Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 14 novembre 2012 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure :

Nous sommes saisis de la convention du travail maritime qui a été adoptée en février 2006, lors de la 94e session de la Conférence internationale du travail.

Une réglementation efficace au plan international s'impose dans ce secteur, sans doute le plus mondialisé de tous : les gens de mer concernés par la convention travaillent hors de leur pays, souvent pour des employeurs eux aussi basés à l'étranger. Il arrive ainsi fréquemment qu'un navire soit la propriété de ressortissants d'un Etat, qu'il soit immatriculé dans un autre et que son équipage soit constitué de nationalités très différentes encore. On estime que les 45e des équipages mondiaux sont désormais recrutés dans les pays les plus pauvres.

La constitution d'un marché international du travail maritime, essentiellement suivant une logique de « moins-disant social », conduit à des configurations souvent très douloureuses pour les équipages, qui sont souvent sous-rémunérés, qui subissent une situation très précaire et qui doivent affronter des conditions de travail très dures. A cela s'ajoutent parfois des retards dans le versement des salaires et des abandons de marins dans des ports étrangers, sans paiement, sans ressources, et sans possibilité de rapatriement. Selon la base de données tenue par l'OIT, sept nouveaux cas d'abandon d'équipage ont été signalés depuis le début de l'année – et ils pourraient être plus nombreux en réalité.

Des normes internationales existent déjà, en grand nombre. Le présent texte a ainsi pour objet de reprendre et d'actualiser 37 conventions et 31 recommandations de l'Organisation internationale du travail (OIT), soit 68 instruments juridiques adoptés en matière de travail maritime. Ces normes ont le mérite d'exister, mais elles sont trop nombreuses et trop disparates, trop détaillées dans chaque domaine et souvent trop datées pour être appliquées avec efficacité. Au demeurant, elles ne sont pas toutes ratifiées de manière satisfaisante. L'objet de la convention de 2006 est de remédier à cette situation très imparfaite au plan juridique et surtout au plan social, en consacrant des normes minimales pour les gens de mer, afin de garantir des conditions de vie et de travail partout décentes. Cette convention est le premier instrument de l'OIT mettant en place un ensemble de normes couvrant les différents aspects du droit social dans un secteur d'activité, ce qui est remarquable en soi.

Son champ d'application est un élément clef. Les « gens de mer » concernés par la convention sont définis, à l'article II, comme les personnes employées, engagées ou travaillant à quelque titre que ce soit à bord d'un navire auquel la présente convention s'applique. C'est une définition très large, qui vise entre 1,2 et 1,4 million de personnes à travers le monde, et qui devrait notamment permettre d'inclure le personnel travaillant dans l'hôtellerie et la restauration à bord des navires transportant des voyageurs. Les navires visés sont tous ceux « appartenant à des entités publiques ou privées normalement affectés à des activités commerciales », à l'exception des navires naviguant seulement dans les eaux intérieures, des navires affectés à la pêche, qui font l'objet d'une autre convention, adoptée en 2007, des navires de construction traditionnelle, tels que les jonques et les boutres, ou encore les navires de guerre.

La convention énonce des droits minimaux précis pour les gens de mer dans un nombre importants de domaines. Je me contenterai d'évoquer les grandes lignes, une synthèse plus détaillée figurant à l'annexe 1 du rapport.

Tout d'abord, la convention fixe des conditions pour le travail à bord d'un navire, notamment en matière d'âge, de santé et de formation.

Le titre II traite ensuite des conditions d'emploi des gens de mer, avec des règles relatives aux salaires, à la durée du travail, aux congés payés, au droit au rapatriement, aux effectifs, aux indemnisations en cas de perte du navire ou de naufrage et au développement des carrières.

Dans le titre III sont fixées des règles sur le logement, les loisirs ou encore la nourriture. La convention va ainsi au-delà du droit du travail : il s'agit de fournir un lieu de travail et de vie décent aux gens de mer, ainsi qu'une alimentation suffisante et saine.

Enfin, le titre IV traite de leur santé, de leur bien-être et de leur protection en matière de sécurité sociale. Il faut noter que si certaines stipulations ne font que reprendre celles de conventions antérieures, d'autres sont plus novatrices.

Plus important encore, la convention comporte un système permettant de vérifier le respect des normes qu'elle instaure. C'est là une garantie que les droits octroyés ne resteront pas lettre morte. La responsabilité d'exercer un contrôle sur l'application de la convention revient d'abord à l'Etat du pavillon, où le navire est immatriculé, puis à l'Etat du port, lorsque des inspections sont réalisées à la faveur des escales.

En premier lieu, il revient à l'Etat du pavillon de s'assurer du respect de la convention à bord des navires sous sa juridiction. Il doit réaliser des inspections qui donnent lieu à la délivrance d'un certificat de travail maritime attestant que les normes de travail et de vie sont respectées. La possession d'un tel document est obligatoire pour les navires d'au moins 500 tonneaux de jauge brute réalisant des trajets internationaux. Il faudra également conserver à bord une déclaration de conformité qui reprend les dispositions de la législation nationale donnant effet à la convention, et qui mentionne les mesures prises par l'armateur pour s'y conformer. L'instauration d'une certification sociale des navires, placée sur le même plan que la certification technique, est l'un des principaux apports de la convention.

Les Etats parties dans lesquels des navires étrangers font escale auront, eux aussi, une responsabilité pour assurer le respect des normes fixées par la convention : l'Etat du port peut également réaliser des inspections. J'attire votre attention sur le fait que tous les navires, et pas seulement ceux battant le pavillon d'un Etat ayant ratifié la convention, pourront faire l'objet d'une telle inspection. C'est le sens de la clause du « traitement pas plus favorable » insérée à l'article V. Elle permet d'éviter que les armateurs de qualité – vertueux – et les navires battant le pavillon des Etats parties à la convention ne soient défavorisés par rapport aux autres. C'est une exception notable au principe de l'effet relatif des traités.

Il s'agit aussi d'une puissante incitation à la ratification du texte : la présentation, par un navire, d'un certificat de travail maritime et d'une déclaration de conformité jointe doit être considérée par l'Etat du port comme une preuve suffisante du respect de la convention. Il ne pourra procéder à une inspection plus approfondie du navire que si les documents demandés ne sont pas valables, s'ils sont incomplets, s'il existe « de solides raisons » de croire que les conditions de vie à bord ne sont pas conformes, ou si une plainte a été déposée. En cas de non-conformité grave ou répétée, le navire pourra être immobilisé tant que le problème n'aura pas été corrigé.

Par ailleurs, les gens de mer doivent avoir la possibilité de déposer eux-mêmes des plaintes s'ils considèrent que les prescriptions de la convention ne sont pas respectées. Ces plaintes doivent pouvoir être déposées en mer ou bien à terre, auprès d'un fonctionnaire autorisé dans le port d'escale.

L'efficacité du dispositif, dans son ensemble, repose sur une ratification que l'on peut espérer la plus large possible. C'est en effet un texte qui fait consensus. Tout d'abord, les négociations qui ont conduit à l'adopter, en 2006, ont associé des représentants des armateurs et des gens de mer. Ensuite, sur les 106 délégations nationales tripartites qui ont pris part au vote, on a compté 314 voix pour, 4 abstentions, et aucune voix contre. Enfin, 32 pays, représentant environ 60 % de la jauge brute mondiale, ont déjà ratifié le texte. Les conditions lui permettant d'entrer en vigueur sont donc remplies.

Un des facteurs les plus attractifs est que la convention allie fermeté des droits et souplesse pour la mise en oeuvre. Par comparaison avec les instruments juridiques précédents, qui contenaient souvent des normes trop rigides, décourageant beaucoup d'Etats de les ratifier, c'est un avantage non négligeable.

La convention de 2006 contient d'abord seize articles qui énoncent des principes fondamentaux et des règles procédurales ; viennent ensuite les Règles et un Code, ce dernier indiquant comment les Règles doivent être appliquées, avec une partie A contenant des normes obligatoires et une partie B plus flexible puisqu'elle est composée de normes non-obligatoires. Celles-ci doivent servir de simples orientations pour les Etats quant à la façon de mettre en oeuvre des stipulations plus générales. Pour être honnête, je dois reconnaître que ce système rend la convention difficile à lire, mais c'est la contrepartie de sa souplesse.

Le plus grand intérêt de la convention, qui devrait lui permettre d'obtenir une très large ratification, c'est surtout qu'elle bénéficiera aussi bien aux gens de mer qu'aux armateurs de qualité. On peut d'ailleurs noter que c'est une résolution commune de 2001 des organisations représentant ces deux catégories au plan international qui a été à l'origine du processus conduisant à l'adoption de la nouvelle convention.

Elle permettra, tout d'abord, de garantir à tous les gens de mer de meilleures conditions de travail et de vie, ce qui devrait aussi contribuer à améliorer la sécurité maritime. On estime que 80 % des accidents sont dus à des erreurs humaines, résultant souvent d'un manque de formation des équipages ou de leur état de fatigue.

La convention devrait également permettre de faire obstacle à la concurrence déloyale dans le domaine maritime, notamment grâce à la certification sociale qu'elle instaure et grâce à la clause du « traitement pas plus favorable ».

Enfin, la normalisation du métier de marin et les garanties apportées en matière de formation et de conditions de travail et de vie devraient contribuer à renforcer notablement l'attractivité des métiers concernés.

Dans tous les domaines, il s'agit d'avancées concrètes et significatives. L'adoption de la convention a d'ailleurs été saluée comme un « événement dans l'histoire du travail » par le directeur général du BIT.

Notre pays doit naturellement participer à l'application de ce texte, qui doit être aussi générale que possible. C'était d'ailleurs l'un des engagements du « Grenelle de la mer ». Je vous invite donc à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

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