Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 8 octobre 2014 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Fervent opposant à ce que vous qualifiez de piratage, vous affirmez, monsieur Tronc : « notre industrie a souffert la première, historiquement, du piratage sur Internet ». Dirigeant la SACEM – créée en 1851 –, vous ne pouvez ignorer qu'il s'agit là de la répétition d'une pièce qui s'est jouée à plusieurs reprises durant le vingtième siècle. À chaque fois qu'ont évolué les supports technologiques des activités régulées par le droit d'auteur – la copie, la transmission et la représentation de la musique –, la législation a dû s'adapter, mais cet ajustement ne s'est jamais effectué dans la paix et l'harmonie. Lorsque les pianos mécaniques sont apparus à la fin du dix-neuvième siècle, les compositeurs ont protesté ; c'est l'instauration d'une licence obligatoire qui a rendu ce produit légal, donnant naissance à l'industrie de la musique enregistrée. À l'apparition de la radio – dont les stations ont eu l'audace de diffuser la musique par les ondes ! –, l'industrie musicale a tenté de nouveau, sans succès, de faire interdire la radiodiffusion sans accord préalable des artistes ; l'instauration d'une licence obligatoire et d'une répartition entre les ayants droit a pacifié le débat. L'apparition de la télévision l'a pourtant relancé, entre annonces de mort de l'industrie de la musique et exigences de législations d'exception pour en permettre la survie. Plus récemment, c'est le walkman, accompagné de ses cassettes enregistrables, qui faisait figure d'ennemi à abattre, rapidement suivi par les CD-ROM enregistrables puis les clés USB ; c'est à nouveau une licence – la rémunération pour copie privée – qui a réglé le problème. Le schéma que nous montre l'histoire est simple : l'industrie culturelle s'oppose farouchement aux innovations technologiques, puis réalise qu'il est bien plus profitable de trouver une solution pour rémunérer les auteurs. Bien que certains prétendent le contraire, les citoyens de 2014 sont tout aussi prêts – sinon plus – à financer les créateurs que ceux de 1984 ou de 1944 ; le groupe écologiste souhaite connaître votre avis sur l'idée d'une licence globale construite sur le partage qui financerait la création sans pour autant constituer la réparation d'un quelconque préjudice. En effet, qui oserait aujourd'hui parler d'un préjudice à propos de la diffusion des oeuvres d'un compositeur à la radio ?

Vous avez également demandé, en cas de contrefaçon, de remplacer la riposte graduée par un système d'amende systématique. Mais les lois contre la contrefaçon n'ont pas été conçues pour la situation actuelle : lorsque la copie de musique nécessitait un équipement industriel lourd, il était normal de punir fortement ceux qui la pratiquaient à grande échelle sans autorisation ; mais l'on n'a jamais envisagé d'appliquer ces sanctions au grand public. En effet, le cadre juridique qu'il est nécessaire de définir pour qu'une entreprise puisse négocier l'usage d'une chanson pour une publicité ou un film est inopérant lorsqu'un adolescent poste une reprise de la chanson « Canal Saint-Martin » du groupe Fatals Picards sur le site Dailymotion. Ce fan ne peut pas se permettre d'engager un avocat pour le représenter auprès de la maison de disques qui détient les droits sur la chanson ; de son côté, la maison de disques ne trouverait aucun intérêt à négocier individuellement avec chaque fan qui veut faire un usage transformatif d'une oeuvre. Devenue facile, la copie individuelle ne peut pas être contrôlée, à moins de développer la surveillance de tous les ordinateurs de la planète – résultat ni technologiquement possible ni souhaitable. Il ne faut pas en déduire que le droit d'auteur n'existe plus, ni qu'il devrait être supprimé ; mais il convient de l'utiliser pour des enjeux de taille. Ainsi, le fait que l'argent de poche de nos enfants ne soit soumis à aucun contrôle ni à aucune taxe ne remet pas en cause l'importance de la régulation financière. Ne croyez-vous pas qu'il est temps de mettre fin à vos attaques contre vos propres clients ? Il faudrait pour cela supprimer la HADOPI – au lieu de l'étrangler financièrement comme certains de vos collègues le réclament – et instaurer une licence globale, source de revenus complémentaires pour les créateurs.

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