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Intervention de Yves Blein

Réunion du 2 octobre 2014 à 9h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Blein, rapporteur :

Il serait effectivement prématuré de parler d'évaluation, puisque le CICE monte progressivement en charge, et qu'il ne donnera vraiment toute sa mesure qu'à partir de 2016. Nous allons donc plutôt dresser un bilan d'étape.

Je rappellerai d'abord que le CICE visait d'abord à provoquer le choc de compétitivité préconisé par le rapport Gallois. Les difficultés de notre économie sont connues : le solde du commerce extérieur se dégrade depuis dix ans ; les marges des entreprises ont été durablement affectées par la crise de 2008 ; le chômage demeure très élevé. Le rapport de Louis Gallois, remis en novembre 2012, a formulé un diagnostic d'ensemble, en insistant notamment sur les difficultés de l'industrie, et proposé des solutions.

En créant le CICE, le Gouvernement a voulu concilier renforcement de la compétitivité, développement de l'emploi et respect de la trajectoire des finances publiques. Le mécanisme retenu permet d'alléger le coût du travail pour les salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC : l'effort de soutien aux entreprises est donc concentré sur les niveaux de rémunération où l'emploi est le plus élastique à son coût. Cette mesure a ensuite trouvé sa place dans le Pacte de responsabilité et de solidarité.

En outre, afin d'apporter aux entreprises le soutien rapide dont elles avaient besoin, un mécanisme original de préfinancement a été mis en place : il permet à une entreprise de bénéficier de manière anticipée du montant du crédit d'impôt, en cédant ou en nantissant à un établissement de crédit la créance encore en germe. Bpifrance – dont l'encours total de préfinancement s'élevait à 1,8 milliard d'euros en juin 2014 – a été le principal opérateur de ce mécanisme, et son rôle est allé grandissant. On peut regretter que les organismes bancaires ne se soient pas davantage mobilisés.

La loi a enfin instauré des outils de contrôle et de suivi. Le législateur avait en effet expressément précisé que le CICE visait à financer l'amélioration de la compétitivité des entreprises, et exclu qu'il serve à une hausse des dividendes ou à une augmentation des rémunérations des dirigeants. Sans que cela constitue une condition à l'octroi du CICE, la façon dont les fonds ont été utilisés doit être retracée par les entreprises dans leurs comptes annuels.

Deux ans après la création du CICE, je l'ai dit, il serait prématuré de parler d'évaluation de cette mesure. En effet, le mécanisme du crédit d'impôt crée un décalage entre l'année sur laquelle le CICE est calculé et celle où les entreprises en bénéficient effectivement ; de plus, la montée en charge est progressive et le passage au taux plein de 6 % ne se fera qu'en 2014. Il n'atteindra donc son plein régime qu'en 2015. Il faut aussi prendre en considération la logique du CICE qui, en soutenant la production, aura plutôt des effets à moyen et long terme. Enfin, des incertitudes théoriques rendent aléatoires, à ce stade, l'utilisation des prévisions macroéconomiques sur les effets du CICE – chaque modèle ayant ses forces et ses faiblesses.

Il est néanmoins possible de dresser un bilan d'étape du CICE. Il est globalement positif.

Je veux d'abord insister sur la nécessité de procéder encore à des efforts de communication pour accompagner le CICE. La campagne de communication menée sur le crédit d'impôt a été soutenue et globalement efficace. Mais trop de chefs d'entreprise – notamment de TPE et de PME – nous ont dit qu'ils ne connaissaient pas ce dispositif, qu'ils craignaient que la demande d'un crédit d'impôt ne déclenche un contrôle fiscal… Certains ignoraient l'avoir perçu, leur comptable ayant omis de le leur signaler. D'autres encore croyaient qu'un crédit d'impôt devait, comme un crédit bancaire, être remboursé ! Ces confusions sont regrettables. À ces chefs d'entreprise, je veux dire que nous sommes pleinement conscients de la nécessité absolue de poursuivre l'effort avec constance. Le CICE est une mesure massive, durable, solidement installée et ils peuvent avoir confiance en sa pérennité.

Il nous faut donc tenir compte de ces incompréhensions et de ce manque d'information, et amplifier nos efforts de communication en demandant notamment aux professions du chiffre, aux chambres de commerce et d'industrie (CCI), aux chambres des métiers de se mobiliser.

Le CICE, soulignons-le, a sans conteste atteint sa cible. La masse salariale ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), hors régime MSA (Mutualité sociale agricole), est de 449 milliards d'euros. L'assiette du CICE est de 292 milliards d'euros, et de 302 milliards si on y ajoute le régime MSA. C'est donc plus de 65 % de la masse salariale de nos entreprises qui est concernée par cet effort sans précédent. De ces chiffres, il résulte aussi que nos entreprises pourraient percevoir plus de 12 milliards d'euros en 2014 grâce au CICE, et plus de 18 milliards en 2015. Les prévisions de la direction générale des finances publiques (DGFiP) diffèrent quelque peu, pour de multiples raisons : elle prévoit 10,8 milliards de dépenses, dont 8,7 milliards déjà constatés à ce jour.

Au regard des objectifs que le Gouvernement voulait atteindre, l'assiette du CICE est pertinente. Voici quelques chiffres sur la répartition sectorielle : dans l'hébergement et la restauration, 88,9 % de la masse salariale est éligible. Dans les transports et la construction, c'est plus de 80 % ; presque 80 % dans l'action sociale, les activités de service et les industries agroalimentaires et l'agriculture ; 70,7 % dans la métallurgie... L'effort porte donc bien en priorité sur les secteurs où les coûts de main-d'oeuvre sont les plus bas.

Le CICE bénéficie bien à l'industrie, puisque celle-ci représente 19,2 % de la masse salariale éligible et consommera 18,3 % de l'enveloppe globale du CICE. À l'inverse, la finance et les assurances, qui représentent 7,1 % de la masse salariale, ne perçoivent que 3,8 % de l'enveloppe CICE.

Le dispositif monte donc régulièrement en charge, il est durablement financé et les entreprises peuvent avoir confiance dans sa pérennité – la plupart l'ont compris. Cette constance de l'effort de la nation est absolument indispensable, je veux y insister.

La première année, le CICE a, d'après des données récemment publiées, notamment servi à détendre des situations délicates de trésorerie et à restaurer des marges. On perçoit déjà d'autres effets de ce dispositif : il a permis, selon les statistiques de l'INSEE, de stabiliser la hausse du coût du travail et devrait faire sentir ses effets sur l'emploi d'ici à la fin de l'année 2014, ou en tout cas en 2015.

Le CICE est orienté vers l'investissement et l'emploi. C'est pourquoi je veux saluer l'esprit de responsabilité des entreprises : d'après l'enquête réalisée par l'INSEE en mars 2014, la moitié d'entre elles pensent affecter le CICE à l'investissement ; 43 % des entreprises de services et 31 % des entreprises industrielles estiment que le CICE aura un effet sur leur niveau d'emploi ; 38 % des entreprises de services et 20 % des entreprises industrielles prévoient des hausses de salaires – ce qui est aussi une façon de répondre au problème de la demande. Enfin, le prix de vente devrait être la variable la moins touchée par le CICE. Interrogées à nouveau en juin 2014 par l'INSEE, les entreprises industrielles disent consacrer 58 % du CICE à l'investissement. Une étude menée par l'Association française des entreprises privées (AFEP) – donc un peu plus sujette à caution que celles de l'INSEE – donne les résultats suivants : 42 % des entreprises comptent utiliser le CICE pour renforcer leurs investissements, 22 % envisagent de le consacrer à la formation de leurs salariés, 15 % à la création d'emplois, 9 % à l'accroissement de leur fonds de roulement et 15 % pour modérer la hausse des prix.

Les entreprises méritent donc la confiance qui leur a été accordée : après quelques hésitations initiales, elles jouent le jeu.

Toutefois, des améliorations peuvent être apportées à ce dispositif.

L'imputation sur les acomptes d'impôt sur les sociétés devrait être autorisée. Déjà permise pour le crédit d'impôt recherche (CIR), elle permettrait d'accélérer la perception du crédit d'impôt par les entreprises.

Les entreprises ayant opté pour l'imposition au forfait sont aujourd'hui exclues du bénéfice du CICE. Or, certaines ont fait ce choix longtemps avant l'instauration de ce dispositif, pour des durées parfois très longues – ainsi, dans le secteur du transport maritime où les entreprises peuvent payer une taxe sur le tonnage transporté, le choix est fait pour dix ans. Il serait donc pertinent de les autoriser à revenir sur ce choix pour leur permettre d'opter pour le régime réel.

Les organismes à but non lucratif ne bénéficient du crédit d'impôt que pour la part de leur activité poursuivant des buts lucratifs. Parce qu'ils se trouvent parfois en concurrence avec des sociétés commerciales qui bénéficient, elles, du CICE, une hausse de l'abattement de la taxe sur les salaires a été inscrite dans la dernière loi de finances rectificative pour 2012. Cet abattement, qui bénéficie notamment à certaines associations, constitue un avantage moindre que le CICE. Afin de rétablir l'égalité de traitement entre secteurs lucratif et non lucratif lorsqu'il ne fait aucun doute qu'ils sont en concurrence, par exemple dans le secteur de l'éducation ou de l'aide à domicile, il faudrait étudier la possibilité d'accorder aux organismes non lucratifs un avantage fiscal qui compense ce différentiel. L'économie sociale et solidaire représente 10 % de notre PIB et 1,85 million d'emplois : il faut lui prêter la plus grande attention.

Je voudrais enfin en venir à l'exigence de dialogue social consubstantielle à la mise en place du CICE, et à quelques propositions afférentes.

Il apparaît judicieux de renforcer la transparence et la visibilité comptable de l'usage du CICE. Les organisations syndicales nous ont décrit les difficultés qu'elles rencontrent sur ce point. C'est pourquoi je propose que les commissaires aux comptes soient expressément chargés de retracer, dans les annexes comptables – qui sont accessibles aux représentants du personnel, aux instances représentatives –, l'usage qui est fait du CICE perçu par l'entreprise.

Le dialogue qui doit se nouer autour du CICE doit également s'inscrire dans l'échange annuel que les partenaires sociaux ont sur la stratégie de l'entreprise. Le CICE ne doit pas faire l'objet d'une simple communication ex post : outil de stratégie de l'entreprise, il doit être débattu comme tel au sein des instances représentatives du personnel et son utilisation corroborée par écrit dans les annexes comptables.

Quant aux comités régionaux de suivi, ils n'ont pas été installés. Ils devraient pourtant réunir les partenaires sociaux pour examiner l'usage du CICE et les effets de celui-ci sur l'économie régionale. Il devient urgent qu'ils soient mis en place.

Enfin, tout en estimant que le CICE répond efficacement au défi de la compétitivité, j'estime qu'il serait pertinent d'engager une réflexion sur l'avenir de ce dispositif, et notamment sur son articulation avec les allégements de cotisations sociales. Les montants consacrés au CICE pourraient, au terme de la montée en charge du dispositif, être agrégés dans un dispositif global d'allégement de charges qui regrouperait l'ensemble des allègements de charges – CICE, allègements Fillon, … – de l'ordre de 35 milliards d'euros. Cette mesure, outre la simplicité et la visibilité qu'elle offrirait, rétablirait l'égalité de fait entre les employeurs dont certains, aujourd'hui, ne peuvent pas bénéficier du CICE.

Je veux enfin remercier tous les membres de la mission d'information, ainsi que les personnes auditionnées.

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