Intervention de Jean-Luc Drapeau

Réunion du 14 novembre 2012 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Drapeau, rapporteur pour avis :

Globalement, les trois accords fiscaux que je vais vous présenter sont relatifs à l'échange de renseignements pour lutter contre la fraude fiscale. Pour être précis, deux de ces accords ont exclusivement cet objet et l'un traite également de l'imposition à la source de certaines redevances.

Il me semble donc utile de commencer par vous rappeler le cadre international des accords sur les échanges de renseignements fiscaux. Les enjeux en la matière sont de toute évidence assez considérables. En 2007, le Conseil des prélèvements obligatoires avait estimé le montant annuel de la fraude à ces prélèvements, en France, entre 29 et 40 milliards d'euros ; certes cette évaluation est entachée d'une grande incertitude et une partie seulement de cette fraude utilise les paradis fiscaux ; cela n'en donne pas moins une idée.

Depuis une quinzaine d'années, la lutte contre la fraude fiscale, ainsi que contre les autres aspects de la délinquance et de la criminalité financières, tels que le blanchiment et le financement du terrorisme, est devenue une préoccupation de la communauté internationale. Comme on ne peut guère envisager de moyens plus contraignants, l'action internationale en la matière privilégie la passation d'accords d'échange de renseignements fiscaux entre les États, en vue de réduire progressivement l'opacité des paradis fiscaux. Cette démarche repose sur le volontariat des États, encouragé par la forme de pression morale exercée par la publication des fameuses listes dites noires ou grises.

Ce processus s'est développé sous l'égide de l'OCDE, qui, à partir de 1998, a donné une définition des paradis fiscaux, a établi une organisation internationale spécialement dédiée au problème, le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, et a publié, à partir de 2000, des listes noires ou grises. La définition des paradis fiscaux par l'OCDE repose sur quatre critères : une fiscalité insignifiante ou inexistante ; l'absence de transparence dans l'application des règles fiscales ; la tolérance pour les sociétés-écran et autres entités qui n'ont pas d'activité réelle ; l'absence de véritables échanges de renseignements en matière fiscales avec les autres États et territoires.

Il faut admettre que jusqu'en 2008, ce processus n'a pas donné de résultats significatifs. Mais la crise financière l'a relancé, car on a alors eu une prise de conscience plus générale des risques qui résultent de la circulation opaque et incontrôlée des flux financiers, ainsi que des enjeux pour les ressources fiscales des grands pays. Le G20 de Londres a acté en avril 2009 cette nécessité de relancer l'action dans ce domaine et l'OCDE a alors publié une liste noire d'États non coopératifs et une liste grise. La liste noire s'est rapidement vidée car il suffisait pour en sortir et passer sur la liste grise de prendre des engagements de principe de coopération fiscale. Pour sortir de la liste grise, il a été demandé la conclusion de douze accords d'échange de renseignements fiscaux. C'est donc une démarche centrée sur la coopération entre États et fondée sur les pressions morales et le volontariat qui a été privilégiée. On peut certes le regretter, mais le fait est que plus de 700 accords fiscaux ont été passés dans le monde depuis 2008.

Par ailleurs, pour permettre la sortie de la liste grise, ces accords doivent être conformes à des standards élaborés par l'OCDE. En effet, depuis 1963, cette organisation met à disposition un modèle de convention fiscale, qui a été de nombreuses fois révisé et comprend maintenant un article sur les échanges de renseignements fiscaux, lui-même plusieurs fois modifié pour être rendu plus exigeant en matière de transparence. Cet article inspire tous les accords passés dans ce domaine. Son contenu est détaillé dans mon rapport écrit. Je dirai simplement à ce stade qu'il prévoit que les accords sur les échanges de renseignements doivent avoir un champ assez large : tous les impôts sont concernés et les échanges se font entre administrations, indépendamment de l'existence ou non de poursuites judiciaires ; cependant, un pays requis, selon ce modèle, doit pouvoir refuser la transmission de renseignements demandés pour plusieurs motifs, tels que la non-conformité à sa législation ou à sa « pratique administrative normale, le secret commercial, industriel et professionnel ou encore l'ordre public ; enfin, il est expressément prévu des limitations à ces restrictions et notamment le fait qu'un pays ne peut pas prétexter d'une loi sur le secret bancaire pour refuser une communication.

Enfin, le Forum mondial sur la transparence, que j'ai évoqué et qui a maintenant une centaine de membres, pays de l'OCDE mais aussi paradis fiscaux repentis, si l'on peut dire, contrôle les engagements pris par ceux-ci. Une méthodologie a été élaborée pour ce faire. Elle est intéressante car elle met en valeur les éléments concrets nécessaires au développement d'échanges effectifs de renseignements en matière fiscale, notamment le fait qu'avant de savoir s'il y a ou non des accords sur ces échanges, il faut vérifier si certaines informations sont disponibles, par exemple l'identité des actionnaires et autres parties prenantes de toutes les sociétés, fiducies et fondations qui peuvent servir à dissimuler des flux financiers ; il faut aussi vérifier si l'administration fiscale des pays a le pouvoir juridique d'obtenir ces informations pour les transmettre en réponse à une demande internationale – c'est là notamment le problème du secret bancaire. Les pays sont évalués et notés par rapport à leurs avancées sur ces différents points et des rapports de progrès sont publiés.

Parallèlement, notre pays a créé en 2010 sa propre liste noire, avec un certain nombre de conséquences fiscales désagréables pour les entreprises et contribuables français qui ont des relations financières avec les territoires qui y sont inscrits. Oman a figuré en 2011 sur cette liste et les Philippines y figurent encore.

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les trois accords qui sont à notre ordre du jour.

L'accord avec les Philippines est en fait un avenant à la convention fiscale que nous avons depuis 1976 avec ce pays.

J'ai demandé au quai d'Orsay et à Bercy quelques informations afin d'évaluer les enjeux de nos relations avec les Philippines. Ce pays de 95 millions d'habitants est une économie émergente, même si elle est moins dynamique que celles de la plupart des autres pays du sud-est asiatique. Environ 180 entreprises françaises ou à capitaux français y sont présentes, certaines y employant plusieurs milliers de personnes. Nos exportations vers les Philippines ont atteint 686 millions d'euros en 2011, pour 520 millions d'euros d'importations depuis ce pays. Les Philippines sont en particulier un gros client pour notre industrie aéronautique, avec en 2012 des commandes ou des options pour près d'une centaine d'appareils.

Les informations qui m'ont été données sur les Philippines ne permettent pas d'assimiler ce pays à un paradis fiscal. La fiscalité n'y est pas insignifiante, avec notamment des taux maximum d'impôt de 50 % pour l'impôt sur le revenu et de 30 % pour l'impôt sur les sociétés. Le système financier et bancaire n'est pas hypertrophié et est soumis à une supervision qui paraît sérieuse.

En fait, ce qui a valu aux Philippines d'être montrées du doigt et d'être amenées à négocier ce type d'accords, c'est l'existence d'une loi très protectrice sur le secret bancaire, mais, sous la pression, celle-ci a été modifiée en 2010 pour autoriser la levée de ce secret dans un cas, justement pour répondre à la demande d'un partenaire en application d'un accord permettant l'échange de renseignements en matière fiscale. Pour le reste, le dernier rapport du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, présenté cette année au G20 de Los Cabos, relève encore quelques progrès à réaliser par les Philippines suite à l'examen de leurs dispositions légales et réglementaires de transparence fiscale, sur l'identification des porteurs de parts pour certaines sociétés et en matière de droit comptable, mais rien qui apparaisse rédhibitoire.

J'en viens au texte de l'accord qui nous est soumis. Cette rédaction reprend en fait presque mot pour mot la version la plus récente du modèle de l'OCDE que j'ai déjà évoqué et pour cette raison je ne la présenterai pas plus longuement. J'appelle juste votre attention sur la présence d'une clause non prévue par le modèle de l'OCDE, selon laquelle chaque partie, je cite, « doit prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration fiscale à accéder à ces renseignements et à les transmettre à son homologue ». C'est une manière de rappeler la nécessité de compléter les réformes engagées en interne pour respecter pleinement les standards définis dans le cadre de l'OCDE, puisqu'il y a encore quelques lacunes dans la réglementation philippine.

Le deuxième accord que j'évoquerai est l'avenant passé avec le sultanat d'Oman pour modifier la convention fiscale bilatérale de 1989.

Oman n'est pas très peuplé, avec seulement trois millions d'habitants, mais dispose de richesses pétrolières et gazières qui en font un partenaire économique significatif, même si ces richesses sont moindres que celles des autres pays du Golfe persique.

Les exportations françaises vers Oman se sont élevées en 2011 à 397 millions d'euros, pour 73 millions d'euros d'importations en provenance de ce pays. Une trentaine d'entreprises françaises sont présentes sur place.

Le système fiscal, financier et juridique n'est pas caractéristique d'un paradis fiscal. Certes, comme dans beaucoup de pays pétroliers, la fiscalité directe est très faible, avec un taux d'impôt sur les bénéfices qui ne dépasse pas 12 % et une absence d'impôt général sur le revenu des particuliers. Mais le secteur financier n'apparaît pas particulièrement développé et est soumis à une supervision assez stricte, avec notamment une loi sévère sur le blanchiment d'argent. Et le droit des sociétés et des fondations, peu libéral, ne favorise pas la création de sociétés-écran, puisqu'il y a un contrôle administratif strict et des obligations de transparence sur l'identité des associés.

L'accord avec Oman comprend deux types de stipulations.

D'une part, suite à une proposition de la France, qui a négocié des accords comparables avec des pays voisins comme le Qatar et l'Arabie saoudite, il établit un mécanisme d'échange de renseignements à des fins fiscales sur lequel je ne m'étendrai pas, car sa rédaction est conforme au modèle de l'OCDE et très proche de celle de l'accord avec les Philippines que je viens de présenter.

D'autre part, il amende les stipulations préexistantes relatives à la taxation des flux de redevances circulant entre les deux pays. Cette seconde modification a été demandée par Oman et acceptée par la France en contrepartie de l'insertion de la clause d'échange de renseignements. C'est cette demande de contrepartie qui a rendu la négociation avec Oman un peu difficile car, de manière générale, la signature d'accords de transparence fiscale n'a pas donné lieu à des contreparties. Ce qui finalement été obtenu par Oman, c'est la faculté de prélever une retenue à la source de 7 % sur les flux de redevances liées à la propriété intellectuelle qui seraient versés par un résident d'un des deux pays à un résident de l'autre. Selon les services des ministères des affaires étrangères et des finances, aucun flux financier existant actuellement entre Oman et la France ne serait susceptible d'être affecté par cette retenue à la source.

Je finirai par l'accord concernant Aruba.

Un mot de géographie d'abord : cette petite île qui ne compte qu'une centaine de millier d'habitants se situe dans la mer des Caraïbes, face au Venezuela.

Un mot de politique ensuite : Aruba n'est pas un État souverain, mais un territoire autonome rattaché aux Royaume des Pays-Bas. Aruba a donc ses propres institutions, son propre système fiscal et financier, donc peut être concerné par des accords fiscaux qui lui sont propres. Mais ces accords, formellement, sont nécessairement signés, comme c'est le cas du présent accord, avec le gouvernement des Pays-Bas et ratifiés par le parlement néerlandais, car la compétence pour les affaires étrangères est restée au niveau central.

Aruba est un territoire plutôt prospère, avec un PIB par habitant de l'ordre de 25 000 dollars, dont l'économie repose sur le tourisme, le bâtiment et le raffinage pétrolier. Les relations économiques avec la France sont faibles. Aucune entreprise française n'est enregistrée à Aruba et le commerce bilatéral représente une dizaine de millions d'euros dans les deux sens.

Aruba a brièvement figuré sur la liste grise de l'OCDE, mais ce n'est plus le cas et son système fiscal et financier ne paraît pas être celui d'un paradis fiscal. En effet, la fiscalité y semble tout à fait significative, avec un impôt sur les sociétés dont le taux est de 28 % et un impôt sur le revenu dont le taux marginal le plus élevé est proche de 59 %. Le secteur financier n'est pas particulièrement développé. Le dernier rapport du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, présenté au G20 de Los Cabos, rend compte d'une situation plutôt satisfaisante pour la réglementation arubéenne, même si quelques lacunes existent encore, notamment sur la possibilité d'accéder à l'identité des associés ou bénéficiaires de toutes les formes de sociétés et de fondations.

La rédaction de l'accord concernant Aruba se distingue de celle des accords avec Oman et les Philippines en s'écartant du modèle défini par l'OCDE. Mais cette rédaction est à cet égard satisfaisante car elle répond à toutes les prescriptions minimales de ce modèle et est à plusieurs égards plus précise et plus exigeante pour ce qui est de la transparence fiscale et de la coopération.

C'est ainsi, notamment, qu'elle envisage l'échange spontané, sans demande préalable, de renseignements fiscaux et la possibilité, dans le cadre de la coopération fiscale, de diligenter des enquêtes sur place menées par le fisc d'une des parties sur le territoire de l'autre. Les conditions dans lesquelles une demande de renseignement pourra être rejetée sont également restreintes par rapport au modèle de l'OCDE : d'une part, la possibilité assez vague d'invoquer une contradiction avec la « pratique administrative normale », qui figure dans ce modèle, n'est pas reprise dans l'accord concernant Aruba. D'autre part, ce dernier exclut explicitement deux prétextes éventuels de refus : l'existence d'une contestation judiciaire sur une créance fiscale objet d'une demande de renseignements ; le fait que l'acte faisant l'objet de l'enquête ne constituerait pas une infraction pénale dans le droit de la partie requise. Enfin, une clause prévoit l'obligation de mettre en conformité les législations internes avec les stipulations de l'accord.

Pour conclure, je vais vous proposer d'adopter les trois projets de loi de ratification qui nous sont soumis, ce pour plusieurs raisons.

D'abord, ils s'inscrivent dans un cadre international de lutte contre les paradis fiscaux qu'il ne faut pas sous-estimer, même si son caractère récent ne permet pas encore d'en évaluer l'efficacité concrète, notamment en termes de rentrées de fonds indûment soustraits au fisc. Certes, c'est un cadre fondé sur la pression morale et le volontariat, mais le fait est que 700 accords ont été signés en quelques années et qu'avec le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, un dispositif concret de normalisation des pratiques et de suivi des progrès a été mis en place, auquel une centaine d'États et de territoires ont adhéré.

De plus, il y a des arguments complémentaires s'agissant des trois accords dont nous parlons.

Tout d'abord, même s'ils peuvent avoir encore des progrès à faire en matière de transparence fiscale, les trois pays ou territoires concernés ne sont manifestement pas des paradis fiscaux typiques, au regard notamment de l'analyse de leur système fiscal et de leur secteur financier.

Ensuite, le sultanat d'Oman et les Philippines sont des économies émergentes, avec lesquelles la France dégage un excédent de son commerce bilatéral et qui attirent un nombre croissant d'entreprises françaises.

Enfin, les trois accords sont non seulement conformes aux standards internationaux en la matière, mais vont même, à des degrés divers, un peu au-delà.

Par ailleurs, si d'aventure l'application de ces accords n'était pas satisfaisante, la rédaction du code général des impôts qui institue une liste noire nationale offre à notre pays des moyens de pression, puisqu'il est possible d'y inscrire un pays qui n'appliquerait pas correctement un accord passé avec la France.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion