Intervention de Didier Migaud

Réunion du 1er octobre 2014 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

J'aborderai successivement les deux avis, en commençant par celui relatif au projet de loi de programmation.

Aux termes de l'article 13 de la loi organique, la mission du Haut Conseil est triple : il doit apprécier l'estimation du produit intérieur brut – PIB – potentiel sur laquelle repose le projet de loi de programmation ; il doit se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées ; il doit examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif à moyen terme – OMT – retenu et des engagements européens de la France.

Permettez-moi d'évoquer tout d'abord l'estimation de produit intérieur brut potentiel. Le Haut Conseil devait se prononcer à ce sujet pour la première fois. C'est normal car, dans la mesure où il a été installé le 21 mars 2013, il n'avait pas pu rendre un avis sur la précédente loi de programmation du 31 décembre 2012.

Le PIB potentiel se définit usuellement comme la production soutenable, c'est-à-dire celle pouvant être réalisée sans entraîner de tensions sur les prix. Chacun connaît les fragilités de cette notion qui est pourtant devenue centrale en matière de gouvernance des finances publiques. Il ne s'agit pas de données statistiques ou comptables, mais du résultat d'un modèle économique, ce qui rend l'estimation du PIB potentiel à la fois difficile et incertaine. Sa mesure est rendue encore plus difficile par la crise économique que nous connaissons. En particulier, les chocs subis par l'économie française depuis 2008 ont vraisemblablement eu un impact pour partie transitoire et pour partie pérenne sur le niveau du PIB potentiel, sans qu'il soit toutefois possible d'estimer leur part respective avec précision.

L'écart de production, qui est la différence entre la production effective et la production potentielle, renseigne sur la capacité de rebond d'un pays quand il est négatif, ce qui est le cas actuellement, ou sur le risque de ralentissement quand il est positif. Pour ce qui nous concerne, il permet surtout d'identifier la composante conjoncturelle du déficit effectif et de mesurer, par différence, le solde structurel, qui est devenu un outil essentiel de pilotage des finances publiques à l'échelle européenne.

Le Gouvernement a retenu, pour le présent projet de loi, l'écart de production tel qu'estimé par la Commission européenne. Dans les estimations de la Commission, l'écart de production de l'économie française s'établit à – 2,7 % du PIB potentiel pour l'année 2013.

Le Haut Conseil constate que cette estimation se situe au centre de la large fourchette des estimations disponibles, notamment celles des organisations internationales, Fonds monétaire international – FMI – et Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE –, et celles de l'INSEE, qui se situe entre – 2 % et – 3,5 %. Un tel écart suggère que l'économie française dispose d'une forte capacité de rebond. Le scénario retenu par le Gouvernement, comme par les organisations internationales, est donc celui d'un rattrapage, avec une fermeture progressive de l'écart de production. Cependant, ce rattrapage ne serait pas tout à fait achevé à l'horizon de la programmation.

La position du Haut Conseil est plus réservée. Dans son avis, il considère en effet qu'un écart de production plus faible et, partant, une moindre capacité de rebond, ne peuvent être exclus.

Il note en particulier que l'économie française connaît un écart de production fortement négatif depuis plusieurs années, alors qu'en principe un tel écart est supposé se résorber rapidement. Cela conduit à s'interroger sur l'existence même d'un potentiel de rebond substantiel.

La prise en compte d'une telle hypothèse, qui, selon nous, mériterait d'être étudiée, se traduirait par un déficit structurel plus dégradé tout au long de la période de programmation et pourrait conduire à des prévisions de croissance plus faibles.

S'agissant de la croissance potentielle, le Haut Conseil considère que l'estimation de 1 % en 2014 et 2015 et de l'ordre de 1,2 % en moyenne pour les années 2016 à 2019 constitue une hypothèse acceptable.

Ces estimations, qui sont également reprises de la Commission européenne, sont plus basses que celles retenues dans la loi de programmation du 31 décembre 2012 et dans les programmes de stabilité et lois de finances ultérieurs, puisque la croissance potentielle était auparavant estimée entre 1,5 % et 1,6 % sur la période 2014-2017. Les présentes estimations sont proches des dernières estimations du FMI et de l'INSEE, inférieures à celles publiées par l'OCDE, mais plus élevées que celles de la Banque de France.

J'en viens à présent aux prévisions macroéconomiques associées au projet de loi, qui portent sur l'horizon de la programmation, c'est-à-dire la période 2014-2019. Permettez-moi d'aborder directement le moyen terme, car je reviendrai sur les années 2014 et 2015 à propos des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015.

Par rapport aux prévisions associées en avril dernier au programme de stabilité, le Haut Conseil note que le Gouvernement a décalé dans le temps son scénario de reprise de l'environnement international et revu à la baisse les perspectives de croissance à court terme. Ce scénario est ainsi moins optimiste que celui présenté en avril dans le programme de stabilité, qui reposait, comme le Haut Conseil l'avait noté dans son avis, sur la réalisation simultanée de plusieurs hypothèses favorables qui ne se sont pas matérialisées.

À moyen terme, ses prévisions pour 2016 et 2017 – respectivement 1,7 % et 1,9 % – reposent toutefois encore sur des hypothèses favorables quant à l'environnement extérieur et à l'effet des politiques économiques sur la compétitivité des entreprises françaises, l'investissement et l'emploi.

Le scénario reste entouré d'un certain nombre d'aléas, majoritairement orientés à la baisse, qui sont liés notamment à l'environnement international et à l'investissement. En particulier, la reprise du commerce mondial pourrait être moins rapide que prévu. Sans doute avez-vous vu les derniers chiffres publiés par l'Organisation mondiale du commerce – OMC – à ce sujet. De même, la reprise de l'investissement pourrait être moins marquée si les entreprises choisissaient de limiter leur endettement plutôt que d'investir, dans un contexte où l'amélioration de leur taux de marge serait lente. À l'inverse, le scénario du Gouvernement pourrait être conforté par une baisse de l'euro et, à moyen terme, par la mise en place d'un plan d'investissement européen.

J'en viens enfin à la cohérence de la programmation présentée par rapport à l'objectif à moyen terme et aux engagements européens de la France. Le Haut Conseil observe que cette programmation n'est pas cohérente avec les engagements européens de la France. Dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, la France s'est engagée, à l'occasion du programme de stabilité adressé aux autorités européennes en avril 2014, à ramener son déficit en deçà de 3 % du PIB d'ici 2015 et à améliorer son solde structurel de 0,8 point de PIB en 2014 et en 2015.

Or, dans la programmation présentée, le déficit effectif se maintiendrait au-delà de 4 % du PIB entre 2013 et 2015 et ne reviendrait pas sous le seuil de 3 % avant 2017.

L'ajustement structurel, c'est-à-dire la variation du solde structurel pour chacune des années 2014 et 2015, est nettement inférieur au rythme annuel de 0,8 point de PIB prévu dans le programme de stabilité d'avril 2014. Il serait de 0,1 point en 2014 et de 0,2 point en 2015. Pour 2016 également, l'objectif a été revu à la baisse, à 0,3 point contre 0,5 point selon le programme de stabilité. Ce dernier constitue pourtant notre point de référence obligé, puisqu'il a été présenté par la France après avoir reçu l'avis favorable du Parlement.

La France ne réaliserait donc pas l'ajustement structurel annoncé, et ce pour plusieurs raisons. La plus substantielle, c'est le caractère relativement modéré de l'effort en dépense. Cet effort est en effet réduit par rapport au programme de stabilité, les objectifs de croissance en valeur n'ayant pas été ajustés à la faible inflation sur les années 2014 à 2016. La baisse des hypothèses de croissance potentielle, qui se répercute mécaniquement sur l'ajustement structurel, constitue la deuxième raison. D'autres effets jouent enfin à la marge, concernant notamment la croissance spontanée des recettes qui reste inférieure à celle de l'activité en 2014 et en 2015.

Le respect des traités entraîne d'autres obligations, comme la convergence vers l'objectif de moyen terme ou le retour à un déficit effectif en deçà de 3 % du PIB. Pour la première, en raison du faible rythme d'ajustement structurel, la réalisation de l'OMT, qui a été revu à la baisse à – 0,4 % du PIB, est reportée à 2019 alors que le programme de stabilité prévoyait 2017. Pour le second, le programme de stabilité l'annonçait pour 2015, il serait désormais reporté à 2017.

En outre, si cette nouvelle trajectoire est moins ambitieuse que les précédentes, son respect n'est pas acquis, car cela supposerait d'infléchir fortement – et sur toute la période de programmation – la croissance de la dépense publique. Pour cela, les efforts déjà réalisés depuis 2011 en matière de croissance en volume de la dépense publique doivent être accentués. Or, une partie des dépenses programmées repose sur des économies à réaliser par des administrations dont l'État ne maîtrise pas les leviers, notamment les collectivités territoriales, l'Unédic ou les régimes complémentaires de retraite, même s'il est prévu de renforcer quelque peu les règles de gouvernance.

Aussi, en l'état des mesures annoncées, le Haut Conseil identifie-t-il un risque de déviation par rapport à la trajectoire vers l'objectif de moyen terme, trajectoire elle-même sensiblement décalée par rapport à la précédente loi de programmation et au dernier programme de stabilité.

Le Haut Conseil était également appelé à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015 ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Conformément à l'article 23 de la loi organique, il lui était également demandé de formuler une appréciation sur les mesures de correction présentées par le Gouvernement à la suite du déclenchement du mécanisme de correction en mai 2014. Pour le présent avis, le cadre de référence reste bien la loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, toujours en vigueur avant l'adoption, par le Parlement, d'une nouvelle programmation.

J'en viens directement aux principales conclusions de cet avis, s'agissant des prévisions macroéconomiques tout d'abord.

Pour 2014, au vu d'un acquis de croissance à la fin du premier semestre aujourd'hui estimé à 0,3 % et des dernières informations conjoncturelles disponibles, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance de 0,4 % est réaliste.

S'agissant de 2015, la prévision de croissance de 1 % est selon nous optimiste. Elle suppose en effet un redémarrage rapide et durable de l'activité, ce que ne suggèrent pas les derniers indicateurs conjoncturels.

Ce scénario présente par ailleurs plusieurs éléments de fragilité, qui concernent à la fois la demande mondiale et la demande intérieure. L'environnement international pourrait se révéler moins porteur, comme en attestent les dernières prévisions de croissance du commerce mondial de l'OMC, qui sont inférieures à celles du Gouvernement. La reprise de l'investissement productif pourrait être retardée compte tenu du faible taux d'utilisation des équipements, de perspectives d'activité incertaines et de la faiblesse des taux de marge sur lesquels le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – n'a eu, pour l'instant, qu'un impact limité. Le rebond de la consommation des ménages pourrait être de moindre ampleur, l'absence persistante d'amélioration sur le marché du travail pouvant en particulier conduire les ménages à ne pas diminuer leur épargne de précaution.

Le scénario présenté par le Gouvernement est entouré, par ailleurs, d'un certain nombre d'aléas qui concernent notamment l'environnement international et la demande interne.

J'en viens maintenant à la cohérence des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Dans son avis relatif au solde structurel des administrations publiques de 2013 rendu public en mai dernier, le Haut Conseil avait identifié un écart, qualifié d'important, de 1,5 point de PIB par rapport à la trajectoire définie dans la loi de programmation, ce qui a déclenché le mécanisme de correction. Aux termes de l'article 23 de la loi organique, le Gouvernement doit tenir compte de cet écart au projet de loi de finances pour 2015 en prenant des mesures adéquates.

Le Haut Conseil constate que le Gouvernement ne corrige pas l'écart important par rapport à cette loi. Au contraire, celui-ci s'accroît en prévision pour 2014 et 2015.

Plutôt que de corriger cet écart, le Gouvernement fait le choix de définir une nouvelle trajectoire, intégrant les déviations passées et fixant de nouveaux objectifs dont l'ambition est revue à la baisse.

Ainsi, en 2015, l'ajustement structurel – ou l'amélioration du solde structurel – serait de 0,2 point de PIB (contre 0,8 point précédemment), porté par un effort en dépense de 0,5 point. Cet effort se traduit, dans la nouvelle loi de programmation, par un objectif de progression de la dépense de 1,1 % en valeur, qui équivaut – compte tenu de l'inflation estimée à 0,9 % – à 0,2 % en volume.

Au vu des mesures présentées par le Gouvernement, le Haut Conseil, qui n'en a pas eu le détail exhaustif, estime que cet objectif de 1,1 % risque de ne pas être atteint, pour des raisons liées notamment à la masse salariale des administrations publiques et aux dépenses publiques locales, dont l'inflexion dépendra du comportement des assemblées locales en réaction à la baisse des dotations de l'État.

Par ces deux avis, le Haut Conseil envoie un message d'alerte au Gouvernement. Alors que la France s'était engagée à réduire son déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015 et à atteindre son objectif à moyen terme en 2017, ces engagements sont décalés dans le temps et sensiblement revus à la baisse en raison notamment d'un ajustement structurel réduit. La faiblesse de cet ajustement structurel et son report dans le temps font peser un risque sur la trajectoire de la dette publique qui continuera à augmenter.

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