La séparation-transmutation étant un sujet très technique et un peu aride, je vais m'efforcer d'être court et dense. Le développement de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue est le premier des trois axes de recherche définis par la première loi de 1991 sur la gestion des déchets radioactifs, dont j'étais le rapporteur il y a près d'un quart de siècle. C'est un objectif ambitieux : réduire la durée d'activité des éléments à vie longue les plus radiotoxiques : le plutonium et les actinides mineurs (américium, curium et neptunium). Pour cela, il faut d'abord séparer ces différents éléments. Une fois séparés, il faut les transmuter par fission, dans un réacteur conçu à cette fin.
Fin 2012, conformément à la loi, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a remis une évaluation des perspectives industrielles de la séparation-transmutation. Ce dossier confirme que les recherches menées nous permettent aujourd'hui de disposer de procédés éprouvés en laboratoire pour séparer les éléments radioactifs à vie longue.
Mais la possibilité de réaliser la séparation à l'échelle industrielle est conditionnée par la viabilité des installations de retraitement des combustibles et de recyclage qui existent aujourd'hui. Ce sont ces installations qu'il faudra modifier le moment venu, pour permettre la séparation. De ce fait, si nous devions abandonner le retraitement des combustibles usés, les résultats des recherches sur la séparation-transmutation ne pourraient pas trouver d'application industrielle.
Il est vrai que le retraitement des combustibles usés tel qu'il existe aujourd'hui présente des limites techniques – on le sait depuis longtemps. Par exemple, il ne permet de recycler qu'une partie de l'uranium et du plutonium récupérés. De plus, la baisse du prix de l'uranium – passé, depuis 2007, de 100 € à 25 € la livre – le rend moins rentable. Mais, il ne faut pas juger de la viabilité économique d'une activité industrielle qui nécessite des investissements lourds, en fonction des variations souvent erratiques du cours d'une matière première. Pour EDF – et pour notre pays – la garantie de l'approvisionnement de ses centrales en combustible constitue une nécessité vitale. Cet outil industriel et les stocks stratégiques de matières associés lui permettraient de faire face à d'éventuelles tensions sur le marché.
De plus, plusieurs pays ont récemment décidé d'investir sur le traitementrecyclage des combustibles usés : la Fédération de Russie, la Chine, qui a signé une lettre d'intention avec Areva, et le Japon, qui annonce enfin la mise en service de son centre de Rokkasho-Myura, après les mises à niveau consécutives au tremblement de terre de 1991. Cette évolution constitue une opportunité pour notre industrie. Elle représente aussi un risque de concurrence accrue sur le marché international. Nous considérons qu'il faut tirer les conséquences de cette situation en renforçant l'effort de recherche sur le cycle du combustible et, tout particulièrement, celui nécessaire à la séparation-transmutation. Il sera, en effet, plus facile et moins coûteux de maintenir l'avance scientifique dont nous bénéficions aujourd'hui que d'essayer de revenir demain dans le peloton de tête, alors que nous ne disposerons plus de chercheurs compétents. C'est déjà un risque que nous courons un peu.
Une fois la séparation réalisée, la transmutation nécessite de disposer d'un réacteur capable de générer un flux de neutrons. Le dossier remis, fin 2012, par le CEA propose de développer un démonstrateur de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium de 600 MWe, baptisé ASTRID, tout en continuant à soutenir plusieurs projets alternatifs. Ainsi, en Hongrie, Christian Namy a rencontré les chercheurs qui travaillent, dans un laboratoire de l'Académie des sciences, sur le projet européen de réacteur à neutrons rapide à caloporteur gaz ALLEGRO, coordonné par le CEA. Ses interlocuteurs lui ont confirmé que l'étude de ce réacteur est encore à un stade très préliminaire.
S'agissant d'un développement devant aboutir – comme le demande la loi – à un réacteur opérationnel vers 2020-2025, le choix du CEA en faveur d'un réacteur refroidi au sodium est motivé par la maturité de cette filière. La Russie exploite depuis plus de trente ans un réacteur de ce type de 550 MWe, le BN-600. Son successeur de 880 MWe vient de diverger. Nous-mêmes avons déjà construit trois réacteurs de ce type. Lorsqu'il a été arrêté en 2009, le réacteur Phénix de 250 MWe était le plus ancien du parc. Il n'en reste pas moins que le sodium est un métal hautement réactif. Il réagit instantanément avec l'eau, de façon exothermique, en produisant de la soude et de l'hydrogène. Nous nous souvenons tous que, en travaux pratiques de physique-chimie, lorsque le professeur dépose un petit morceau de sodium dans l'eau, cela génère une flamme et parfois une explosion.
Pour autant, aucune des filières alternatives n'est exempte de difficultés sur le plan de la sûreté, comme le démontre une étude récemment publiée par l'IRSN et, a contrario le sodium présente aussi des avantages, par exemple son inertie thermique. Pour répondre aux inquiétudes sur cette technologie, dans le dossier remis fin 2012, le CEA propose des avancées notables en matière de sûreté pour ce futur réacteur. Néanmoins l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a adressé au CEA, sur la base d'une étude de l'IRSN et de l'avis de son propre groupe de travail « réacteurs », des demandes complémentaires en matière de dispositions de sûreté.
Nous estimons que le choix du CEA est pertinent, compte tenu des délais fixés, mais approuvons le haut niveau d'exigence de l'ASN et encourageons le CEA à prendre en compte les demandes complémentaires qu'elle a formulées. Le maintien de la sûreté nucléaire implique en effet une constante volonté de progression, a fortiori s'agissant d'un projet de recherche et développement. Je repasse la parole à Christian Namy sur le projet de stockage géologique profond.