Intervention de Christian Namy

Réunion du 17 septembre 2014 à 17h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Christian Namy, sénateur, rapporteur :

La loi de 1991 a créé l'Andra en tant qu'établissement indépendant des producteurs de déchets et lui a confié la mission d'assurer la gestion de l'ensemble des déchets radioactifs et des installations associées. Aussi, jusqu'à la fin 2009, l'Andra a très logiquement géré seule les travaux sur le stockage géologique profond, en respectant les délais fixés et en ne rendant de comptes qu'au Gouvernement et au Parlement.

Mais, en 2010, suite à la divulgation d'une nouvelle estimation de l'Andra sur le coût du projet, nettement plus élevée que la précédente de 2005, les grands producteurs de déchets ont rendu public un projet alternatif à celui de l'Andra et ont mis en doute sa capacité à mener à bien ce projet. Ils ont proposé de s'impliquer dans la maîtrise d'ouvrage, notamment en mettant à disposition leurs compétences internes et leur retour d'expérience sur les grands chantiers. Confrontés à cette situation durant leur évaluation du précédent plan, Christian Bataille et son co-rapporteur Claude Birraux ont exprimé sans détour leur position en adressant aux producteurs un rappel à la loi sur l'indépendance et les missions de l'Andra. Malgré leur avertissement, un an plus tard l'Andra a signé, sous l'égide de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), une convention de coopération avec les producteurs. Nous avons dressé un bilan des effets de cette convention, en principe confidentielle mais que nous avons pu consulter.

Nous ne négligeons ni l'apport des producteurs au projet Cigéo, en termes de retour d'expérience et de savoir-faire, ni la légitimité de leurs inquiétudes à l'égard de possibles dérives du coût de ce projet. Mais nous constatons que l'organisation mise en place par la DGEC pour assurer les échanges entre les producteurs et l'Andra n'est pas satisfaisante, puisqu'elle a conduit pour la première fois à des retards importants dans le calendrier du projet. Par ailleurs, nous considérons que l'opacité qui entoure les relations entre l'Andra et les producteurs dans le cadre de cette convention contredit l'esprit de la loi. Si, demain, il devait s'avérer que certains choix ont eu des conséquences néfastes, en termes de sûreté ou de coût, les conditions dans lesquelles ces décisions ont été prises risqueraient de rester mal définies. Une telle situation n'est absolument pas acceptable. Aussi nous demandons à la DGEC d'assurer, à l'avenir, la plus grande transparence possible des échanges entre l'Andra et les producteurs. De plus, nous lui demandons de limiter l'impact de ces échanges sur les délais de réalisation du projet, en bornant le nombre et la durée des réunions.

Mais le manque de transparence porte aussi sur les coûts de ce projet et, plus largement, toutes les charges à long terme de la filière nucléaire. La dernière évaluation du coût de Cigéo date de 2005. Une nouvelle évaluation devait être publiée à la fin de l'année 2013. Nous l'avons demandée, nous ne l'avons toujours pas. Nous demandons à la DGEC de la communiquer avant la fin de cette année. Cette situation ne peut pas perdurer. La loi de 2006 sur la gestion des déchets radioactifs a créé une commission indépendante : la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (CNEF) chargée de vérifier l'adéquation des provisions constituées par les producteurs de déchets au financement de leurs charges de long terme. Par le passé, l'Office avait rappelé plusieurs fois le Gouvernement à l'ordre concernant l'installation de cette commission qui a publié son premier rapport avec quatre ans de retard. Compte tenu de la nécessité, pour le Parlement mais aussi pour le Gouvernement, de disposer des moyens permettant d'assurer un contrôle plus efficace sur les conditions de financement des charges de long terme des producteurs de déchets radioactifs, nous préconisons de la transformer en une instance indépendante, disposant d'un secrétariat propre et avec une composition adaptée, à l'image de la Commission nationale d'évaluation. Cette CNEF renouvelée serait chargée d'un suivi permanent des charges de long terme de l'industrie nucléaire, ainsi que de l'adéquation des provisions et actifs correspondants.

Un autre point mis en évidence, dans le cadre du débat public de 2013 sur Cigéo, a tout particulièrement retenu notre attention, en raison des risques qu'il induits à court terme. Il s'agit du peu d'attention porté aux conditions d'insertion du futur centre de stockage dans le territoire. Certains impacts du projet Cigéo vont se concrétiser, dès 2015, par la mise en place des premières infrastructures indispensables à l'avancement du projet. Or, il n'existe, à ce jour, aucune structure administrative à même d'accompagner l'implantation du projet Cigéo dans le territoire. Cette situation pourrait se traduire par un manque de coordination entre les acteurs du projet et les acteurs locaux, susceptible de générer retards et insatisfactions. S'agissant d'un projet d'intérêt national, nous demandons au Gouvernement de créer, sans tarder, une « mission Cigéo » chargée d'accompagner l'insertion du projet dans le territoire, directement rattachée au Premier ministre et dirigée par un responsable de haut niveau.

À cet égard, nos collègues députés Christophe Bouillon et Julien Aubert avaient déjà demandé, dans un rapport de 2013 sur la gestion des déchets radioactifs, la création en Meuse et Haute-Marne d'une « zone d'intérêt national » compte tenu de l'importance de ce projet pour l'économie de tout le pays. À ce jour, l'engagement des grands producteurs de déchets (EDF, Areva et le CEA) dans le développement des deux départements impactés par le projet de stockage géologique profond n'est pas à la hauteur des promesses faites lors de l'acceptation de celui-ci. L'absence pendant plus d'une année, de réunion du Comité de Haut Niveau illustre leur démobilisation à l'égard du développement économique local. Le déploiement des premières installations représente une occasion de donner une nouvelle dynamique à l'accompagnement économique du territoire, prévu par la loi. La « mission Cigéo » serait également bien placée pour identifier suffisamment en amont les opportunités, informer les entreprises locales et étudier la meilleure façon d'en tirer parti.

S'agissant de la fiscalité associée au projet, il n'est pas acceptable que les conditions de sa mise en oeuvre ne soient toujours pas définies à ce stade. Nous demandons que le Gouvernement fasse rapidement des propositions précises à ce sujet. La « mission Cigéo » pourrait aussi avoir pour mandat d'assurer le lien avec les deux départements concernés dans ce domaine.

En un mot, cette mission permettrait d'assurer une coordination aujourd'hui inexistante et pourtant indispensable. Qui plus est, sa création constituerait, pour la population comme pour les élus locaux, une preuve de l'attention accordée à ce projet au plus haut niveau de l'État, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Je passe maintenant la parole à Christian Bataille qui va évoquer le déroulement du débat public sur Cigéo et ses suites.

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