Intervention de Julien Aubert

Séance en hémicycle du 8 octobre 2014 à 15h00
Transition énergétique — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert :

Votre argumentation m’a d’autant moins convaincu, madame la ministre, qu’elle me semble trahir un malentendu quant au fond de nos amendements. Le problème doit venir de nous puisqu’André Chassaigne, dont j’apprécie au plus haut point l’honnêteté intellectuelle, n’a pas non plus, de toute évidence, compris notre proposition. Je vais donc essayer de la réexpliquer, en particulier ce que nous entendons par « potentiel ».

Votre réponse, madame la ministre, portait sur le potentiel électrique, à savoir l’état électrique dans un point de l’espace. Quant à moi, j’utilise ce mot au sens du Larousse, c’est-à-dire l’ensemble des ressources dont un pays peut disposer. Ce n’est donc pas la même chose que la capacité de production, même s’il y a un lien. Ainsi, le Japon n’a quasiment plus aujourd’hui de capacité de production nucléaire, mais il garde un potentiel nucléaire : il est capable de se doter de l’arme nucléaire en six mois s’il le souhaite. Si néanmoins il ne restaure pas sa capacité de production, il finira par perdre tout son potentiel parce qu’il perdra toute sa recherche.

Dans cette affaire, madame la ministre, il s’agit aussi d’hommes et de femmes. La centrale de Cadarache, dont Damien Abad a parlé tout à l’heure, c’est 4 500 personnes. Il vous sera très difficile de les convaincre qu’on va réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité sans réduire les effectifs à Cadarache d’ici dix ou quinze ans !

Si l’on réfléchit en termes de potentiel nucléaire, nous avons un outil exceptionnel qui nous permet d’exporter dans le monde entier des centrales, et un savoir-faire en matière de démantèlement, d’enfouissement et de retraitement. Le message qui nous voulons envoyer, c’est que nous souhaitons conserver ce potentiel tout en réduisant notre capacité nucléaire. Cela signifie qu’on peut très bien réduire la capacité nucléaire française, la production d’électricité d’origine nucléaire, mais que le législateur entend garder l’avantage acquis, le savoir-faire, les outils qui nous permettront d’abord d’augmenter la part de la production nucléaire, si cela s’avérait nécessaire, et ensuite d’exporter et de produire une énergie à bas coût pour les Français. C’est ça, la notion de potentiel.

Nous sommes d’accord avec vous, monsieur Chassaigne, sans vouloir nier nos différences de sensibilité : nous ne considérons pas, nous non plus, qu’il ne faut rien changer à la situation telle qu’elle existe depuis 1973. Ça c’est la position caricaturale que les écologistes aimeraient nous voir endosser. Ce que nous disons, c’est que le nucléaire est une énergie essentielle pour réussir la transition énergétique parce qu’elle permet de stabiliser notre réseau, qui peut être déstabilisé par les énergies électriques intermittentes.

La technologie nucléaire a fait la preuve qu’elle permettait de produire une électricité peu coûteuse. Le savoir-faire et l’avance technologique de la France dans le domaine du nucléaire sont universellement reconnus. Il serait suicidaire, au prétexte de diversifier le bouquet énergétique français, d’en venir à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Songez que nous élaborons des prototypes, que nous sommes en avance dans la technologie de quatrième génération et que nous accueillons sur notre territoire le projet ITER, qui est un projet d’avenir !

Pour moi, il n’y a pas de contradiction entre la conviction que l’électricité de demain ne sera pas seulement d’origine nucléaire et la volonté de conserver notre avance dans ce domaine.

Honnêtement, madame la ministre, il n’y a plus beaucoup de domaines où nous sommes en avance. Allons-nous délibérément condamner une industrie qui fonctionne sous prétexte que quelques personnes lui reprochent des coûts théoriques et des risques potentiels ?

J’en reviens aux amendements : j’espère qu’André Chassaigne aura compris que les deux notions ne sont pas contradictoires. Qu’on se donne un objectif de capacité, très bien, mais faisons-le en respectant l’outil ! De grâce, ne cassons pas l’outil ! La notion de potentiel est englobante, totalisante, et rassemble tous les atouts dont ce pays peut s’enorgueillir.

Enfin, un des arguments du président Chassaigne portait sur le recours à un décret en Conseil d’État. Il s’agit par là de répondre à une objection qui a d’ailleurs modelé cette loi. À l’origine, le Gouvernement voulait inscrire dans la loi la fermeture de certaines centrales. Or, le Parlement n’a pas la possibilité d’en décider. C’est pourquoi nous avons choisi la solution du décret, adoptant la position juridique du Gouvernement.

Mais vous avez raison : il aurait été intéressant pour nous de discuter ici de l’avenir du parc : quelle partie du parc renouveler, quelle partie soumettre au grand carénage, quelle partie remplacer par la troisième génération, quelle partie au contraire abandonner… Voilà des questions importantes. Les aborder nous aurait permis de parler d’aménagement du territoire.

Parce que derrière ces grands objectifs théoriques et ces pourcentages, il y a quand même des sites, des emplois, des bassins et il aurait été intéressant que le législateur, avec toute la connaissance du territoire qui est la sienne, puisse souligner les répercussions et les déséquilibres du plan.

Répartir nos atouts, répartir notre potentiel, tel est l’objet de ces amendements.

Quant à la notion de stabilisation, que veut-elle dire ? Qu’aujourd’hui, nous sommes parmi les premières nations dans le nucléaire, qu’il s’agisse de la production ou du savoir-faire, et que nous souhaitons rester premiers, quels que soient nos choix capacitaires.

Madame le ministre, je me permets d’insister. Ce n’est pas de l’obstruction.

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