Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 8 octobre 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure :

C'est en effet un signal fort que nous pouvons envoyer au gouvernement irakien.

Nous sommes saisis de deux textes : un accord de partenariat pour la coopération culturelle, scientifique et technique et pour le développement entre le Gouvernement de la République française et celui de la République d'Irak, qui a été signé à Paris le 16 novembre 2009 ; un accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Irak, d'autre part, qui a été signé à Bruxelles le 11 mai 2012.

Pourquoi présenter ensemble ces deux accords ? Ils forment deux volets complémentaires de la coopération que nous avons engagée avec l'Irak, l'un dans une perspective strictement bilatérale, et l'autre dans une perspective européenne.

Avant d'exposer les apports principaux de ces deux textes pour le renforcement et le développement de la coopération avec l'Irak, il me paraît important de souligner à quel point la situation a changé par rapport au contexte dans lequel ces accords ont été signés, respectivement en 2009 et en 2012.

L'Irak s'est considérablement éloigné de la phase de « reconstruction » et de la logique « post-crise » auxquelles il est encore fait référence dans les études d'impact qui accompagnent les deux projets de loi.

La situation est bien connue de notre Commission. Le ministre des affaires étrangères et celui de la défense viennent régulièrement faire le point devant nous. Après les offensives lancées en janvier, puis en juin de cette année, Daesh a étendu son emprise sur environ un tiers du territoire irakien. Cette organisation terroriste dispose de ressources financières et militaires considérables, notamment depuis la prise de Mossoul. Au plan humanitaire, l'avancée de Daesh et ses exactions épouvantables à l'encontre des populations civiles, notamment les minorités ethniques et religieuses, ont conduit à des flux considérables de personnes déplacées.

Dans ce contexte nouveau, les actions de soutien à l'Irak ont été réorientées dans quatre directions principales : des efforts politiques et diplomatiques pour constituer une large coalition internationale contre Daesh ; des livraisons d'équipements militaires ; un appui aérien à l'armée irakienne et aux forces kurdes qui combattent au sol ; une aide humanitaire d'urgence pour les populations qui en ont besoin.

Le contexte ayant considérablement changé en Irak, dans quelle mesure ces deux accords conservent-ils leur pertinence ?

Tout d'abord, la situation actuelle confirme la nécessité de renforcer la coopération dans les secteurs les plus défaillants en Irak. Il s'agit en particulier de la bonne gouvernance, de l'état de droit, de la justice et du secteur de la sécurité. Dans tous ces domaines, les nombreuses dérives de l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki ont, en effet, puissamment contribué à dresser les différentes composantes de la société irakienne les unes contre les autres, ce qui explique en grande partie le déclenchement de la crise. La marginalisation des sunnites a en particulier été très mal vécue par ces populations.

Ensuite, l'accord de partenariat et de coopération UE-Irak instaure un dialogue politique qui pourrait être l'occasion d'insister sur les politiques dites « d'inclusivité », ou de réconciliation nationale, que le nouveau Premier ministre irakien s'est engagé à mettre en oeuvre. La nécessité de ces politiques est évidente, ne serait-ce que pour détacher de Daesh ses divers alliés de circonstances, notamment certaines tribus sunnites et d'anciens officiers baasistes.

Troisièmement, si la priorité doit être accordée, bien sûr, à la lutte contre Daesh, au rétablissement de la situation sécuritaire et à la réponse d'urgence à la crise humanitaire, il ne faut pas perdre de vue, pour autant, le fait que l'Irak a des besoins structurels considérables. Une coopération de long terme avec l'Union européenne, et avec la France en particulier, reste précieuse afin d'y répondre.

Enfin, sur un plan plus politique, l'accomplissement des procédures nécessaires à l'entrée en vigueur de ces deux accords, même si cette perspective reste globalement éloignée, constituerait un signal fort de notre volonté de renforcer notre action en Irak et de rester engagé sur la longue durée aux côtés de ce pays.

J'en viens maintenant au contenu et aux modalités de la coopération que ces deux accords permettront de développer entre la France, l'Union européenne et l'Irak.

S'agissant du volet européen, l'accord de partenariat et de coopération a été signé en 2012, après de longues négociations, commencées en 2006. L'accord confirme la détermination de l'Union européenne à renforcer et à élargir son soutien à l'Irak.

Cet accord inscrit, pour la première fois, les relations entre l'Union européenne et l'Irak dans un cadre d'ensemble et de nature partenariale. L'accord repose sur quatre piliers complémentaires : le dialogue politique et la coopération en matière de politique étrangère et de sécurité, qui constituent sans doute le volet le plus important dans la situation actuelle ; le commerce et les investissements ; le développement de coopérations sectorielles dans de multiples domaines ; les questions de justice, de liberté et de sécurité.

Le volet politique de l'accord UE-Irak instaure un dialogue structuré et régulier entre les deux parties. Ce dialogue concerne tous les sujets présentant un intérêt commun, en particulier la paix, la politique étrangère et de sécurité, le dialogue national et la réconciliation, la démocratie, l'état de droit, les droits de l'homme, la bonne gouvernance, ainsi que la stabilité et l'intégration au plan régional.

Il est prévu que les ministres et les hauts fonctionnaires se rencontrent chaque année, afin d'alimenter ce dialogue.

Le volet politique de l'accord comporte aussi des stipulations relatives à la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, dans le respect du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, notamment par des contrôles nationaux plus efficaces, et en matière de lutte contre la dissémination des armes légères et de petit calibre, dont on sait bien quels défis elles posent, en particulier dans un pays tel que l'Irak. L'accord prévoit aussi une coopération juridique destinée à faciliter l'adhésion de l'Irak au Statut de la Cour pénale internationale.

Le second volet est relatif au commerce et aux investissements. Il comprend de très nombreuses mesures, qui se réfèrent souvent aux règles de base du GATT de 1994 et de l'Organisation mondiale du commerce, bien que l'Irak ne soit pas encore arrivé au terme de sa procédure d'adhésion à cette organisation.

L'accord prévoit l'octroi du traitement de la nation la plus favorisée pour le commerce des marchandises, la libéralisation progressive du commerce des services et de l'établissement entre les parties, ainsi que l'ouverture effective et réciproque des marchés publics, en tenant compte des besoins spécifiques de l'Irak. Les parties s'engagent aussi à réaliser des efforts pour libéraliser les paiements courants et les mouvements de capitaux, à stimuler des investissements mutuellement avantageux, en établissant un climat favorable aux investissements privés, et à coopérer dans le domaine des mesures sanitaires et phytosanitaires. L'accord établit également un mécanisme solide pour le règlement des différends. En matière de protection de la propriété intellectuelle, l'Irak s'engage à adhérer aux conventions multilatérales dans ce domaine et à adopter, dans un délai de cinq ans, des dispositions nationales garantissant une protection adéquate et effective.

Le titre III de l'accord prévoit le développement de coopérations sectorielles nombreuses, dans des domaines très variés – assistance financière et technique, éducation ou encore droits de l'homme. Sur ces différents aspects, permettez-moi de vous renvoyer à mon rapport écrit.

Le titre IV de l'accord est relatif aux questions de justice, de liberté et de sécurité. Ce volet couvre en particulier la protection des données à caractère personnel, la coopération dans le domaine de la gestion des flux migratoires, ou encore la lutte contre la criminalité organisée et la corruption.

Parmi les autres stipulations, je crois utile d'appeler l'attention sur l'article 117, qui permet l'application provisoire d'une partie de l'accord, avant son entrée en vigueur. Celle-ci est conditionnée à sa conclusion par l'Union européenne, conformément à l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et à sa ratification par l'ensemble des Etats membres, selon les procédures prévues par leur droit interne. Il s'agit en effet d'un accord dit « mixte », intervenant à la fois dans des domaines de compétence de l'Union européenne et dans ceux de ses Etats membres. C'est pourquoi une application provisoire est envisageable.

Cette procédure ne concerne que des stipulations relevant de la compétence exclusive ou partagée de l'Union. Il s'agit en particulier du titre II (commerce et investissements), du titre III (relatif aux domaines de coopération) et du titre V (dispositions institutionnelles, générales et finales). Ces stipulations sont appliquées à titre provisoire depuis le 1er août 2012. Ni le titre I de l'accord (dialogue politique et coopération en matière de politique étrangère et de sécurité), ni le titre IV (Justice, liberté et sécurité) ne sont donc concernés.

La question des droits de l'homme et de leur respect est évoquée dès l'article 2. Conformément à cet article, qui fait référence à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux autres instruments internationaux pertinents, le respect des droits de l'homme « sous-tend les politiques intérieures et internationales des deux parties et constitue un élément essentiel du présent accord ».

La question des droits de l'homme fait partie des sujets entrant dans le cadre du dialogue politique instauré par le titre I de l'accord. Par ailleurs, en cas de non-respect de l'article 2 par une partie, l'article 121 permet à l'autre partie de prendre des « mesures appropriées » avec un effet immédiat.

J'en viens maintenant au deuxième texte dont nous sommes saisis : l'accord de partenariat pour la coopération culturelle, scientifique et technique et pour le développement entre la France et l'Irak, qui a été signé le 16 novembre 2009.

Tout d'abord, quel est l'état des lieux ? La coopération bilatérale est déjà active dans de nombreux domaines. Permettez-moi d'en faire une brève présentation et de vous renvoyer là aussi, pour de plus amples détails, à mon rapport écrit.

Au plan culturel, l'Institut français en Irak a soutenu une trentaine d'actions en 2013, notamment en matière de musique classique, de théâtre et d'architecture. Un Institut français a également ouvert ses portes en 2009 à Erbil, dans la région autonome du Kurdistan irakien, afin de répondre à une forte demande de coopération de la part des autorités kurdes. L'Institut français du Proche-Orient, l'IFPO, a lui aussi ouvert un bureau à Erbil, au cours de l'année 2011. C'est également au Kurdistan que les missions archéologiques françaises se concentrent, en particulier pour des raisons de sécurité.

Au plan universitaire, notre contribution à la formation des élites irakiennes correspond à une forte attente de la part des autorités, qui ont besoin de compétences. Notre appui consiste principalement à promouvoir un programme de bourses avec les autorités du gouvernement fédéral irakien, comme avec celles de la région autonome du Kurdistan. Nous accueillons 189 étudiants dans le cadre d'un programme avec le gouvernement fédéral, et 102 autres boursiers provenant du Kurdistan irakien.

Au plan éducatif et linguistique, les moyens financiers limités du service d'action culturelle et de coopération de notre ambassade en Irak ne permettent pas de soutenir les établissements publics ou privés qui enseignent le français, ce que l'on peut regretter. Le contexte sécuritaire ne permet pas non plus l'envoi de lecteurs ou de stagiaires « Français langue étrangère ». On peut néanmoins citer l'ouverture récente de deux écoles internationales française au Kurdistan irakien, l'une à Erbil et l'autre à Souleymanieh.

Quelques mots aussi à propos de notre coopération en faveur de la société civile et en matière de gouvernance. Nous soutenons en particulier des ONG actives dans le domaine des droits des femmes, de leur accès au monde du travail et de l'aide médicale aux populations féminines en milieu rural. En matière de gouvernance, nous avons notamment financé en 2013 des bourses destinées à des juristes irakiens, ainsi que des initiatives en direction des médias – des journalistes ont ainsi été accueillis au sein de France 24.

L'accord franco-irakien de 2009 a pour objet de consolider et de renforcer cette coopération bilatérale, en lui fournissant un cadre juridique unique, qui vient se substituer aux accords préexistants dans les domaines culturels, scientifiques et techniques. Ces accords datent de 1969 et la coopération de défense n'est évidemment pas concernée.

L'accord de 2009 a aussi pour mérite de préciser les différents domaines dans lesquels la France et l'Irak s'engagent à renforcer ou à développer leur coopération, dans des termes qui demeurent cependant assez généraux. Ces domaines sont nombreux. On peut notamment citer l'étude de la langue et de la culture, en principe de manière réciproque ; les coopérations entre bibliothèques et maisons d'édition ; l'échange et la traduction d'ouvrages ; la coopération dans le domaine des médias ; le patrimoine archéologique et historique ; l'enseignement supérieur et la recherche ; la gouvernance démocratique, l'Etat de droit et la modernisation du secteur public ; le développement économique et social.

L'accord de 2009 comporte aussi toute une série de stipulations relatives à la mise en oeuvre de ces différentes coopérations bilatérales.

Il s'agit notamment de mesures destinées à faciliter les travaux des missions archéologiques françaises en Irak, ainsi que le déplacement et le séjour des personnels concernés par les actions de coopération.

L'accord prévoit également diverses mesures d'exonération ou de franchise de droits et taxes, en particulier pour les matériels et équipements d'appui, ainsi que pour les transactions de tout ordre (documentation ou matériel) qui entrent dans le cadre des actions de coopération.

S'agissant des bourses, leur financement doit être partagé entre les deux parties, sauf programme exceptionnel décidé d'un commun accord. L'accord instaure une commission mixte de l'enseignement supérieur et des bourses, chargée de définir les priorités de la coopération universitaire et de la sélection des boursiers.

L'accord demande aussi le développement de la coopération décentralisée, aujourd'hui inactive, pour des raisons sécuritaires.

Quant à l'Agence française de développement (AFD), si l'accord consacre son rôle en Irak, il renvoie à un accord spécifique sur ce point.

Enfin, l'accord de 2009 institue une commission mixte, culturelle, scientifique et technique, chargée de définir les grandes priorités de la coopération bilatérale et d'en assurer le suivi. Cette commission doit être formée de représentants des deux pays, et elle doit se réunir alternativement à Paris et à Bagdad, au moins une fois tous les trois ans.

L'accord est conclu pour une période de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction.

Au bénéfice de ces différentes observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter les deux projets de loi qui nous sont soumis. Ils contribueront à consolider et à étendre des coopérations dont l'Irak a besoin, dans des domaines pour lesquels l'Union européenne et la France sont bien placées pour apporter leur soutien.

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