Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 7 octobre 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Notre commission s'est beaucoup impliquée dans le projet de partenariat transatlantique. Pour autant, les autres négociations en cours – avec le Mercosur, le Japon ou le Canada – méritent toute notre vigilance. S'agissant du Canada, le sommet qui s'est tenu à Ottawa le 26 septembre a annoncé la conclusion officielle des négociations lancées en 2009.

Le texte – pour le moment seulement en anglais – vient d'être rendu public et nous vous l'avons transmis. En tout état de cause, vu l'ampleur de ce document - 1 500 pages avec les annexes – il est bien trop tard pour mener un travail d'information et de mise en débat public. Cela pose la question récurrente de la transparence vis-à-vis de la société civile et des citoyens que nous représentons qui seront directement impactés par cet accord. Notre revendication de suivre de près les négociations sur le partenariat transatlantique se trouve ainsi légitimée.

Sur la procédure, le sommet d'Ottawa a ouvert la voie au processus d'approbation par le Conseil et le Parlement européen. L'accord devra ensuite être soumis à notre Parlement pour ratification dans la mesure où il sera qualifié d'accord mixte, c'est-à-dire comportant des dispositions autres que commerciales et touchant aux domaines de compétences partagées. Sur la qualification de l'accord, les déclarations faites début septembre par le négociateur en chef devant la Commission du commerce international du Parlement européen selon lesquelles l'accord ne serait pas mixte ont été heureusement démenties lors du sommet d'Ottawa par Karel De Gucht. Il serait en effet inacceptable que le Parlement français ne puisse pas se prononcer sur un accord de cette importance.

Premières négociations d'un accord de libre-échange avec un pays du G7, le lancement des négociations avec le Canada, moins visibles, avait suscité moins de polémiques que le partenariat transatlantique. Cependant, dès le début des négociations, notre collègue Annick Girardin avait, dans un rapport au nom de notre commission, mis l'accent sur certains points difficiles : conséquences pour le secteur agricole, les services publics, les OGM, le gaz de schiste, la protection des investissements. Les sociétés civiles canadienne et européenne s'étaient également mobilisées.

Si l'accord avec le Canada suscite des réserves, c'est tant pour son contenu propre que pour ce qui pourrait laisser présager des dispositions d'un éventuel accord avec les États-Unis. Il aura valeur de précédent d'autant que le Canada est inséré dans un réseau d'échanges, avec les États-Unis et le Mexique, dans le cadre de l'ALENA. On ouvrirait alors la boîte de Pandore.

Le texte est présenté par la Commission européenne comme un « bon accord ». Présentant toujours les mêmes arguments, elle fait valoir que les échanges commerciaux seront dopés de 23 %, ce qui se traduirait par un gain de 12 milliards par an pour l'Europe. En sommes-nous si sûrs ? Certes, cet accord devrait supprimer 99 % des droits de douane, faciliter l'accès au marché pour les services – services financiers, télécommunications, transports et énergie. En matière de marchés publics, le Canada a pris des engagements d'ouverture tant au niveau fédéral qu'au niveau de ses entités fédérées. On sait bien toutefois toutes les résistances dont peuvent faire preuve les provinces canadiennes.

L'Europe a obtenu une protection accrue des indications géographiques de produits agricoles : le « Bleu d'Auvergne » ou le « Saint Nectaire » en font partie. Ne surestimons cependant pas l'ampleur de ce qui est présenté par la Commission européenne comme une avancée considérable pour la protection des indications géographiques européennes. Par exemple, si l'appellation « Brie de Meaux » est protégée, celle de « Brie » ne le sera pas.

Sans entrer dans les détails du texte, je voudrais mettre l'accent sur des enjeux majeurs . Les questions agricoles ont été un des points durs de la négociation, notamment sur les produits sensibles pour l'Europe, à savoir la viande bovine. Finalement un accord a été trouvé en juillet. L'Union européenne ouvrira un quota annuel à droit nul pour 50 000 tonnes de viande sans hormones. Gardons à l'esprit qu'à ces quotas s'ajouteront potentiellement ceux que l'Europe accordera aux États-Unis ou aux pays du Mercosur, avec le risque souligné par les participants à la table ronde des organisations agricoles que notre commission avait organisé de déstabilisation des filières d'élevage européennes déjà fragilisées .

S'agissant de l'harmonisation des normes et la coopération réglementaire, le texte ne prévoit pas de mécanismes d'harmonisation ou de reconnaissance des normes mais prévoit des dispositions afin de faciliter la convergence des réglementations actuelles et futures, y compris celles touchant à la protection des consommateurs, des salariés ou de l' environnement. C'est ce que l'on a appelé le « caractère vivant » de l'accord car les dispositions dites de « coopération réglementaire » permettront une co-écriture des réglementations bien après la ratification de l'accord. Le texte se caractérise par l'absence de précisions quant aux modalités de composition, de saisine, de décision et de contrôle du « forum de coopération réglementaire ».

Le texte comprend un chapitre « Commerce et développement durable » dans l' ensemble assez précis. Toutefois, au moment où est discuté le projet de loi sur la transition énergétique, il est permis de s'interroger sur la portée de la disposition qui permettrait aux États d'imposer certaines obligations aux entreprises installées sur son territoire à condition qu'elles ne soient pas « inutilement compliquées et prohibitives ». Le caractère vague de cette formulation ouvre la porte à certaines interprétations. Dans quelle mesure une interdiction de la fracturation hydraulique ne pourrait-elle pas être considérée comme inutilement « compliquée et prohibitive » ?

Ce chapitre prévoit également que les restrictions au commerce et à l'investissement du fait de réglementations environnementales ne seront admises que si « elles tiennent compte des informations scientifiques et techniques pertinentes ». N'est-ce pas là limiter la portée du principe de précaution qui a dans notre pays valeur constitutionnelle, d'autant que le texte prévoit qu'aucune des parties, face à des menaces sérieuses pour l'environnement, ne pourra invoquer le manque de certitude scientifique pour différer des mesures lorsqu'elles seront « rentables » ? Que se passera-t-il quand une collectivité publique décidera d'une mesure dont la rentabilité ne peut être estimée, par exemple, un moratoire ou la protection d'une zone fragile ?

S'agissant des marchés publics, le principe de non-discrimination entre opérateurs interdit toute possibilité de faire prévaloir les circuits courts ou d'introduire des critères de durabilité. Engager la transition écologique et sociale suppose de laisser aux collectivités publiques des possibilités juridiques d'agir faute de quoi elles seront susceptibles d'être attaquées par un entrepreneur estimant ses droits lésés. C'est là que l'on retrouve le point d' achoppement principal de ce texte, l'inclusion d'un mécanisme d'arbitrage des différends sur les investissements . En effet, les chapitres 10 et 33 du projet d'accord traitent de la protection des investissements et prévoient la mise en place d'un mécanisme de règlement des différends investisseur-État. Vous savez que l'inclusion d'un tel mécanisme dans le projet de partenariat transatlantique constitue l'une de nos lignes rouges définies notamment dans la résolution présentée par Mme Seybah Dagoma. Une telle clause a soulevé de telles réserves, notamment au Parlement européen et dans la société civile, que la Commission européenne a suspendu les négociations sur ce point et a organisé une consultation publique. Toute décision sur l'inclusion d'une telle clause avec les États-Unis est suspendue. Quelle est alors la légitimité de prévoir de telles dispositions dans l'accord avec le Canada, préjugeant de la suite qui serait donnée à la consultation dont les résultats ne seront connus que fin octobre ? Et si l' Union européenne accepte ce précédent, comment pourra-t-elle défendre autre chose au cours des négociations transatlantiques ?

Que prévoit la clause de règlement des différends ? Sans se livrer à un examen détaillé, on peut à titre d'exemple relever deux points qui suscitent des interrogations particulières . D'abord , cette clause d'arbitrage permettra aux entreprises – canadiennes ou américaines ayant une filiale au Canada – de contester des lois ou décisions publiques qui affecteraient leurs profits et qui estimeraient donc être victimes d'une « expropriation indirecte ». De telles clauses dans d'autres accords ont ouvert la voie à la contestation d'une augmentation du salaire minimum en Egypte, de la sortie du nucléaire en Allemagne ou du message sanitaire sur les paquets de cigarettes en Australie. La notion d'expropriation indirecte est définie par un faisceau d'indices parmi lesquels le fait que les mesures ont un « effet sur la valeur économique de l'investissement » ou qu'elles aient un impact sur les « retours sur la valeur économique de l'investissement ». Ce flou dans la définition de l'expropriation indirecte constitue une épée de Damoclès pour la puissance publique et peut porter atteinte à la possibilité des États à réguler . Ensuite, l'organe de règlement des différends sera composé par trois arbitres internationaux choisis par les parties. Ces arbitres appliqueront les règles de l'accord, ce qui veut dire qu'aucun autre texte, de quelque nature que ce soit, ne sera pris en considération.

Ce type de mécanisme qui se caractérise par le flou des motifs pour lesquels les États peuvent être mis en cause, l'opacité des procédures, le coût des litiges, le risque de conflits d' intérêts ne se justifie pas dans un accord entre deux États de droit. L'argument de la commission européenne selon lequel, si on revient sur le mécanisme de règlement des différends investisseur-État, ce serait l'ensemble de la négociation qu'il faudrait revoir ne tient pas. Le Gouvernement français a posé sur ces chapitres une réserve d'examen.

Enfin, sur une autre ligne rouge que notre commission a tracée dans le cadre du partenariat transatlantique – les OGM – ce projet d'accord suscite plus que des réserves. En effet, le Canada a été le premier pays à cultiver des OGM à grande échelle et la presque totalité de son colza est génétiquement modifié. L'accès aux marchés pour ce colza est pour ce pays d'une grande importance. D'ailleurs, un différend a longtemps envenimé les relations entre le Canada et l'Europe à l'OMC sur cette question. Les règles européennes et canadiennes sont très différentes que ce soit en matière d'étiquetage ou de contamination. Les exportations en provenance des États Unis ou du Canada sont refoulées des ports européens si elles sont contaminées : les autorités canadiennes ou américaines n'ont de cesse de demander que soit acceptée une présence d'OGM. Or le chapitre consacré à la « coopération bilatérale en biotechnologie » du projet d'accord ouvre la porte de l'Europe aux OGM canadiens. En effet, il y est prévu un dialogue portant – je cite – « sur toute répercussion commerciale liée à des approbations asynchrones de produits ou à la dissémination accidentelle de produits non autorisés » ou encore sur « toute mesure pouvant avoir des répercussions sur le commerce entre le Canada et l'Union européenne, y compris les mesures prises par les États membres ». Ces dispositions prennent un relief particulier quand on les rapproche de la lettre adressée en mars par le commissaire sortant à la santé Tonio Borg au ministre canadien de l' agriculture dans laquelle il était indiqué que « la Commission assurera que les propositions pour l'autorisation de tous les OGM soient traitées aussi vite que possible ».

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