Permettez-moi de vous donner quelques précisions car je ne voudrais pas que votre assemblée ait l’impression que les choses sont vagues et sans assurance.
Vous souhaitez modifier la clause de sauvegarde prévue au II de l’article 209 B du code général des impôts. Le résultat en serait que, pour échapper à l’imposition des entités qu’elles détiennent dans un autre État de l’Union européenne où elles bénéficient d’un régime fiscal privilégié, les entreprises françaises devraient démontrer l’absence d’objet ou d’effet principalement fiscal.
Vous prévoyez l’application de cette modification à compter de l’entrée en vigueur d’une disposition adoptée par l’Union européenne poursuivant le même objectif.
Le Gouvernement partage votre volonté de lutter de manière effective contre l’évasion fiscale. C’est précisément pour cette raison d’effectivité que la voie que vous proposez ne me semble pas adaptée.
Je vous rappelle d’abord que les dispositions de l’article 209 B ont déjà fait l’objet d’un durcissement à l’été 2012. Dans ce cadre, nous avons été aussi loin que possible au regard des contraintes européennes qui s’imposent à nous.
Ensuite, pour comprendre votre amendement, il faut savoir que la Cour de justice de l’Union européenne apprécie de manière très restrictive la possibilité d’appliquer des dispositifs anti-abus à l’intérieur de l’Union européenne. Elle a ainsi jugé le renversement de la charge de la preuve possible, mais dans des situations caractérisées par des indices sérieux de fraude.
Ce principe a été mis en oeuvre par le Conseil d’État dans le cadre de l’exit tax – article 167 bis du code général des impôts –, précisant ainsi que l’obligation faite au contribuable de démontrer « l’absence de montage destiné à éluder exclusivement l’impôt, sans que l’administration fiscale n’ait à fournir, à cet égard, le moindre indice d’abus, va au-delà de ce qu’implique normalement la lutte contre la fraude fiscale ». Or l’article 209 B présente un champ d’application large, puisqu’il porte sur toutes les filiales situées dans des pays ayant un taux d’imposition inférieur de moitié à celui pratiqué par la France.
Vous proposez donc que cette modification ne devienne applicable que lorsque l’Union européenne aura adopté une disposition similaire poursuivant le même objectif. Il ne me semble pas possible de suivre cette approche, même si je comprends votre hâte, bien légitime, de faire avancer les choses. À mes yeux, la lutte contre l’optimisation fiscale est un domaine dans lequel l’effectivité des mesures, leur caractère opérationnel et leurs résultats concrets sont essentiels. C’est une exigence de crédibilité dont il ne faut pas s’écarter ; nous le savons et l’avons constaté à plusieurs reprises !
Par ailleurs, il s’agit de sujets complexes. Il est très important de savoir comment seront redéfinis les principes internationaux, ce à quoi nous travaillons activement – des rendez-vous auront lieu dans les prochains jours –, avant d’analyser les conséquences que nous pouvons en tirer pour renforcer notre propre législation contre l’optimisation fiscale.
Cet amendement ne permettra pas de faire progresser les choses. La situation est suivie de très près, elle évolue et devrait même changer à très court terme. Je ne veux pas donner le sentiment que la France en général, et le Gouvernement en particulier, puissent être d’une frilosité excessive. Cette attitude résulte d’une expérience que nous avons vécue ensemble. L’adoption de cet amendement serait contre-productive, ce qui serait dommage puisque nous partageons le même objectif. C’est pourquoi je préfère que le vote soit réservé.