Intervention de Mego Terzian

Réunion du 7 octobre 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières :

Lors des événements biologiques, les unités médicales des armées et les militaires en général sont les plus adaptés pour organiser rapidement l'installation de centres d'isolement et la protection sanitaire des travailleurs. Je trouve donc tout à fait normal que les États-Unis, par exemple, envoient des militaires parce qu'ils ont des moyens logistiques. Face à un virus comme Ebola, la logique est plus ou moins la même que pour répondre à un événement biologique : les militaires sont les seuls à pouvoir construire très rapidement des centres d'isolement et organiser le circuit des patients pour éviter la contamination. Les kits de protection dont ils disposent en cas d'événements biologiques sont plus ou moins similaires à ceux utilisés aujourd'hui en Afrique de l'ouest contre Ebola. Les militaires américains ont tous les moyens logistiques et d'expertise pour agir plus rapidement que les organisations non gouvernementales qui, à l'exception de MSF, n'ont pas d'expérience. Elles doivent apprendre, découvrir où acheter, en Europe ou ailleurs, les kits de protection pour organiser les secours, ce qui prend beaucoup de temps. Je me félicite donc que l'armée américaine ait décidé d'intervenir.

Toutefois, si les Américains vont contribuer à la construction de onze centres d'isolement planifiée par l'Organisation mondiale de la santé au Liberia, ils ne veulent pas gérer les centres avec leurs propres ressources humaines. Ils ont l'intention d'entraîner 500 personnes par semaine pour organiser les secours dans les centres d'isolement, ainsi qu'en externe. C'est totalement impossible : sachant que l'on compte au Liberia, un médecin pour 100 000 habitants, comment pourront-ils trouver autant de médecins ? Sur 500 personnes, il leur faudra au moins dix médecins libériens. Même s'ils parviennent à recruter autant de monde, il n'est pas réaliste d'imaginer les entraîner en une semaine. Les Américains sont capables d'installer les centres et d'apporter tout ce qui est nécessaire pour que le dispositif soit opérationnel, mais je doute fortement de leur stratégie en matière de ressources humaines.

L'OMS est une instance de conseil auprès des ministères de la santé dans les pays africains. Elle n'a pas l'expérience opérationnelle pour organiser des secours à grande échelle. Sans vouloir stigmatiser l'organisation, sa tentative pour coordonner les efforts de MSF et des autorités de santé locales s'est soldée par un échec. L'OMS a dû annoncer en août qu'elle ne parvenait pas à contrôler la situation.

Depuis quelques jours, une coordination militaro-humanitaire s'est mise en place. Le secrétaire général de l'ONU a dépêché un coordinateur humanitaire d'urgence accompagné d'une équipe pour les trois pays. Nos équipes nous rapportent que les choses se passent beaucoup mieux depuis l'installation de cette coordination.

Si la pacification de ces pays est l'un des rares succès à mettre au crédit de l'ONU, il n'en a pas été de même pour leur développement sanitaire.

Au Liberia, les membres du personnel médical, quand ils ne sont pas morts, ne viennent plus travailler – à Monrovia-ville, la quasi-totalité des hôpitaux et la moitié des centres de santé sont fermés : aujourd'hui, il y a paradoxalement beaucoup plus de morts par tuberculose ou diarrhée aiguë pour que du fait d'Ebola, tout simplement parce que les patients ne sont plus soignés et que les traitements sont interrompus, qu'il s'agisse d'un malade du sida ou d'une femme enceinte nécessitant une césarienne. MSF peine à organiser des soins autres que le traitement des malades d'Ebola pour résoudre ce problème. En Sierra Leone, certains hôpitaux commencent également à fermer leurs portes. Seule la Guinée tient bon – les travailleurs de santé continuent à soigner –, les deux autres pays sont en grande difficulté.

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