Intervention de Pierre-Marie Abadie

Réunion du 30 septembre 2014 à 15h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre-Marie Abadie, candidat à la direction générale de l'ANDRA :

On prend progressivement conscience – notamment grâce au travail de sensibilisation de l'ANDRA – de l'importance des filières de recyclage, qui doivent permettre d'optimiser les volumes disponibles dans les sites de stockage existants. Cet enjeu collectif de recherche – qu'il s'agit encore de mener – renvoie à un sujet complexe tant sur le plan technique que sur celui de la sûreté. En effet, lorsqu'une fonderie récupère des pièces faiblement radioactives mais actuellement utilisées dans une installation nucléaire de base (INB), l'ensemble de la fonderie devient une INB, ce qui entraîne des conséquences en termes de sûreté et donc de coûts. Or une filière de recyclage ne peut subsister qu'en étant compétitive. La tarification de la rareté dans les centres de stockage existants incitera tant au réemploi des déblais et à la refonte des pièces qu'à l'optimisation du conditionnement et au prétraitement des déchets en amont, qui permettent également de limiter les volumes. Le verdict économique passera par la comparaison des coûts entre le recours au recyclage et le stockage direct. Les investissements d'avenir doivent financer un projet de recherche que l'ANDRA prévoit de mener dans ce domaine ; victime, en plus de la lenteur caractéristique du PIA, d'une série de remaniements et de transferts de responsabilité entre Matignon et le ministère de l'économie, le dossier devrait malgré tout parvenir bientôt au terme de son parcours.

Des centrales nucléaires sont d'ores et déjà démantelées aux États-Unis et nous espérons bien y parvenir, même si – on le constate sur l'exemple du site de Brennilis – le démantèlement représente un long parcours du combattant. Les enjeux diffèrent entre les sites rares qui n'existent qu'en un, deux ou trois exemplaires et les installations en série où il s'agira d'industrialiser la méthode tout en procédant à un traitement statistique des aléas.

Le débat public sur CIGEO a été difficile. Pourtant, si les réunions publiques locales n'ont pas pu se tenir, la participation sur Internet s'est avérée particulièrement importante. La conférence citoyenne organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP) a également apporté de nouveaux éclairages. À l'issue de ce débat, il est apparu nécessaire de clarifier la démarche présidant au passage du laboratoire au projet industriel ; c'est ainsi qu'est apparu le concept de phase industrielle pilote qui permettra, lorsqu'on aura construit les installations principales, de vérifier que tout fonctionne et que l'on maîtrise bien l'ensemble du process, de la construction à la gestion du site. On utilisera d'abord des colis sans, puis avec radioactivité ; cette phase sera donc marquée par une montée en puissance progressive du projet industriel.

Ce qui se passera à l'issue de cette phase industrielle pilote repose sur la notion de réversibilité qui renvoie à la nécessité d'assurer aux générations futures une possibilité de revenir sur nos décisions et de leur laisser le choix entre plusieurs options. Elle passe notamment par la récupérabilité des déchets, mais également par l'adaptabilité du projet, le volume comme la nature des déchets pouvant changer.

Entre-temps, nous devons trouver une manière de ne pas exposer les générations futures au risque radiologique ; or en l'état actuel des connaissances, la seule solution qui évite, sur le très long terme, le contact accidentel avec les déchets est le stockage en site profond. Mais il ne s'agit pas de mettre les déchets au fond pour les y oublier – on ne saurait imaginer le stockage profond sans la réversibilité –, ni de s'en débarrasser par manque d'autres options. Ainsi, il faut absolument s'assurer que l'on dispose de suffisamment de capacités d'entreposage pour ne pas être acculé à précipiter la démarche. La phase industrielle pilote participe de cette réversibilité ; durant cette période, la récupérabilité reste totale et aisée, les alvéoles n'étant pas fermées. Lorsqu'elle sera achevée, la représentation nationale devra trancher la question de savoir s'il faut fermer les alvéoles, remonter les déchets ou bien prolonger la phase pilote. Si l'on décide de laisser les déchets au fond, il conviendra certainement de boucher les alvéoles pour des raisons de sûreté ; récupérer les déchets deviendra alors moins aisé, mais restera possible. Pourtant lorsque cette question se posera, elle aura été éclairée par plusieurs années de fonctionnement de la phase industrielle pilote. Au total, la réversibilité représente un concept de gouvernance intergénérationnelle qui permet de donner un contenu concret à la solidarité avec les générations qui nous suivent immédiatement, loin des déclarations abstraites.

Monsieur Bertrand Pancher, nous connaissons l'impatience des territoires. Le projet CIGEO repose sur la responsabilité collective ; conscients de l'enjeu national que représente la gestion des déchets nucléaires, les élus locaux y apportent leur contribution, mais attendent en contrepartie le soutien de l'État et des producteurs de déchets, ainsi que des retombées économiques. C'est cette dynamique qu'il s'agit de conserver. Pendant longtemps, le développement économique autour du site de Meuse et de Haute-Marne fut essentiellement exogène, passant par l'apport d'installations et d'investissements et par l'association des industries et des entreprises locales à des appels d'offres nationaux ou accompagnés par les opérateurs EDF, Areva ou le CEA. Aujourd'hui – on a pu le constater lors du dernier Conseil de haut niveau (CHN) qui s'est tenu en 2013 –, la donne change : le projet CIGEO prend une réalité concrète, les premiers investissements pouvant intervenir à l'horizon de quatre ou cinq ans. En effet, avant de creuser les galeries ou d'installer les funiculaires, il faudra construire des routes, des postes électriques et des voies ferrées. Le territoire bénéficie désormais d'un développement économique plus endogène ; il lui faudra s'adapter à l'arrivée prochaine du chantier qui emploiera, à la pointe, plus de 2 000 personnes, puis à la présence du site CIGEO qui en emploiera entre 600 et 1 000. Chaque localité doit s'y préparer en mobilisant ses atouts : c'est tout l'objet du travail mené par la préfecture en liaison avec l'ANDRA qui pourra bientôt fournir des précisions sur le plan du site, les données techniques devenant disponibles.

Je ne répondrai pas à la question sur la fiscalité qui concerne l'État.

Le dernier chiffrage du coût de CIGEO date de 2005. Aujourd'hui, l'État a demandé à l'ANDRA de travailler sur une nouvelle évaluation du coût du stockage profond. La première spécificité de l'exercice consiste à devoir calculer le coût du projet sur toute sa durée, alors qu'en évaluant le coût du viaduc de Millau, on ne tient pas compte du prix de la rénovation, de la peinture ou de la réfection du goudron sur 200 ans. La deuxième particularité réside dans le fait de réaliser le calcul dans trois optiques différentes : pour l'ANDRA, il s'agit de piloter le projet ; pour l'État, de s'assurer que le projet est bien finançable par le consommateur via le prix de l'électricité, comme l'affirme la Cour des comptes ; pour les producteurs, de bien provisionner leurs comptes. N'ayant pas réalisé cet exercice depuis 2005, l'ANDRA a d'abord tâtonné avant de trouver la juste méthode. Un travail collaboratif a été mis en place, qui doit rester respectueux des responsabilités de chacun : en tant que maître d'ouvrage, l'ANDRA doit s'assurer que son projet est bien maîtrisé ; les producteurs, mettre des provisions dans leurs comptes ; l'État, superviser l'ensemble en veillant, conformément à la loi, à la prudence des provisions.

C'est par rigueur et professionnalisme que l'ANDRA refuse de communiquer le nouveau chiffrage des coûts malgré les questions qui lui sont adressées. En effet, le chiffrage final permettra aux entreprises cotées de donner des informations au marché ; faire vivre l'information au gré des travaux successifs, des débats techniques et des évaluations d'experts décrédibiliserait totalement l'exercice. Aujourd'hui, le processus arrive à son terme : les grands choix en matière de design sont arrêtés et ne subsistent que des questions sur les coûts unitaires de quelques composantes à l'horizon de 20, 30 ou 40 ans – qui dépendent de notre croyance dans le progrès technique – et des interrogations liées à l'optimisation de certains éléments.

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