C'est toujours un privilège pour le directeur chargé des affaires stratégiques (DAS) de s'exprimer devant votre commission, en particulier dans le cadre de ses fonctions de responsable du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » qui, comme vous le savez, traduit en termes d'organisation budgétaire toute l'importance donnée à la fonction stratégique « Connaissance et anticipation ».
La mise en oeuvre des réformes de la gouvernance du ministère aura plusieurs impacts sur ce programme en 2015, notamment la réforme de la fonction personnel et la réorganisation de la fonction relations internationales et stratégie.
Dans le cadre la rénovation des principes et des modalités de gestion de la masse salariale évoquée devant vous par le ministre le 1er octobre dernier, la réforme de la fonction personnel, effective à partir du 1er janvier 2015, aura en pratique deux conséquences pour le programme 144 : une conséquence financière puisque ce programme, comme tous les autres du ministère, ne disposera plus, à compter du 1er janvier prochain, d'aucun crédit de titre 2 en raison du transfert de la masse salariale des différents programmes LOLF – loi organique relative aux lois de finances – vers le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » placé sous la responsabilité du secrétariat général pour l'administration, le SGA ; une réorganisation de la gestion et du suivi des effectifs, qui relèveront désormais d'une concertation entre les employeurs des agents et les budgets opérationnels de programme (BOP) de gestion. Pour des raisons de confidentialité, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) maintiendra son propre dispositif.
Les relations internationales et la stratégie font partie des cinq domaines prioritaires de la réforme de la gouvernance du ministère. Dans la continuité des décisions prises en juillet 2013 et à l'issue de travaux internes au ministère, le ministre a statué en avril dernier sur les missions et les ressources de la future direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Celle-ci assumera certaines missions jusqu'alors exercées par l'état-major des armées (EMA) et la direction générale de l'armement (DGA) dans le domaine des relations internationales. Présenté aux instances de concertation internes au ministère le 29 septembre dernier, le projet de décret portant organisation de la future DGRIS est actuellement à Matignon. Cela aura aussi un impact sur l'architecture budgétaire du programme 144.
Je rappellerai brièvement les priorités fixées par le Livre blanc de 2013 et la loi de programmation militaire (LPM) pour le programme 144, avant de présenter les grands axes du PLF s'agissant de ce dernier ; enfin, j'aborderai la fin de gestion de l'exercice 2014, dont les conditions d'exécution influent naturellement sur le budget de 2015.
Comme le souligne le Livre blanc de 2013, « la fonction connaissance et anticipation a une importance particulière parce qu'une capacité d'appréciation autonome des situations est la condition de décisions libres et souveraines ». Cette fonction stratégique recouvre notamment le renseignement et la prospective, soit les deux grandes missions du programme 144.
La LPM accorde des crédits élevés aux deux missions du programme 144, en particulier à travers les études amont et le renforcement des services de renseignement, DGSE et direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), en termes d'effectifs et d'investissements, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.
La LPM permet le maintien d'un effort substantiel en matière de recherche et technologie à travers les ressources consacrées aux études amont, dotées en moyenne de 730 millions d'euros par an sur la période 2014-2019. Ces ressources traduisent notre volonté de garantir l'effort de recherche et de consolider la base industrielle et technologique de défense française. Le Gouvernement entend ainsi maintenir à un niveau élevé les moyens dévolus à la maîtrise des capacités technologiques et industrielles, qui constituent l'un des fondements de notre autonomie stratégique.
Priorité est aussi donnée, dans le cadre de la LPM, aux moyens du développement de nos capacités de recueil, de traitement et de diffusion du renseignement. Cette priorité se traduit également par un renforcement des moyens et des crédits affectés au programme 146 pour les équipements – tels que les drones – et au programme 178 pour la direction du renseignement militaire (DRM), et par un effort d'investissement majeur dans de nombreux domaines : le renforcement des ressources humaines des services de renseignement mais aussi, au-delà du renseignement d'origine humaine (ROHUM), l'amélioration des capacités techniques de recueil ainsi que des moyens d'exploitation dans les cinq milieux que sont l'espace extra-atmosphérique, l'air, le cyberespace, la terre et la mer. Les capacités de maîtrise et de traitement de l'information sont également développées et les effectifs renforcés, en termes quantitatifs mais aussi qualitatifs, le niveau de compétence des agents étant ajusté aux besoins induits par la mise en oeuvre de ces équipements et l'analyse de flux d'informations accrus.
En dépit de ces ambitions réaffirmées, le programme 144 est évidemment impliqué dans les efforts de maîtrise budgétaire du ministère. Ils se concentrent tout d'abord sur les lignes de fonctionnement des services de renseignement, même si l'on observe une hausse des dépenses liées à la construction, à la modernisation et à l'adaptation des locaux dans le cadre de l'accueil des nouveaux moyens techniques et des effectifs supplémentaires de la DGSE. Ces efforts visent aussi les ressources accordées aux opérateurs, qu'il s'agisse des écoles de la DGA ou de l'office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), qui verront leurs subventions baisser, dans des proportions mesurées, sur la période de la LPM, conformément à la politique générale du Gouvernement vis-à-vis des opérateurs de l'État.
Malgré ce contexte de contraintes budgétaires, les priorités du ministère ont été préservées en matière de connaissance et d'anticipation : le programme 144, cette année, en témoigne.
S'agissant du PLF pour 2015, le détail des demandes de crédits exprimées par le programme dans le projet annuel de performance (PAP) vient d'être déposé sur le bureau des assemblées. Je vous présenterai donc les points les plus marquants du prochain exercice : le regroupement du titre 2 au programme 212 ; les évolutions de l'architecture du programme 144 – hors titre 2 – liées à la réorganisation de la fonction relations internationales (RI).
L'un des points clefs de la nouvelle architecture budgétaire réside dans la localisation de toute la masse salariale du ministère au sein du programme 212. La rationalisation du suivi des dépenses de personnel et la recherche d'une réduction des déficits de gestion enregistrés les années précédentes sont au coeur des ambitions de cette réforme.
Le programme 144 générera, au terme du présent exercice, un excédent de gestion de 18,4 millions d'euros sur le titre 2 – réserve de précaution levée. Les moindres dépenses tiennent surtout aux rémunérations des agents, en particulier pour la DGA et la DGSE, BOP pour lesquels on constate un écart prévisionnel entre les effectifs moyens rémunérés en fin d'exercice et la cible initiale : cela s'explique en partie par les difficultés, pour la DGSE, de recruter des agents aux niveaux de qualification requis.
La DPSD achèvera la gestion de l'exercice 2014 en ayant consommé la quasi-totalité de son enveloppe budgétaire : cela lui aura permis de recruter le nombre de cadres civils requis par l'orientation de ses missions et le développement de ses systèmes d'information. Les dépenses sont aussi conformes aux prévisions pour la partie du programme 144 relative à la rémunération des agents de l'EMA spécialisés dans la diplomatie bilatérale de défense.
Il en ira différemment en 2015 avec le transfert du titre 2 vers le programme 212. Les employeurs, y compris la future DGRIS et la DPSD, réaliseront par conséquent leur ressource physique en concertation avec les BOP gestionnaires – armées ou services.
Hors titre 2, le programme 144 se voit doté, dans le PLF pour 2015, de 1 350 millions d'euros en autorisation d'engagement (AE) et de près de 1 334 millions d'euros en crédits de paiement (CP), en augmentation, respectivement, de 1,28 % et de 0,08 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014.
La nomenclature du programme 144 se compose de trois actions : l'action 3 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » ; l'action 7 « Prospective de défense » ; l'action 8 « Relations internationales et diplomatie de défense ». Cette dernière action a évolué dans son périmètre et son libellé, qui traduisent les réformes en cours de la fonction RI : certaines missions jusqu'alors partagées par des entités diverses – DAS, DGA et EMA –, seront en effet regroupées au sein de la future DGRIS, chargée d'assurer la cohérence et la mise en oeuvre de la ligne politique fixée par le ministre en matière internationale et stratégique.
La réaffirmation du rôle central du renseignement se traduit, pour l'action 3, par une augmentation des ressources en CP de plus de 2 %. L'objectif de cette hausse est de satisfaire les nouveaux besoins liés à l'augmentation des effectifs, à la mise en oeuvre de nouveaux équipements techniques, à l'analyse de flux d'informations accrus et à la cyberdéfense. Un effort d'investissement significatif est ainsi consenti, qui se traduit par un accroissement des dépenses programmées sur l'agrégat « Équipement » de plus 52 % en AE et de plus 3 % en CP. Cet effort est à mettre en rapport, notamment, avec l'augmentation des crédits d'équipement liés aux commandes du système de renseignement par satellite CERES et d'un deuxième système de drones MALE – moyenne altitude longue distance – Reaper.
L'action 7 est, en volume, la plus importante du programme 144 ; elle recouvre l'ensemble de l'analyse prospective, domaine essentiel de la fonction stratégique « Connaissance et anticipation », et se décompose en quatre sous-actions, qui elles-mêmes déclinent les trois catégories d'études de défense : les études prospectives et stratégiques (EPS), les études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) et les études amont (EA), principale composante du programme en matière de prospective.
La sous-action 7.1 « Analyse stratégique » finance principalement les études prospectives et stratégiques commandées à des instituts de recherche afin de répondre aux besoins d'expertise des différents organismes du ministère dans les domaines politico-militaires, géopolitiques, économiques et sociaux. Si les EPS constituent le volet le plus visible de la mission de la DAS, la sous-action 7.1 recouvre également une contribution au renforcement de la visibilité de l'action prospective à travers le budget d'étude de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), les subventions à la publication ou le programme « Personnalités d'avenir défense ». Cette sous-action représente, en 2015, 6,12 millions d'euros en AE et en CP, soit une stabilité en AE et une baisse de 12 % en CP.
La sous-action 7.2 « Prospective des systèmes de forces » regroupe les activités destinées à identifier les besoins opérationnels, à orienter et à exploiter les études de défense pour éclairer les choix ultérieurs en matière de capacités opérationnelles. Elle est donc un instrument essentiel pour la planification et la programmation. Il s'agit principalement des études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) éclairant les réflexions en matière d'équipement et d'emploi des forces. Pilotées par l'EMA, ces études identifient les besoins militaires afin de préparer les opérations d'armement en conséquence. Leur budget, en 2015, se monte à 20,81 millions d'euros ; il reste donc stable par rapport à 2014.
Les sous-actions 7.3 et 7.4 forment l'agrégat « Recherche et Technologie » ; à l'enveloppe allouée aux études amont s'ajoutent les subventions de recherche et technologie qui, avec un montant de 863,7 millions d'euros, restent stables par rapport à 2014.
Depuis 2014, la gouvernance des études amont est assurée, au sein du ministère, sur la base d'une segmentation de la recherche scientifique et technologique en agrégats sectoriels présentant une cohérence accrue en termes d'objectifs capacitaires, industriels et technologiques. De ce fait, les crédits ne sont plus répartis par systèmes de force mais par domaines sectoriels – aéronautique et missiles, information et renseignement ou secteur naval.
En cohérence avec la LPM, de nouvelles orientations pour les travaux de science, recherche, technologies et innovation (S&T) au sein du ministère ont été approuvées par le ministre au premier semestre 2014. Elles sont détaillées dans le document d'orientation des travaux de S&T pour cette période.
Les études représenteront, en 2015, 55 % du volume financier du programme 144, soit respectivement 743 millions d'euros en AE et 739 millions en CP. Les crédits qui leur sont associés sont en légère diminution, de moins de 1 % en CP par rapport à l'année dernière.
J'en viens au régime d'appui pour l'innovation duale (RAPID), mis en place en 2009 pour les PME et étendu en 2011 aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) : dans le cadre du pacte Défense-PME mis en place en 2013, les crédits qui lui sont consacrés ont été augmentés de 25 % en trois ans. Le montant programmé du dispositif s'élève donc à 50 millions d'euros en 2015, contre 45 millions en 2014.
La sous-action 7.4 « Soutien et subventions » recouvre les subventions octroyées aux opérateurs qui participent à des études et des recherches en matière de défense. Il s'agit des subventions pour charges de service public des écoles de la DGA – Polytechnique, École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA), ENSTA Bretagne et Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE) – ; s'y ajoutent, à partir de 2015, les ressources correspondant à la masse salariale des élèves de l'« X ». Ces subventions relèvent, depuis 2014, des dépenses de fonctionnement hors effort de R&T, auquel elles ne sont donc plus imputées. Les subventions relevant de la sous-action 7.4 sont, d'autre part, celles versées à l'ONERA et à l'Institut Saint-Louis, qui, elles, sont comptabilisées en R&T.
La dotation globale de cette sous-action représente, en 2015, 264,2 millions d'euros en AE et en CP ; à périmètre constant – et compte tenu du versement, en gestion, de 7 millions supplémentaires à l'ONERA en 2015 –, elle est donc en hausse de 2,4 % par rapport à 2014.
Ainsi corrigée, l'évolution programmée des dépenses de fonctionnement de l'action 7 satisfait les objectifs d'économies décidées en programmation budgétaire triennale 2015-2017 pour les opérateurs de l'État et se traduit, à périmètre constant, par une diminution de 2 % des subventions pour charges de service public versées aux établissements publics sous tutelle.
Quant à l'action 8, son périmètre a été réduit aux seuls crédits des actions de coopération et d'influence internationales après la suppression de la sous-action « Soutien aux exportations », dont les crédits de promotion des exportations sont transférés au programme 146. Le périmètre des crédits destinés à la fonction relations internationales comprendra donc en 2015 le financement des actions de coopération internationale : aide versée par la France au Gouvernement de la République de Djibouti ; crédits couvrant la part française du budget de fonctionnement de l'Agence européenne de défense (AED) ; contribution du ministère de la Défense aux actions de coopération bilatérales et multilatérales, notamment dans le cadre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes (PMG8) ; enfin, participation française aux actions liées à l'élimination des mines anti-personnel.
L'action 8 recouvre également les crédits d'activité de la nouvelle DGRIS – pour les dépenses de déplacement, de représentation et de documentation spécialisée – et les crédits de fonctionnement – auparavant répartis entre l'EMA et la DGA – des postes permanents à l'étranger (PPE).
En crédits de paiement, le budget de cette action se monte à 35 millions d'euros, chiffre comparable, à périmètre constant, à celui de 2014. Cette stabilité tient en premier lieu à celle de la contribution versée au Gouvernement de la République de Djibouti, en second lieu aux mesures structurelles d'économies portant sur les dépenses de fonctionnement courant des missions de défense – puisque la diminution des PPE compense la hausse des frais de déplacements et de missions qu'elle induit –, et, enfin, à la stabilité de la participation du ministère au PMG8, ramenée depuis 2014 à environ un million d'euros par an.
J'en viens à la fin de gestion 2014, qui conditionne naturellement l'entrée dans l'exercice 2015 et la poursuite des objectifs de la LPM. S'agissant du titre 2, le programme 144 devrait, selon les prévisions les plus récentes, dégager un excédent de 18,4 millions d'euros. Cela facilitera, en 2015, l'entrée en gestion des anciennes structures et la poursuite des objectifs fixés par la LPM en termes de recrutement pour les fonctions renseignement et cyberdéfense.
Hors titre 2, le programme 144 devrait engager, cette année, environ 1 340 millions d'euros – chiffre provisoire – et payer 1 332,7 millions, réserve comprise. Cette dernière représente cependant une hypothèque sur la ressource, donc sur le niveau de consommation, à hauteur de près de 84 millions en AE et en CP.
Comme les années précédentes, l'enjeu de la fin de gestion 2014 réside donc, pour les paiements, dans la levée de la réserve organique. Une levée complète de la réserve permettrait de diminuer le report de charges sur 2015 de près de 25 millions d'euros par rapport à 2014 ; à l'inverse, en cas d'annulation de l'intégralité de la réserve, le report de charges serait accru de près de 60 millions, préemptant une partie des ressources ouvertes au PLF pour 2015. Cette aggravation du report de charge pourrait compromettre la soutenabilité à moyen terme des investissements dans la recherche et le renseignement, partant l'exécution de la LPM dans ces domaines. C'est là un grave sujet de préoccupation.
Parce qu'il concentre l'essentiel de la fonction stratégique « Connaissance et anticipation », le programme 144 confère à la Défense les justes moyens d'une appréciation aussi complète et autonome que possible de notre environnement international. Il permet aussi d'assurer la bonne articulation entre l'expression des besoins stratégiques et la construction de programmes d'armement adaptés. L'enveloppe dévolue par la LPM permet de répondre à cette ambition, et le PLF pour 2015 s'inscrit dans la même perspective.