Intervention de Mego Terzian

Réunion du 7 octobre 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières :

Effectivement, madame la présidente, nous étions, il y a peu, les seuls acteurs concernant l'épidémie d'Ebola. En 1976, les premiers cas sont apparus au Zaïre, puis en Ouganda et au Soudan du sud. Médecins Sans Frontières était la seule organisation à déployer des équipes dès le début de chaque épidémie pour organiser les opérations de secours, notamment dans ces trois pays. En collaborant avec les ministères de la santé de ces pays, MSF arrivait, en l'espace de quelques semaines, à contenir l'épidémie et à contrôler la situation. Notre dispositif traditionnel consiste à installer des centres d'isolement, à organiser le suivi des individus en contact avec les patients et à distribuer des kits d'hygiène et de protection.

Les premiers cas d'Ebola, rapportés par le ministère de la santé guinéen, sont apparus en Guinée forestière, dans le district de Guéckédou. Même si le ministère de la santé de ce pays n'a pas l'expérience pour gérer une telle épidémie, nous espérions, en installant notre dispositif traditionnel, pouvoir gérer la situation. Mais l'épidémie de la Guinée forestière s'est peu à peu propagée vers la capitale, Conakry, à partir du mois d'avril 2014. En mai, le ministre de la santé du Liberia m'a appelé à Paris pour m'informer que des cas d'Ebola avaient été signalés dans sa capitale Monrovia.

Avons-nous sous-estimé la situation en nous croyant capables de la gérer ? Nous avons déployé nos équipes un peu partout, en Guinée forestière et dans la capitale et, au mois de mai, nous avons dépêché des équipes à Monrovia. Nous avons également envoyé des équipes en Sierra Leone pour organiser les secours. Le 23 juin, nous avons constaté que notre dispositif traditionnel ne fonctionnait pas. Faute de place, nous avons pour la première fois refusé d'hospitaliser de nouveaux patients qui arrivaient dans les centres d'isolement et nous les avons renvoyés chez eux. Au mois de mai, tous les lits de nos cinq centres d'isolement étaient remplis, à tel point que nous n'arrivions plus à assurer le suivi des individus qui étaient en contact avec les patients. En juin, nous étions débordés et nous avons annoncé, le 23, que l'épidémie était hors contrôle.

Nous avons fait quelques déclarations publiques pour alerter la communauté internationale. Il y a eu peu, voire pas de réactions, jusqu'au mois de septembre. Pendant ce temps, la situation empirait. De 100 cas d'Ebola confirmés en mars, nous sommes passés à 2 000 en août et à plus de 3 000 en septembre, sachant que le nombre de morts annoncé par l'OMS est sous-estimé. Dans ces trois pays, le nombre de cas a été multiplié par vingt ou trente depuis le mois de mars. Le Sénégal et le Nigeria ont également signalé quelques cas.

En septembre, la situation s'est dégradée et l'aide n'était toujours pas à la hauteur. Il n'y avait presque pas d'acteurs sur le terrain, à l'exception de MSF. C'est à ce moment que nous avons demandé à la communauté internationale et au Conseil de sécurité des Nations unies d'intervenir en envoyant, si possible, des unités médicales des armées ou des médecins experts capables de gérer de telles situations.

La communauté internationale a fini par réagir et le déploiement a commencé à la mi-septembre dans les trois pays les plus affectés, Liberia, Sierra Leone et Guinée. Le Gouvernement français a envoyé des médecins pour intervenir en Guinée forestière, avec la Croix-Rouge française, qui créera un centre d'isolement dans le district de Macenta. Nous n'avions, dans cette ville, qu'un petit centre de transit pour transférer les patients en vue d'une hospitalisation dans une autre ville, dans des conditions très difficiles, du fait du manque d'ambulances et de personnel. Les premiers renforts français sont arrivés en Guinée Forestière. J'espère que d'ici à quelques jours, la Croix-Rouge française sera opérationnelle. Nous pourrons ainsi concentrer nos efforts sur d'autres villes en Guinée forestière.

Des militaires ont été envoyés par les États-Unis au Liberia et par le Gouvernement britannique en Sierra Leone pour installer des centres d'isolement supplémentaires. D'autres pays, comme Cuba ou l'Allemagne, ont annoncé qu'ils allaient envoyer des ressources humaines pour pouvoir gérer plus de centres d'isolement dans ces trois pays. Mais pour le moment, le déploiement est très lent. Nous manquons toujours de lits, de centres d'isolement, de moyens pour transporter les patients dans les centres d'isolement et de travailleurs communautaires pour aller à l'extérieur distribuer les kits d'hygiène ou de protection. Le déploiement des médecins militaires ou d'autres personnels envoyés par les différents gouvernements est trop lent.

À Monrovia, il faut créer huit centres d'isolement supplémentaires pour répondre aux besoins. J'espère qu'ils seront bientôt fonctionnels sur le plan logistique, mais nous savons que quatre de ces centres ne seront pas opérationnels faute d'organisation identifiée pour les gérer et de personnel, même si les Américains les installent assez rapidement.

C'est la même chose en Sierra Leone où le Gouvernement britannique construit des centres. Il collabore avec l'ONG anglo-saxonne Save the Children afin de les préparer à recevoir des patients. Mais, comme partout ailleurs, une seule organisation non gouvernementale ne suffira pas à aider le ministère de la santé sierra léonais et MSF à contenir l'épidémie.

En Guinée, où MSF est encore l'un des rares acteurs présents, la situation est moins dramatique. Nous espérons, avec l'aide du Gouvernement français, que la Croix-Rouge sera très prochainement opérationnelle. Si, en Guinée forestière, le nombre de cas commence à diminuer, à Conakry, on constate depuis quelques jours une augmentation.

Même si le plan de secours présenté par l'Organisation mondiale de la santé et les gouvernements, en lien avec MSF et d'autres acteurs, permet d'espérer que tout ira bien, que le personnel sera déployé et que tous les centres prévus seront très prochainement fonctionnels, je reste pessimiste : l'épidémie sera difficile à contenir. La zone affectée est très large et, sans l'introduction rapide d'un vaccin de prévention, d'abord pour le personnel, puis pour les populations dans les zones à risque – si nous disposons d'une quantité suffisante de vaccins –, je ne vois pas comment nous pourrons définitivement contrôler l'épidémie en Afrique de l'ouest.

Les raisons de cet échec sont d'ordre scientifique : nous n'avons pas de médicaments, pas de vaccins disponibles, pas de tests diagnostiques. Le seul test correct qui existe n'est pas adapté aux besoins, car même s'il est rapide, il faut tout de même trois heures pour savoir si le patient est atteint par le virus.

Il y a plusieurs années, le Brésil a subi une épidémie de méningite de grande ampleur. À l'époque, la Fondation Mérieux, à Lyon, a réussi un exploit, en fournissant assez rapidement les premiers vaccins anti-méningite. On a ainsi pu contrôler la situation. J'espère qu'un exploit similaire se produira en Afrique de l'ouest, avec l'introduction d'un vaccin anti-Ebola.

Nous sommes également confrontés au problème de l'évacuation du personnel médical venu d'Europe ou des États-Unis. Médecins Sans Frontières compte 300 personnes de différentes nationalités, venues de l'Union européenne – notamment de France – et des États-Unis. Il nous est très difficile d'organiser l'évacuation d'un patient en Europe. Deux intervenants de MSF ont récemment été atteints par le virus Ebola, dont une collègue française, qui est sortie guérie de l'hôpital samedi dernier. Une autre de nos collègues vient d'être hospitalisée en Norvège ; reste qu'il faut quarante-huit heures pour transporter et évacuer un travailleur humanitaire contaminé vers son pays d'origine. Il faut savoir que, dans le cadre de cette épidémie, une personne infectée par Ebola sur dix est un personnel de santé. Environ 160 personnes travaillant dans le domaine médical ou paramédical sont ainsi mortes depuis le mois de mars. Le personnel médical est très touché et l'organisation de traitements, pour ce personnel comme pour tous les patients, est un problème.

Les gouvernements américain et britannique comptent installer de petits centres d'isolement de vingt-cinq lits, dédiés aux travailleurs humanitaires, autochtones ou étrangers. Pour le moment, un tel plan n'est pas prévu en Guinée. Le Gouvernement français – ou celui d'un autre pays – pourra-t-il installer un centre dédié au personnel de santé ? Il faut y réfléchir. Les autorités françaises nous ont promis de faire de leur mieux pour organiser une coordination afin de transférer le plus rapidement possible des patients étrangers dans leur pays d'origine, mais, pour le moment, ce n'est pas encore le cas. Nous avons organisé nous-mêmes l'évacuation de nos deux patientes atteintes par Ebola avec l'aide de compagnies privées. Les mesures de protection ont été respectées dans l'avion et, pour l'une d'entre elles, durant le transport de l'aéroport vers l'hôpital, situé en banlieue parisienne. Tout s'est bien passé, mais nous avons agi par nos propres moyens. J'espère que les gouvernements s'impliqueront davantage pour organiser l'évacuation des travailleurs humanitaires, en créant des centres d'isolement et de traitement pour les humanitaires autochtones ou étrangers, surtout dans les trois pays affectés. Il faut également accélérer le déploiement des secours, augmenter le nombre d'ambulances et de centres d'isolement, et élargir la distribution des kits de protection et d'hygiène.

Enfin, les gouvernements occidentaux doivent convaincre les compagnies pharmaceutiques de ne pas entrer en compétition. Une politique de collaboration est indispensable pour accélérer la production de vaccins et de traitements.

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