Intervention de Jean Glavany

Réunion du 14 novembre 2012 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Glavany, rapporteur :

Nous sommes aujourd'hui saisis de la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO le 2 novembre 2001 et entrée en vigueur, pour ceux qui l'ont ratifiée, le 2 janvier 2009, après dépôt du 20e instrument de ratification. La France s'est abstenue en 2001 avant de revenir sur les réserves qu'elle avait exprimées pendant les négociations, dont je parlerai plus loin, et d'engager la procédure de ratification, pour rejoindre les 41 Etats membres de l'UNESCO qui l'ont fait avant elle.

Le patrimoine culturel subaquatique, tel qu'il est défini à l'article 1er de la convention recense « toutes les traces d'existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique, qui sont immergées, partiellement ou totalement, périodiquement ou en permanence, depuis cent ans au moins. » Cette définition inclut donc les épaves de navires, leurs cargaisons, mais aussi les aéronefs, et les sites submergés, les bâtiments, structures, restes humains et autres. Selon les estimations des archéologues, il y a encore quelque 3 millions de sites et d'épaves sur l'ensemble des mers du globe, qui n'ont pas encore été découverts. En ce qui concerne la France, le Département des recherches archéologique subaquatiques et sous-marines du ministère de la culture, le DRASSM, estime à 20 000 le nombre d'épaves situées dans les eaux de la métropole, et entre 150 000 et 200 000 celles qui seraient éparpillées sur les 11 millions de km2 de notre zone économique exclusive.

Divers facteurs, de plusieurs ordres, menacent le patrimoine culturel subaquatique, et c'est surtout l'activité humaine qui peut avoir une incidence néfaste, et endommager des vestiges, parfois fortuitement. Cela a été le cas, par exemple, au début des années 1970, lorsque l'épave de La Juste, vaisseau de guerre français qui se trouvait dans l'embouchure de la Loire, a été détruite lors d'opérations de dragage du chenal de navigation.

Cela étant, le risque principal est le pillage, rendu plus facile par le développement des techniques d'exploration sous-marines, bathyscaphes, scaphandres, etc., à partir des années 1940, qui a eu pour corollaire une plus grande accessibilité des sites sous-marins. De nombreuses sociétés privées spécialisées dans les fouilles sous-marines et dans la récupération des trésors existent aujourd'hui, et les exemples d'épaves pillées et détruites, alors qu'elles et leur contenu avaient une valeur historique et culturelle inestimable, ne manquent pas. J'en cite quelques cas dans mon rapport : ainsi le Tek Sing, une jonque chinoise chargée de porcelaines qui avait coulé en 1822, découvert par une compagnie privée américaine qui en a remonté plus de 300 000 objets, dispersés aux enchères à Stuttgart en 1999, l'épave ayant été détruite lors des fouilles. Il en a été de même de la cargaison du Geldermalsen, navire marchand hollandais coulé en 1751, découvert par une société privée britannique, dont la cargaison a été vendue aux enchères en 1986. Plus généralement, on estimait dès les années 1970 que toutes les épaves connues au large de la Turquie avaient été pillées, de même que 95 % des épaves au large des côtes françaises. Les archéologues israéliens estiment que les pillages ont fait disparaître les deux tiers des objets au large des côtes israéliennes.

Ce patrimoine représente des enjeux financiers considérables : la valeur des trésors contenus dans les seuls galions espagnols, qui sont encore par centaines au fond des océans est estimée à quelque 100 milliards d'euros.

S'il y a une richesse à protéger et à mettre en valeur, jusqu'à l'adoption de la convention de 2001, le cadre juridique international était clairement insuffisant. En effet, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 ne consacre au patrimoine culturel subaquatique que deux articles assez imprécis et mentionne d'ailleurs, dans son article 303, le « droit de récupérer des épaves », disposition qui a pu être utilisée à l'appui de revendications à but commercial sur le patrimoine culturel subaquatique. Il existe également un concept de common law, la « salvage law », ou droit de l'assistance, fréquemment invoqué notamment aux Etats-Unis, par des compagnies privées d'exploration, pour se voir reconnaître tous les droits sur l'épave dont les objets étaient vendus et dispersés aux quatre coins du monde.

Enfin, pour une bonne part, du fait de sa localisation, ce patrimoine échappe à toute juridiction, la juridiction des Etats en mer ne s'exerçant que dans une certaine zone à proximité de leurs côtes et sur leurs navires. Pour mémoire, la convention de Montego Bay délimite les zones maritimes de la façon suivante : la mer territoriale désigne les eaux jusqu'à 12 milles marins de la ligne de base ; la zone contiguë désigne les eaux entre 12 et 24 milles marins ; la zone économique exclusive est la zone adjacente à la zone contiguë dans la limite de 200 milles marins à partir de la ligne de base. Vient ensuite ce qu'on appelle la « Zone », c'est-à-dire la haute mer, sous juridiction d'aucun Etat. Consécutivement, la protection et la lutte contre le pillage du patrimoine culturel subaquatique qui s'y trouve sont évidemment difficiles.

La convention de 2001 indique expressément, dans son article 3, ne pas remettre en cause le cadre juridique tracé à Montego Bay. Elle contient plusieurs principes que les Etats parties doivent respecter en cas de découverte ou lorsqu'une intervention est envisagée sur des vestiges. Ils sont énumérés à l'article 2 de la convention. En premier lieu, les Etats Parties s'engagent à préserver le patrimoine culturel subaquatique dans l'intérêt de l'humanité, coopèrent à sa protection et prennent les mesures appropriées pour cela. Le second principe est la préférence qui doit être donnée à la préservation du patrimoine in situ, qui permet d'en prévenir la dispersion et qui est souvent le meilleur moyen d'assurer sa conservation. Autant que possible, l'accès du public doit aussi être privilégié in situ. Le troisième principe, essentiel, est l'interdiction de l'exploitation commerciale du patrimoine culturel subaquatique.

La protection du patrimoine culturel subaquatique que les Etats Parties mettent en oeuvre prend différentes formes. Tout d'abord, il leur incombe de le protéger effectivement dans la ZEE et sur le plateau continental. En conséquence, leurs nationaux ou les navires battant leur pavillon qui font une découverte ou envisagent une intervention dans leur ZEE ou plateau continental ou ceux d'un autre Etat Partie, doivent obligatoirement le déclarer, et l'Etat informe l'UNESCO. C'est le sens de l'article 9. Dans sa ZEE ou sur son plateau continental, un Etat Partie a le droit d'interdire ou d'autoriser les recherches et, en tout état de cause, en cas de découverte ou d'opération envisagée, il doit consulter les autres Etats Parties ; il agit alors, de droit, comme « Etat coordonnateur » des mesures de protection qui seront décidées collectivement. C'est l'article 10. S'il refuse ce rôle, ou que le patrimoine concerné se trouve en haute mer, un autre Etat coordinateur est désigné.

La convention organise donc un régime de coopération entre les Etats Parties pour la sauvegarde et la gestion du patrimoine culturel subaquatique, et tout Etat Partie qui a un lien culturel ou historique vérifiable avec le patrimoine en question peut faire savoir qu'il souhaite être consulté sur la façon de le préserver. L'Etat coordinateur chargé de mettre en oeuvre les mesures de protection du site qui auront été convenues, et de délivrer les éventuelles autorisations, agit dans l'intérêt de l'humanité tout entière et pas en son intérêt propre, et il doit consulter les Etats qui auraient fait connaître leur intérêt.

Si les opérations envisagées ou les découvertes ont lieu dans la Zone, c'est-à-dire en haute mer, des principes identiques s'appliquent, aux termes des articles 11 et 12 de la convention : d'une part, obligation est faite aux Etats Parties de protéger le patrimoine culturel subaquatique qui s'y trouve ; d'autre part, les mêmes exigences de déclarations sont imposées envers les nationaux et navires quant à leurs intentions d'intervention ou leurs découvertes. Un mécanisme similaire d'Etat coordonnateur est institué. Ces dispositions relatives à la coordination n'empêchent pas un Etat Partie d'agir de son propre chef en cas d'urgence, c'est-à-dire de danger immédiat, notamment en cas de pillage. Le droit de l'assistance, souvent utilisé à l'appui des revendications des chercheurs de trésors, est expressément exclu par la convention.

L'aspect collégial de la protection se retrouve dans d'autres dispositions, tel l'article 19 qui précise que les Etats Parties coopèrent et se prêtent mutuellement assistance dans la protection, l'exploration, la fouille, la documentation, la préservation, l'étude et la mise en valeur du patrimoine et échangent leurs information. La convention encourage la formation et le transfert de technologies en matière d'archéologie subaquatique, science récente que de nombreux Etats ne maîtrisent pas encore. Ils doivent également encourager la sensibilisation et l'accès du public au patrimoine culturel subaquatique.

En complément, les Etats Parties prennent les mesures de contrôle pour empêcher l'entrée, le commerce et de la détention sur leur territoire du patrimoine culturel subaquatique illégalement récupéré. Ils interdisent l'utilisation de leur territoire à l'appui d'interventions illicites sur le patrimoine et prennent les mesures pour s'assurer que leurs nationaux ou les navires battant leur pavillon n'agissent pas de manière contraire à la convention. Ils doivent prendre les sanctions appropriées en ce sens, « suffisamment rigoureuses », selon les termes de l'article 17. En outre, les Etats Parties doivent procéder à la saisie, sur leur territoire, des éléments du patrimoine culturel subaquatique qui ont été récupérés de façon non-conforme avec la convention, selon l'article 18.

L'article 3 précise que la convention est interprétée et appliquée « dans le contexte de et en conformité avec les dispositions du droit international, y compris la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ». Cela se traduit notamment dans le fait que la convention ne porte pas atteinte au principe de l'immunité des navires d'Etat, sur lesquels aucune intervention ne peut être menée sans le consentement de l'Etat du pavillon, si elles se trouvent, dans la ZEE, sur le plateau continental ou dans la Zone.

Cela étant, l'article 7 de la convention prévoit en effet que lorsque qu'un navire ou aéronef d'Etat se trouve dans les eaux territoriales d'un autre Etat, celui « devrait informer » l'Etat du pavillon en cas de découverte. C'est précisément sur cette question qu'un point de divergence est apparu qui, en 2001, a justifié l'abstention de la France, qui jugeait la formule trop imprécise. Cela étant, l'évolution rapide de la situation, le fait que les épaves historiques françaises sont aussi la cible des pilleurs, font qu'il apparaît aujourd'hui plus problématique d'être hors du système que dedans, même si son cadre protecteur est imparfait. Raison pour laquelle la France a révisé sa position et décidé de ratifier la convention. Malgré cette réserve, la convention reste en effet le meilleur outil juridique dont dispose la communauté internationale pour protéger ce patrimoine. Les principes fixés permettent de rapprocher la protection du patrimoine culturel subaquatique de celle qui est accordée au patrimoine culturel terrestre. La coopération permet de répondre au problème de l'absence de juridiction des Etats en haute mer. La convention permet aussi à un Etat qui n'a pas de juridiction sur un élément du patrimoine culturel subaquatique mais présente un lien culturel ou historique avec cet élément, de pouvoir être consulté et associé à la préservation et à l'étude de ce patrimoine. Pour ne citer qu'un exemple célèbre, le Titanic constitue sans doute à ce jour le plus célèbre « bénéficiaire » de la convention : son épave se situe dans les eaux internationales, au large du Canada. Ayant fait naufrage en avril 1912, il est entré en avril 2012, soit cent ans après, dans la définition du patrimoine culturel subaquatique. Les Etats parties pourront donc prendre les mesures et les sanctions nécessaires pour empêcher l'exploitation commerciale des objets remontés de l'épave. Cependant, l'efficacité de la convention qui nous est soumise sera d'autant plus grande que les Etats parties seront nombreux.

C'est donc au bénéfice de ces observations que je vous recommande d'adopter le projet de loi qui nous est soumis.

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