Intervention de Alain Legrand

Réunion du 30 septembre 2014 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Alain Legrand, directeur général d'AIDES :

Notre association a été touchée par un plan de sauvegarde de l'emploi, avec la suppression de 10 % de ses effectifs, ce qui vous donne une idée des difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle.

Créée en 1984 à l'initiative du sociologue Daniel Defert et reconnue d'utilité publique en 1990, AIDES est la première association française de lutte contre le VIHsida et les hépatites virales en France et l'une des plus importantes au niveau européen. AIDES est aujourd'hui présente dans plus de 70 villes françaises, au plus près des personnes touchées, et entretient de nombreux partenariats à l'international. Nous revendiquons 150 000 adhérents donateurs, 420 salariés, 800 volontaires et 1 500 acteurs intervenant sur les actions. Notre budget s'élève à 40 millions d'euros et est financé à égalité, comme la plupart des grandes associations, par des financements publics et des financements privés. Afin d'optimiser et de rationaliser les frais de structure, AIDES a fusionné l'ensemble des associations indépendantes qui étaient labellisées AIDES entre 2002 et 2007.

En se situant dans le champ de la promotion de la santé, notre démarche est axée sur une mobilisation active des personnes séroconcernées par le VIH et les hépatites virales, l'identification des besoins, la priorisation des orientations politiques, et l'élaboration de réponses. Elle permet à des personnes vulnérables d'accéder à des postes à responsabilités dans notre association : la décision politique au sein d'AIDES appartient aux volontaires – le nom que nous donnons aux bénévoles.

AIDES se veut aussi une force de propositions et revendique le rôle de transformateur social. Nous avons joué un rôle majeur en termes de représentation des patients et avons participé à la création du CISS. Nous sommes présents dans tous les combats auprès des populations vulnérables, touchées par le VIH et les hépatites virales.

Notre volontariat a tendance à rajeunir, probablement parce que notre association offre un vrai dispositif de formation, certes cher, mais qui va jusqu'à proposer la certification par un diplôme, en particulier du Conservatoire national des arts et métiers. Cette co-construction avec le CNAM est désormais accessible à l'ensemble des associations.

Au titre de la formation, nous pensons intéressant d'étendre le droit individuel à la formation (DIF) des salariés aux personnes exerçant un bénévolat ou un volontariat actif. Cette mesure pourrait probablement être financée par une quote-part sur les financements publics dans la mesure où les projets intègrent la valorisation du volontariat. De la même manière, nous pensons utile de prévoir le financement de la validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les jeunes et les personnes vulnérables en recherche d'emploi exerçant un volontariat, ce qui inciterait davantage de jeunes à s'engager dans le volontariat.

Pour une organisation comme AIDES, la ressource sûre n'est malheureusement pas l'argent public ; c'est l'argent privé, malgré la crise, qui joue le rôle de régulation.

Pour rationaliser nos coûts, nous avons fusionné l'ensemble de nos comités, une convention pluriannuelle de 2007 ayant prévu le financement de la structure, la gestion, les ressources humaines, la formation, bref tout ce qui permet de soutenir un réseau local. En 2010, lors du renouvellement de cette convention, et alors que notre dotation chutait de 20 %, il nous a été indiqué que la structure ne pouvait plus être financée et que seules les actions le seraient. Avec la Direction générale de la santé (DGS), nous avons alors trouvé un montage selon lequel un siège mène des actions. Or aujourd'hui, alors que nous nous apprêtons à renouveler cette convention pour 2015, on nous dit que le financement de l'action ne relève pas des services centraux, mais des agences régionales de santé (ARS). On ne peut donc pas dire que l'État soit cohérent quant aux orientations données aux associations en matière de financements ! D'où une grande incertitude sur nos financements.

Pour le financement local par les agences régionales de santé – j'ai envie de dire la toute-puissance des directeurs des ARS –, je prends l'exemple de la Martinique, où l'épidémie de VIH est assez élevée. Sur ce territoire, le budget de notre délégation territoriale s'élève à un peu plus de 200 000 euros, avec principalement des missions de délégation de santé publique. Selon un courrier, que je tiens à votre disposition, notre subvention représente 10 % de ce montant, soit 20 000 euros. Mais le plus choquant n'est encore pas ce montant, c'est la volonté des ARS d'exercer un pouvoir de contrôle sur l'ensemble des actions menées par l'association – comme si la délégation de santé publique s'imposait à l'ensemble du projet associatif. De la même façon, lors de la présentation d'un projet d'un montant de 100 000 euros, par exemple, 50 000 euros sont octroyés et, dans la majorité des cas, l'ARS maintient l'ensemble des activités, comme si vous aviez présenté un budget avec 50% de marge… À nous de nous débrouiller !

Ainsi, la prévention continue à être le parent pauvre ou la variable d'ajustement des budgets, la crise actuelle accentuant cette vision à court terme privilégiant le soin.

J'ai écouté avec beaucoup d'attention les arguments contre les appels à projet avancés lors des auditions précédentes. Tout en partageant les inquiétudes et le constat sur ce mode d'attribution des financements, je souhaite apporter une note positive. Certes, l'appel à projet est susceptible de tuer l'innovation s'il est élaboré dans un bureau sans aucune concertation avec les représentants des publics concernés. Néanmoins, s'il repose sur un appel à idées – terme utilisé dans cette enceinte – et une véritable concertation en vue de la constitution d'un cahier des charges intégrant une part d'innovation, je ne vois pas où est le problème. N'oublions pas que l'attribution non transparente de certains financements – la reconduite systématique de financements sur les mêmes projets auprès des mêmes opérateurs – ne favorise pas l'innovation. En définitive, le plus important réside dans le dosage entre appels à projet et projet pérennes.

J'en viens à nos propositions.

Il faut bien sûr soutenir les conventions pluriannuelles, car une visibilité à moyen terme – par exemple sur 4 ans – est très favorable à nos actions.

Nos associations devraient avoir la possibilité de générer des excédents, surtout lorsqu'ils sont réalisés grâce à la collecte privée. Montrer du doigt les associations et leur supprimer des financements publics pour cause d'excédents en fin d'année – alors que ces excédents peuvent avoir été générés sur les ressources privées – est très dommageable et aboutit à fragiliser considérablement nos associations.

Au lieu de supprimer les actions qui ne sont plus efficientes, les ARS ou les collectivités locales devraient instaurer le droit à l'innovation et à l'adaptation des actions, ce qui nous éviterait d'hésiter à proposer de nouveaux projets, voire d'en abandonner certains parce que quand on propose d'en abandonner, on est sûr de perdre les financements.

L'association AIDES abonde par les financements privés l'ensemble des actions conduites, quel que soit le territoire sur lequel elles se déploient. Lorsque notre présence sur un territoire relève uniquement de la volonté d'un financeur privé, les actions devraient être financées intégralement par celui-ci, a fortiori lorsque les données épidémiologiques sont relativement faibles par rapport à d'autres territoires.

Afin de sécuriser la collecte privée, il faudrait envisager la possibilité pour les associations d'amortir la constitution d'un fichier donateurs – de la même manière que les entreprises peuvent amortir un fichier clients. Cela nous permettrait de diversifier nos modes de financement.

En outre, si les économies de structure doivent bénéficier aux financeurs, elles doivent aussi permettre aux associations d'investir dans de nouvelles adaptations et dans l'innovation. C'est un principe gagnantgagnant.

L'élaboration d'un plan par un ministère devrait au minimum être assortie du budget correspondant. Nous devons en effet rendre des comptes sur des plans non financés, dont certains même ont été mis en oeuvre pour le VIH.

Nous demandons également une harmonisation des évaluations et des bilans d'activité. Si le modèle CERFA est largement utilisé, le mode de restitution est totalement hétérogène avec des indicateurs différents au niveau des collectivités locales et des ARS. Or ces multiples modes de restitution sont particulièrement chronophages.

Si la rationalisation, la mutualisation sont de belles idées, elles ne sont malheureusement plus financées aujourd'hui. Les têtes de réseau ont pourtant consenti des efforts sans précédent pour améliorer le support à la qualité des actions, la formation des acteurs, le développement d'outils de gestion, etc. Or aujourd'hui, seule les actions sont financées, le financement des structures étant devenu un sujet tabou. C'est comme si l'État pouvait se passer de son administration centrale… Aussi proposons-nous d'instituer une quote-part de frais de siège sur l'ensemble des actions soutenues par l'État ou les collectivités territoriales, calculée sur le service rendu par la tête de réseau, mais opposable à l'ensemble des financeurs publics. Ce dispositif existe dans le secteur médicosocial, mais n'est pas reconnu pour le champ de la prévention.

Enfin, il convient de développer la place des représentants des associations dans l'ensemble des instances de la démocratie sanitaire et d'assurer le financement de cette représentation. Les acteurs investis dans le secteur associatif de la santé auraient ainsi le sentiment de participer aux décisions de la Nation, au lieu de se sentir considérés par l'État, les ARS et les collectivités comme de simples opérateurs.

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