Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, n’a rien dit d’autre quand elle a affirmé publiquement le même jour : « La consolidation budgétaire doit se faire à un rythme mesuré et bien calibré ».
C’est dans ce cadre, décrit plus haut par les autorités du FMI, qu’il nous faut penser nos politiques économiques, globalement en Europe et, bien sûr, en France.
Cela suppose d’abord d’être prudents sur notre scénario pour la France. La croissance sera encore très limitée en 2014 : 0,4 %. Elle ne commencera, je n’oserai pas dire à accélérer, mais à reprendre très progressivement à partir de l’an prochain, devant s’établir à 1 % en 2015. L’inflation, extrêmement faible en 2014, même en France, s’établissant à 0,5 % hors tabac, contre 0,9 % l’année dernière, ne repartira à la hausse que lentement : 0,9 % en 2015 et un peu plus au-delà. Le Haut Conseil des finances publiques, que vous avez auditionné à juste titre et qui joue un rôle extrêmement important dans l’ensemble de notre dispositif institutionnel, a qualifié ce scénario d’optimiste.
La prévision, chacun le sait, est un art particulièrement difficile – tous ceux ici qui ont exercé des responsabilités sont bien placés pour le savoir. Les aléas sont toujours importants, dans un sens ou dans l’autre – on les préférerait dans un sens, mais on les voit plus souvent dans l’autre ! Je me bornerai à faire remarquer que cette prévision de 1 % de croissance pour l’année prochaine est identique à celle du FMI, qui l’a fait paraître après la nôtre, publiée la semaine dernière, et à celle publiée par l’OCDE à la mi-septembre, et qu’elle est même légèrement inférieure à la dernière sur laquelle s’accordent les économistes.
Quoi qu’il en soit, ce scénario est évidemment soumis à des aléas qui peuvent jouer dans les deux sens, mais il dépend également des décisions que nous devons prendre au niveau européen.
Depuis le début de la législature, le Gouvernement et la majorité ont pris leurs responsabilités. Nous avons fait face et avons tenu bon sur une stratégie économique qui repose sur deux piliers.
Le premier pilier, ce sont les politiques d’emploi, d’investissement et de croissance. Nous avons agi sur tous les leviers, que vous connaissez comme moi : les emplois d’avenir, la loi de sécurisation de l’emploi, la réforme de la formation professionnelle et le nouveau programme d’investissements d’avenir. Nous devons continuer à utiliser ces outils.
Nos entreprises ont besoin d’être plus compétitives pour recréer de l’emploi et investir. Elles bénéficient cette année déjà de près de 11 milliards au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE. Votre assemblée a par ailleurs voté la première étape du pacte de responsabilité et de solidarité avant l’été. Ainsi, en 2015, avec le pacte et la montée en charge du CICE, ce seront de l’ordre de 12 milliards d’euros en plus pour les entreprises, soit 23 milliards sur deux ans. Ce sont autant de marges pour que les entreprises puissent conquérir des marchés, embaucher, former leurs salariés, moderniser leur outil de production. C’est cela qui est le plus utile. Je suis confiant sur le fait que, dans chaque entreprise, les salariés eux-mêmes et les chefs d’entreprise veilleront à ce que l’usage qui sera fait du CICE permette durablement à leur entreprise d’être plus forte. Aux entreprises maintenant – direction et salariés – de passer à l’acte.
Le second pilier de notre politique est l’assainissement de nos finances publiques, que nous menons bien évidemment en parallèle à nos efforts de compétitivité. Les mesures que nous avons adoptées depuis 2012 ont déjà produit des effets, même si la faiblesse de la croissance masque en partie les résultats obtenus.
Permettez-moi d’appeler votre attention sur ces chiffres. En effet, les chiffres du déficit, surtout ceux de l’année 2014, peuvent laisser penser que les efforts ne paient pas. Or, rien ne serait plus faux. Si, comme le comprendront les nombreux spécialistes ici présents, on corrige la mesure du déficit des effets du cycle économique, comme le fait par exemple la Commission européenne, il apparaît que le déficit structurel, qui traduit les déséquilibres réels de nos comptes, corrigés du cycle économique d’aujourd’hui, aura été quasiment divisé par deux entre 2011 et 2014. Ce déficit structurel atteint aujourd’hui son plus bas niveau depuis 2001. cela ne se traduit peut-être pas dans les chiffres, mais il s’agit bien là de la réalité économique après les efforts réalisés depuis trois ans.
C’est donc en cohérence avec ces stratégies que M. Christian Eckert, secrétaire d’État au budget, et moi-même vous présentons aujourd’hui le projet de loi de finances et la trajectoire pluriannuelle des finances publiques. Malgré un contexte économique difficile, le Gouvernement maintient la stratégie économique présentée au printemps et respecte ses engagements.
L’effort de maîtrise de la dépense sera intégralement respecté, avec un plan de 50 milliards d’euros d’économies de 2015 à 2017, dont 21 milliards d’euros dès 2015. L’ensemble des mesures annoncées en faveur de la croissance, de la compétitivité et de l’emploi seront mises en oeuvre selon le calendrier prévu. La montée en charge du CICE et le déploiement du pacte de responsabilité et de solidarité représenteront une baisse de prélèvements pour les entreprises de plus de 40 milliards d’euros à l’horizon 2017. Nous allons ainsi restaurer, pour les entreprises, l’intégralité des marges perdues entre 2007 et 2012. Dans le même temps, nous poursuivrons la baisse de l’impôt sur le revenu pour les ménages à revenus modestes et moyens, comme nous nous y étions engagés dès le printemps. Nous avons cependant pris la décision d’adapter le rythme de réduction des déficits à la situation macroéconomique du pays, que je décrivais en commençant mon propos.
Je donnerai à ce propos quelques éléments d’explication. Notre politique économique est inchangée par rapport à nos déclarations du printemps dernier, sur lesquelles vous vous étiez prononcés à propos du plan de stabilité, mais le déficit se réduira plus lentement que prévu, du fait des circonstances économiques que j’ai décrites. Nous ne cherchons pas à compenser les effets de cette croissance et de cette inflation trop faibles, car ce serait contre-productif pour l’activité économique de notre pays.
Les spécialistes noteront sans doute que la réduction de notre déficit structurel sera d’un point de vue comptable moindre qu’au printemps. Cet ajustement est aujourd’hui évalué à 0,25 point de PIB en 2015. Cette révision réelle et clairement affichée de notre effort structurel tient à la conjonction d’effets comptables – je n’entrerai pas dans le détail du changement de système de comptabilité européen de la révision de la croissance potentielle – et d’une faible inflation.
De fait, chacun ici en est conscient, les recettes publiques dépendent étroitement de la croissance, mais aussi de l’inflation. La dépense publique réagit plus tardivement et plus difficilement à l’évolution de l’inflation, a fortiori lorsqu’il est décidé de ne pas revaloriser un point d’indice ou certaines prestations. Au total, la stratégie de redressement des finances publiques est rendue moins efficace du fait de l’extrême faiblesse de l’inflation.
Faudrait-il alors, dans une situation économique difficile, avec en particulier une inflation très faible, faire plus d’efforts parce que la mesure de ces efforts se serait dégradée ?
La question de l’adaptation du rythme du déficit doit donc être posée clairement, pas par-derrière ou subrepticement, comme elle l’est au niveau de l’ensemble de la zone euro. C’est en effet la question que nous posent les observateurs extérieurs et que nous sommes plusieurs à poser au sein du Conseil européen et de l’Eurogroupe. J’insiste à ce propos sur le fait que nous ne demandons pas une remise en cause des règles budgétaires européennes – il en irait de notre crédibilité collective. Cependant, il est tout aussi important de montrer que nous sommes collectivement capables d’utiliser les « flexibilités » qui permettent la prise en compte de la réalité économique dans l’application des règles européennes.
Ce projet de loi de finances et le projet de loi de programmation qui l’accompagne tracent une perspective de réduction de nos déficits publics à un rythme qui prend en compte le taux de croissance. La conséquence en est que le déficit baissera, en l’état de nos prévisions de recettes et de dépenses, passant de 4,4 % en 2014 à 4,3 % en 2015, pour passer à nouveau sous le seuil de 3 % en 2007. Quant aux objectifs d’économies que nous avons fixés, soit 21 milliards d’euros en 2015 et 50 milliards d’euros sur trois ans, ils ne sont pas remis en cause.
J’insisterai maintenant sur l’importance des économies, car c’est grâce à elles que nous pouvons financer les baisses de prélèvements, en particulier la réforme du bas du barème de l’impôt sur le revenu qui vous est proposée. C’est grâce à ces économies que nous pouvons redonner 3,2 milliards d’euros aux ménages moyens et modestes. C’est aussi grâce à ces économies de dépenses que nous pourrons faire bénéficier 9 millions de foyers fiscaux d’une baisse de leur impôt sur le revenu. C’est grâce aux économies de dépenses que nous avons pu faire en sorte que ce budget soit le premier depuis cinq ans qui ne prévoit aucune mesure susceptible d’alourdir d’une manière ou d’une autre l’impôt sur le revenu des personnes physiques. C’est également la première fois depuis cinq ans que la part totale des prélèvements dans la richesse nationale baissera.
Nous avons besoin de faire des économies de dépenses pour pouvoir baisser les impôts. Nous en avons aussi besoin pour retrouver des marges de manoeuvre dans les budgets publics. J’insiste sur ce point, car nous avons dans ce budget des priorités que nous devons financer : la jeunesse, les investissements d’avenir, l’emploi, la solidarité, la sécurité, y compris le budget de la défense dans le contexte que vous connaissez. C’est aussi cela un budget : ce sont des choix, des priorités pour le service public, car celui-ci ne peut vivre indéfiniment à crédit, chacun le sait dans son for intérieur. Or, la première condition du maintien d’un service public est de pouvoir lui assurer un financement pérenne, et l’assumer nous-mêmes aujourd’hui, sans le reporter sur nos enfants ou petits-enfants demain. Nous devons à tous les Français de bien gérer l’argent public, mais tout particulièrement à ceux qui ne possèdent rien, car le service public est leur seul patrimoine.
Ce sont donc ces choix stratégiques que nous mettons en oeuvre par les économies prévues par le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Sur l’État et ses agences, 19 milliards d’euros en trois ans, dont 7,7 milliards d’euros dès 2015. Les dépenses des ministères, qui sont le coeur de l’action de l’État, diminueront, quant à elles, de 1,8 milliard d’euros par rapport à leur niveau dans le budget initial pour 2014. Cela n’était jamais arrivé depuis des années : le total de la colonne « dépenses de l’État » en 2015 sera inférieur de 1,8 milliard d’euros à ce qu’il était en 2014. Sur les collectivités locales, ce sont 3,7 milliards d’euros d’économies par an, pour un total de 11 milliards d’euros.