités, permettant de nourrir la réflexion locale en matière d'articulation entre le développement endogène du territoire et la mise en place du projet.

La filière FAVL – autre grand projet – nous permettra de disposer d'une boîte complète de solutions pour traiter tous les déchets de façon adaptée. Tirant les leçons de l'échec de 2008 où un appel à candidatures avait été lancé directement auprès des communes, l'agence doit dépasser le niveau communal pour prendre en compte l'ensemble des atouts des territoires. Une démarche progressive a donc été adoptée : commençant par explorer les sites existants, tels que Soulaines ou Morvilliers, l'ANDRA devra en 2015, dans le cadre du PNGMDR, proposer des schémas industriels pour les déchets FAVL, en articulation avec les autres filières et les enjeux de traitement en amont – un jalon important.

Différentes catégories de déchets ne pouvant plus être traitées séparément, l'optimisation des filières – entre elles et en amont – représente un enjeu capital. L'ANDRA doit jouer un rôle de conseil stratégique auprès de l'État qui pilote le PNGMDR, document de référence en matière de gestion des déchets. Sa participation – d'ores et déjà effective – sera d'autant plus cruciale qu'avec la montée en puissance du démantèlement, les sites – notamment ceux des déchets à faible activité – se rempliront de plus en plus vite. Pour optimiser les volumes de stockage disponibles, il faut réfléchir au recyclage, à la réutilisation des poutrelles d'acier ou des déblais et au prétraitement, ces défis ne pouvant être relevés qu'au travers de l'innovation.

Enfin, l'ANDRA mène également une série de missions de service public. L'agence prend ainsi en charge la collecte des déchets de petits producteurs tels que les hôpitaux ainsi que les déchets radioactifs anciens comme les paratonnerres. Elle travaille sur des opérations telles que « Diagnostic Radium » qui l'a conduite à dépolluer des sites touchés par le radium en Île-de-France et dans la région Rhône-Alpes. L'essentiel de ces missions est financé par le ministère de l'écologie – la DGEC ou la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) – et par la cotisation des petits producteurs. L'établissement jouit, je l'ai dit, d'une situation financière confortable ; ces missions importantes se trouvent cependant sous tension et il faudra veiller à ce qu'elles continuent à être financées.

C'est avec enthousiasme que j'ajouterai ma pierre à l'édifice de l'ANDRA, un établissement qui travaille à une gestion durable et soutenable des déchets radioactifs.

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