J’y répondrai précisément, même si on pourrait la balayer d’un revers de main en vous disant que votre majorité a eu douze ans pour changer la durée légale du travail et que vous ne l’avez pas fait… Mais je ne veux pas être méprisant.
Certaines propositions sont par ailleurs tellement pertinentes qu’elles viennent d’être adoptées, vous le savez, dans des textes récents ! D’autres sont encore en cours de réflexion avec les partenaires sociaux.
Mais vous connaissez ce qui justifie ma principale réserve : le texte que vous présentez n’est pas acceptable parce qu’il fait une entorse à l’excellente règle de conduite prise, je le rappelle, sous Gérard Larcher et dont le code du travail fait foi : le dialogue social comme préalable à la loi – article 1er . C’est le moyen de faire progresser notre démocratie sociale. Une telle proposition de loi ne pourrait d’ailleurs pas être soumise aux sénateurs sans que n’ait été recueilli auparavant l’avis des partenaires sociaux. Mais chaque assemblée a ses règles et je respecte celles de la vôtre.
Je tiens à rappeler, parce que certains l’oublient quelque peu, que la France est un pays de dialogue social : 40 000 accords conclus l’an dernier dans les entreprises. J’ajoute que tous les syndicats signent : 85 % ont été validés par CGT et 94 % par la CFDT – c’est historique. Notre pays progresse donc dans la voie du dialogue social. Le bilan de la loi de sécurisation de l’emploi montre que l’on négocie et trouve des compromis même en cas de destruction d’emplois. Ainsi, et c’est une bonne nouvelle, un accord majoritaire est trouvé dans 60 % des plans de sauvegarde de l’emploi. Au passage, j’ai noté que vous faites à ce sujet des propositions avec lesquelles je ne suis absolument pas d’accord, mais nous y reviendrons.
Les partenaires sociaux sont mûrs pour avancer, capables de trouver des accords, mûrs pour assumer pleinement leurs responsabilités ; c’est l’esprit même du pacte de responsabilité et de solidarité. On ne peut en effet demander aux représentants du patronat et des syndicats d’être responsables que si on leur confie des responsabilités. Vous et nous en avons fait le constat : votre majorité a réformé la représentativité syndicale ; nous avons réformé la représentativité patronale.
Mais votre proposition de loi constitue une forme de retour en arrière. Je ne sais pas si c’est dans l’air du temps dans les débats internes de votre formation politique, mais j’y vois une marque de défiance vis-à-vis des forces sociales. Cela, je vous le dis amicalement, monsieur Cherpion, ne vous ressemble pas. Un tel renoncement, là où on devrait trouver le socle d’un consensus sur certains points entre nous, est regrettable.
Cela étant, je vous l’ai dit, je vous rejoins sur d’autres points et partage certaines des préoccupations relayées par votre proposition de loi.
Ainsi, prenons la simplification du droit du travail, qu’il s’agisse des seuils ou des institutions représentatives du personnel – les IRP –, prévue à l’article 7. Je crois qu’elle est nécessaire. C’est pourquoi j’ai adressé cet été, suite à la grande conférence sociale, un document d’orientation aux partenaires sociaux pour les inviter à engager une négociation pour améliorer l’efficacité et la qualité du dialogue social. Cette négociation s’ouvre aujourd’hui même. Elle vise à renforcer l’efficacité du dialogue social, sa fluidité et, puisque c’est le but, sa capacité à être utile aux entreprises et aux salariés. Cela passe par des mécanismes plus simples et plus directs. Il y a actuellement une différence entre le droit formel et le doit réel : par exemple, s’agissant des IRP, environ 70 % des entreprises de onze à vingt salariés n’ont pas de représentants du personnel malgré le franchissement du seuil de dix salariés imposant l’élection d’un délégué du personnel. Il y a donc un problème et il faut trouver les voies d’une meilleure représentation dans les très petites entreprises, d’autant plus que, vous le savez, sur les 30 % restants, c’est le chef d’entreprise lui-même, une fois sur deux, qui choisit le délégué du personnel. Des pistes existent en la matière. Mais vous admettrez que faire des propositions sur la représentativité des salariés sans avoir consulté préalablement leurs représentants, c’est contradictoire avec l’objectif de renforcer ladite représentativité.
Et puis résumer la question que vous soulevez à un problème de seuils est réducteur. Il faut assurément faciliter la vie de l’entreprise, mais en améliorant la représentation des salariés. Par conséquent, il faut adopter des méthodes qui permettent un dialogue social de qualité. Gardons à l’esprit, je pense que vous en êtes d’accord, que le dialogue social n’entrave pas la vie de l’entreprise, bien au contraire.