Intervention de François Sauvadet

Réunion du 14 novembre 2012 à 9h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Sauvadet, rapporteur :

Puisque vous venez de mentionner le nom de M. Lionel Jospin, monsieur le président, j'émettrai le regret que son rapport sur la rénovation de la vie publique ait passé totalement sous silence la reconnaissance du vote blanc, qui contribuerait pourtant à un « renouveau démocratique », pour reprendre le titre même de ce rapport.

Cette reconnaissance du vote blanc n'est pas une question nouvelle, loin s'en faut. Elle est réclamée par plusieurs associations et par de nombreux citoyens et, selon un sondage publié avant-hier – sondage que je n'ai pas suscité, mais qui, je dois le dire, arrive à point –, ce sont même près de 70 % des Français qui l'estimeraient nécessaire. La question a été débattue à plusieurs reprises ici même et parfois dans l'hémicycle ; chacun d'entre nous en a été saisi dans sa circonscription par des électeurs qui s'étonnaient que leur vote blanc ne soit pas distingué d'un vote nul. Il est tout de même troublant qu'au XXIe siècle, à l'heure où l'on scrute de plus en plus finement l'état de l'opinion et les comportements électoraux, nous ne puissions connaître l'ampleur exacte de ce vote, puisqu'il est assimilé à un vote nul.

Il aurait été particulièrement intéressant à cet égard de disposer d'un décompte précis des votes blancs lors de la dernière élection présidentielle. Cela aurait permis de constater que l'actuel président de la République, à l'instar d'ailleurs d'un de ses prédécesseurs, n'a pas obtenu la majorité absolue des votants : 48,6 % seulement des citoyens ayant déposé un bulletin dans l'urne ont choisi François Hollande, qui a en revanche obtenu 51,6 % des suffrages exprimés.

Au second tour de l'élection, les bulletins blancs et nuls ont représenté 5,8 % des votants. Il faut remonter à l'élection de 1969 – le choix entre « bonnet blanc » et « blanc bonnet » – pour trouver une proportion plus élevée : 6,4 %. Mais si l'on retient le nombre d'électeurs, le deuxième tour de l'élection présidentielle de 2012 détient, avec plus de 2,1 millions de citoyens ayant voté blanc ou nul, le record de toutes les votations – élections et référendums – intervenues sous la Cinquième République. Cette situation doit interpeller tous les démocrates.

Nous sommes d'ailleurs nombreux, au sein des deux assemblées et sur presque tous les bancs, à avoir déposé des propositions de loi visant à reconnaître le vote blanc. Avant de présider notre Commission, M. Jean-Jacques Urvoas en avait lui-même déposé une, en février dernier. Pour la seule Assemblée nationale, sept propositions de loi visant la même fin ont été déposées sous la dixième législature (1993-1997), cinq sous la onzième législature (1997-2002), six sous la douzième législature (2002-2007) et huit sous la dernière (2007-2012).

L'une de ces propositions – dont j'étais signataire – a été adoptée par l'Assemblée nationale en 2003, mais au prix d'une modification de son contenu initial. En effet, si nous sommes nombreux à souhaiter la reconnaissance du vote blanc, sa comptabilisation – ou non – parmi les suffrages exprimés est débattue et le texte adopté visait à reconnaître les votes blancs par un décompte séparé, mais sans les inclure dans les suffrages exprimés. Cette proposition de loi est actuellement en navette. Vous n'ignorez cependant pas que le Conseil constitutionnel vient d'être saisi au sujet de l'adoption récente par le Sénat d'un texte – la loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc – que l'Assemblée nationale avait voté en 2002. Le professeur Guy Carcassonne, que j'ai auditionné, fait à ce sujet une lecture assez stricte de l'article 45 de la Constitution : selon lui, au-delà d'un certain temps, en raison des alternances, ce texte ne pourrait plus être valablement examiné par la Haute assemblée, étant frappé de caducité. Cet avis ne préjuge bien sûr pas de la décision du Conseil constitutionnel, mais il y a là une considération qui m'a conduit à déposer une nouvelle proposition de loi.

Celle-ci est ambitieuse : je vous propose une véritable reconnaissance juridique du phénomène du vote blanc. Non seulement les votes blancs seraient décomptés séparément des votes nuls, mais ils seraient pris en compte pour le calcul des suffrages exprimés. Il y a en effet une certaine hypocrisie à reconnaître le vote blanc comme l'expression d'un suffrage tout en refusant de considérer ce dernier comme « exprimé » au motif qu'il ne distinguerait aucun candidat. C'est donc avec intérêt que j'entendrai M. le président et les porte-parole des groupes sur cette appréciation de la notion d'expression. Selon le professeur Guy Carcassonne, la finalité de l'expression est le choix du candidat. Je considère pour ma part que, dès lors qu'il est reconnu comme un moyen d'expression, le vote blanc est aussi une expression politique du citoyen.

Pour les référendums, l'innovation aurait toute sa pertinence, sans entraîner de conséquences juridiques marquées. Au lieu de répondre par « oui » ou par « non », les citoyens auraient la possibilité de manifester qu'ils ne se reconnaissent pas dans la question posée, sans pour autant avoir à s'abstenir : il y aurait donc bien de leur part un acte citoyen.

L'intégration des votes blancs dans les suffrages exprimés n'emporterait guère de conséquences déterminantes lorsqu'un scrutin électoral a lieu à la proportionnelle. Ces conséquences seraient en revanche réelles pour les élections au scrutin majoritaire : il serait plus difficile d'être élu dès le premier tour, puisqu'il faut y réunir la majorité absolue des suffrages exprimés ; mais au second tour, qui se décide à la majorité relative, il n'y aurait pas de conséquences particulières sur l'offre politique et sur les choix opérés.

La seule difficulté juridique concerne l'élection présidentielle, puisque l'article 7 de la Constitution dispose que « le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Si les 2,1 millions de bulletins blancs ou nuls de la dernière élection avaient été pris en compte, le président de la République n'aurait pu être élu au second tour, faute d'avoir atteint les 50 % de suffrages exprimés. J'ai cru comprendre hier, au cours de sa conférence de presse, que M. Hollande envisageait une réforme constitutionnelle. Cela pourrait être l'occasion de lever la difficulté si nous nous engagions dans la voie d'une reconnaissance pleine et entière du vote blanc comme un suffrage exprimé. Il suffit pour cela que cette volonté soit partagée.

Cette reconnaissance contribuerait en tout cas à détourner nos concitoyens de l'abstention, qui affecte particulièrement les élections locales, et à éviter le recours au vote extrême, qui est souvent un vote de rejet. Vous le constaterez dans mon rapport, le vote blanc correspond bien à un choix politique puisque le nombre de bulletins blancs et nuls augmente presque systématiquement entre les deux tours. Le citoyen entend donc donner un sens politique à son vote : il participe à la vie démocratique, mais indique clairement qu'il ne se reconnaît pas dans l'offre politique proposée.

Un dernier point doit retenir votre attention. La reconnaissance du vote blanc existe déjà pour partie en cas de votation électronique, sur une machine à voter, puisque l'électeur dispose d'une touche « blanc ».

Si les difficultés juridiques que soulève cette proposition ne sont pas contestables, le thermomètre que constitue l'élection doit être pleinement exploité. C'est en ce sens que je vous invite à reconnaître le vote blanc comme un moyen d'expression démocratique.

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