Intervention de Didier Migaud

Réunion du 1er octobre 2014 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je ne pourrai répondre en détail à toutes les questions...

La France a retenu une conception minimaliste du comité budgétaire indépendant dont le traité budgétaire a rendu obligatoire la mise en place dans tous les États membres. Dans d'autres pays, comme l'Espagne ou le Royaume-Uni, il revient en effet à ce comité de fixer l'hypothèse de croissance servant de base aux projets de loi de finances. Mais la mission de notre Haut Conseil est strictement définie, de sorte que vous ne pouvez attendre que nous fournissions les réponses aux questions qui vous sont directement posées. De même, je peux seulement vous rappeler les textes, qui prévoient que le Conseil européen décide à la majorité qualifiée des sanctions à infliger.

Le Haut Conseil n'a pas pour mandat de proposer une autre politique économique. Je porte au demeurant une parole collégiale, et il n'y a pas eu de débat en son sein à ce sujet.

À propos des prévisions de croissance, je vous confirme qu'une augmentation du PIB de 0,4 % en 2014 me paraît réaliste, sachant que l'acquis de croissance est aujourd'hui de 0,3 % et qu'une hausse de 0,1 % au dernier trimestre semble crédible. Pour 2015, nous n'avons pas varié en jugeant optimiste l'hypothèse retenue par le Gouvernement. Nous étions-nous trompés sur 2014 ? J'admets que nous avons cru au scénario présenté par le Gouvernement, mais il faut aussi tenir compte de ce qui s'est passé depuis : nous l'avons fait, mais ce n'est pas le cas de tout le monde...

Pour 2015, nous confirmons notre jugement de prudence, sans pouvoir développer nos propres capacités d'analyse économique, mais en nous appuyant sur des enquêtes de conjoncture faites par d'autres. À la lumière de ces dernières, rien n'indique un redémarrage rapide de l'activité.

De même, aucune certitude n'existe quant au fait que le cycle économique serait aujourd'hui à son point le plus bas. Les hypothèses de croissance n'ont cessé d'être corrigées à la baisse. Il serait utile, quand un scénario central est proposé, que des scénarios alternatifs soient également avancés. Nous avons regretté que ce ne soit pas le cas.

Quand nous nous penchons sur la trajectoire de réduction des déficits publics, nous raisonnons par rapport aux engagements que le Gouvernement a fixés et que le Parlement a approuvés. Si un écart est constaté, notre mission est de le dire. Aujourd'hui, plutôt que de corriger les écarts, le Gouvernement propose une nouvelle trajectoire. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur son choix. Il ne nous revient pas non plus de nous substituer au Conseil européen ou à la Commission européenne pour dire comment les Européens apprécieront cette nouvelle trajectoire, alors que la précédente ne remonte qu'au mois d'avril dernier.

Sur les dépenses, nous constatons un effort réel. La dépense publique est davantage maîtrisée depuis 2011. Mais d'autres pays l'ont réduite, sans se contenter d'en freiner l'augmentation. Cela a-t-il un effet récessif ? Je crois – et c'est plutôt en tant que Premier président de la Cour des comptes que je m'exprime – que vous devez vous interroger sur l'efficacité de la dépense publique. Alors que le chômage est structurel et la formation professionnelle déficiente, tout l'argent employé dans les politiques publiques correspondantes est-il utilement dépensé ? Non, catégoriquement non. La dépense supplémentaire ne couvre pas forcément le besoin supplémentaire lorsque le besoin actuel n'est pas suffisamment couvert. Ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi sont ceux qui bénéficient le moins de la politique de formation professionnelle, pourtant dotée de plus de 30 milliards d'euros. Derrière chaque euro mal dépensé se cache cependant généralement quelqu'un qui en bénéficie, et c'est l'intérêt général qu'il faut avoir en tête.

Vous me dites que la réduction de la dépense peut avoir un effet récessif. Pour ma part je pose la question autrement : n'y a-t-il pas des marges permettant de rendre l'action publique plus efficace et plus pertinente au regard des crédits qui lui sont consacrés ? Plus on est attaché à l'action publique, plus on doit être attaché aussi à sa pertinence et à son efficacité. L'indifférence par rapport à l'absence de résultats est absolument choquante, dans un contexte où l'argent manque et où le niveau des prélèvements obligatoires est déjà élevé. Le sujet n'est pas facile ; il y a des réticences, des résistances. Pour avoir suivi vos débats tout à l'heure, j'ai pu vérifier que, chaque fois qu'une économie est proposée, il y a quelqu'un pour demander quelles en seront les conséquences. C'est pourquoi il faut replacer le sujet dans un contexte plus large.

Si l'on raisonne d'un point de vue purement franco-français, on peut dire que, par rapport au passé, l'effort est réel et ambitieux. Mais, comparé à celui consenti par d'autres pays, il ne l'est pas. L'État, le Gouvernement, les pouvoirs publics ont-ils la pleine capacité de maîtriser l'évolution de la dépense et à faire respecter les objectifs fixés ? Nous nous interrogeons. S'agissant, par exemple, des dépenses de personnel, l'État parvient pour sa part à les maîtriser, mais ce n'est pas le cas au niveau des collectivités territoriales et du secteur hospitalier.

Ce n'est pas le Haut Conseil des finances publiques ni la Cour des comptes qui dit que les dépenses de personnel ne doivent pas augmenter de plus de 200 millions d'euros d'une année sur l'autre : c'est vous-mêmes qui avez fixé cet objectif. Vous nous demandez de vérifier dans quelle mesure vous êtes capables de le respecter, sachant que l'État n'est pas en situation de s'engager pour les autres acteurs de la dépense publique, comme les collectivités territoriales, la sécurité sociale, l'Unédic, l'AGIRC ou l'ARRCO. Nous avons écrit que le scénario du Gouvernement reposait principalement sur la maîtrise des dépenses de personnel. Si celles-ci ne sont pas maîtrisées, ce scénario risque fort de ne pas être respecté.

Vous avez vu, d'autre part, que beaucoup d'institutions internationales ont révisé à la baisse leurs estimations de la demande mondiale. L'OMC a revu très sensiblement ses prévisions pour 2014 et 2015. Nous nous demandons si le Gouvernement en a parfaitement tenu compte.

Autre interrogation : quelle est la capacité de nos entreprises à répondre à l'augmentation éventuelle de la demande, compte tenu du problème de compétitivité qui se pose à elles ? Ce que je dis vous paraît peut-être hallucinant, mais il s'agit d'une analyse partagée par d'autres. Personne ne détient la vérité absolue en la matière, et les économistes eux-mêmes ont des points de vue divergents. J'ai l'honneur de présider une instance au sein de laquelle peuvent s'opposer des sensibilités différentes – mais c'est justement tout l'intérêt de la discussion. Nous essayons de vous exprimer un avis aussi unanime que possible, afin de vous apporter le meilleur éclairage compte tenu des missions qui sont les nôtres.

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