L’enjeu nous appelait à dépasser nombre de clivages, je regrette que vous n’ayez pas souhaité franchir le Rubicon de la prise de conscience écologique.
Notre modèle politique, économique et énergétique vire à l’obsolescence, et nous traversons l’un de ces moments où il faut se jeter à l’eau pour faire avancer l’histoire de toute l’humanité. En cet instant, à cette tribune, notre sentiment est double. Nous, écologistes, ressentons de l’espoir et de la déception.
De l’espoir, d’abord, car la loi contient des avancées que je veux ici saluer.
Tout d’abord le double objectif – qu’il nous reste à concrétiser – de réduire de 75 % à 50 % la part du nucléaire et de diviser par deux la consommation d’énergie d’ici à 2050. Mais aussi des mesures techniques qui pourront faire avancer nombre de choses : l’obligation de rénovation des logements, la mise en place du tiers financement, la création d’un chèque énergie pour les ménages les plus modestes, la lutte contre l’obsolescence programmée, la réduction des déchets ou l’interdiction des cultures dédiées à la méthanisation grâce à un amendement de Brigitte Allain.
Le vieux monde était habitué à considérer le progrès comme une course vers l’accumulation de richesses. Cette loi amorce une idée neuve : le progrès passe par une gestion plus raisonnée, plus collective, plus participative de nos ressources.
Enfin, en ouvrant la voie vers l’économie circulaire – et je veux ici saluer mon collègue François-Michel Lambert pour ses apports – ce texte nous invite à redéfinir notre rapport à la production.
Je tiens donc à saluer la part d’innovation de ce projet de loi. Pourtant, l’honnêteté commande de dire que le Gouvernement, sur de nombreux points, demeure encore loin de ce qu’il faudrait faire.
C’est ici que pointe la déception. Qu’il est difficile d’avancer sur l’inéluctable chemin de l’écologie ! Le vieux monde pèse de tout son poids ! Les lobbies nous freinent, les habitudes nous engoncent, le conservatisme nous entrave.
Nier cette réalité revient à nier l’ensemble des objectifs de ce projet de loi. La transition énergétique nécessite des investissements ambitieux, précis et ciblés. Disons-le aussi et surtout, l’absence d’investissement pour la transition aura un coût supplémentaire.
Alors oui, le flou demeure quant au financement de la loi. Madame la ministre, vous avez été claire sur les gaz de schiste, et c’est une très bonne chose. Il s’agira d’être aussi claire sur le financement de la transition énergétique. Oui, cette loi est entachée de la suspension de la taxe poids lourds, mesure pourtant votée à l’unanimité de cette assemblée et qui est si efficace ailleurs en Europe. Oui, cette loi est d’ores et déjà menacée par la réduction du budget du ministère de l’écologie. Oui, cette loi est fragilisée par l’absence d’une stratégie concrète de baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité, en commençant par la fermeture de la centrale de Fessenheim.
Au fond, toutes les ambiguïtés ne sont pas levées quant à la volonté du Gouvernement en matière d’écologie. Je pense ici à Pénélope, dont la légende raconte qu’elle tissait le jour et défaisait son ouvrage la nuit. Je veux croire que nous n’agirons pas de la même manière et que les quelques avancées ne préparent pas de nouveaux reculs. Alors, il conviendra de mettre un terme à l’imprécision et aux allers-retours constants qui font de l’écologie un rendez-vous indéfiniment ajourné, au gré des intérêts des uns ou des autres. Pourtant, en matière d’écologie, pour reprendre dans un autre contexte une expression d’Aimé Césaire, « l’heure de nous-mêmes a sonné ».
Espoir et déception, disais-je. Alors, comment se décider ? Madame la ministre, malgré vos déclarations de ce matin qui nourrissent nos inquiétudes, nous faisons une fois encore le pari de l’espoir, car depuis toujours, les écologistes s’acharnent à saisir le moindre interstice pour y intégrer les évolutions nécessaires. Croyez cependant que notre lucidité est en éveil. Vous trouvez aujourd’hui des écologistes qui soutiennent des avancées nécessaires et attendues. Sachez que vous rencontrerez dès demain des écologistes vigilants et exigeants, sur le terrain comme dans les institutions, pour veiller à l’effectivité réelle de ces avancées.
Dans ce combat, les écologistes sont en première ligne. Ils ne souhaitent demeurer seuls plus longtemps, puisque le résultat de cette bataille ne concerne rien de moins que notre avenir commun. Je salue donc ici les consciences qui progressent, mais je sonne une nouvelle fois le tocsin : il est plus que temps d’agir radicalement. C’est notre mission d’élus de la République, mais c’est surtout le devoir évident de notre génération de terriens.