Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 14 octobre 2014 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Madame la ministre, je souhaite, au nom du groupe écologiste, vous poser plusieurs questions. Durant deux ans, nous avons reçu plusieurs fois la précédente ministre et attendions tous ici plusieurs projets de loi, notamment sur la création et le patrimoine. Pouvez-vous nous en dire plus sur le calendrier d'examen du projet de loi global dont vous nous avez parlé ?

Par ailleurs, notre commission a examiné une proposition de loi concernant la protection des sources des journalistes en janvier dernier : quand le Gouvernement l'inscrira-t-il à l'ordre du jour de la session parlementaire ?

En outre, la révolution technologique que nous traversons nécessite des adaptations de nombreuses lois, tout en respectant l'esprit qui est à l'origine du droit d'auteur issu de la Révolution française. Pour paraphraser Jérémie Zimmermann, le droit d'auteur a été conçu comme un droit d'équilibre entre les auteurs, les intermédiaires et leur public. Comme le disait Isaac Le Chapelier, rapporteur de la première loi sur le droit d'auteur en France en 1791, « le fruit de la pensée d'un écrivain est une propriété d'un genre tout différent des autres propriétés. Lorsqu'un auteur fait imprimer un ouvrage ou représenter une pièce, il les livre au public, qui s'en empare quand ils sont bons, qui les lit, qui les apprend, qui les répète, qui s'en pénètre et qui en fait sa propriété. » La propriété passe de cette façon des mains de l'auteur à celles de son public.

C'est ainsi qu'est née la notion de domaine public. Après une durée de quelques années après la création, l'auteur perdait ses droits sur son oeuvre au profit de la société. Cette durée n'a fait que se prolonger, et atteint aujourd'hui 70 ans après le décès de l'auteur – ce qui nous amène à une durée moyenne de 140 ans après la création. Le compromis entre les droits de l'auteur et ceux du public est maintenant clairement déséquilibré, alors que le domaine public est une source immense de création. Ainsi, la majorité des films de Walt Disney de notre enfance ont été adaptés à partir d'oeuvres du domaine public, tout comme Sacré Graal des Monty Pythons, ou plus près de nous Kaamelott. Et le mash-up dont vous parliez est bien la réutilisation d'oeuvres existantes aboutissant à des oeuvres originales.

De plus en plus souvent, le domaine public est attaqué par d'autres droits, notamment celui des marques. Ainsi, les descendants d'Arthur Conan Doyle tentent d'interdire les adaptations de Sherlock Holmes en prétendant détenir un droit sur une marque. C'est pourquoi nous souhaitons connaître votre point de vue sur le domaine public des oeuvres de l'esprit et sur la protection juridique que vous entendez lui accorder. Le projet de loi sur la création devait aussi répondre au défi du financement global de celle-ci. Cela concerne par exemple la rémunération pour copie privée (RCP). Les professionnels ne sont officiellement pas assujettis à la copie privée, ce qui est logique. Le système actuel, dans lequel ils doivent la payer, puis se faire rembourser, est une aberration. En effet, sur une fourchette estimée entre 39 et 57 millions d'euros annuels, seuls 188 000 euros ont été remboursés par an. Il y a certes eu 1 900 conventions d'exonération signées par des entreprises pour ne pas payer, mais elles ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan des millions d'entreprises, de collectivités, d'associations et d'autres organisations de notre pays. Ne pensez-vous pas qu'il serait plus simple d'exonérer tout le monde, sauf les particuliers, à la source, c'est-à-dire sur la facture ?

De plus, le fonctionnement de la commission RCP pose problème. Avez-vous des pistes d'évolution de cette instance ?

Plusieurs voix s'élèvent au sein de celle-ci pour une harmonisation des barèmes entre les pays européens : qu'en pensez-vous ?

S'agissant de la redevance TV, vous sembliez très réservée sur son augmentation alors que le Président de la République y paraît favorable. Qu'en sera-t-il ?

Nous recevions la semaine dernière le directeur général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), qui souhaite le durcissement de la lutte contre le partage, qu'il va même jusqu'à appeler « piratage ». Toutes les études montrent qu'une des principales causes de la copie non rémunérée est la déficience de l'offre légale, qui est très insuffisante en France. Si vraiment les internautes refusent de payer pour des oeuvres, pourquoi les distributeurs ont-ils si peur de l'arrivée de Netflix ? Vous avez d'ailleurs déclaré sur France Inter que Netflix ne faisait qu'utiliser les possibilités d'optimisation fiscale offertes par les lois européennes. Je suis tout à fait d'accord avec vous : ce sujet n'est pas du ressort de votre ministère. Avez-vous signalé ce grave problème d'harmonisation fiscale intra-européenne au ministre de l'économie et des finances ?

Il existe pourtant des mesures simples pour favoriser le développement de l'offre légale. Aujourd'hui, chaque plateforme doit négocier individuellement avec chaque détenteur de catalogue musical. Cela crée d'énormes disparités d'accès et une concentration très dommageable du secteur entre les mains de quelques acteurs. Que penseriez-vous de permettre à tout commerçant en ligne de vendre des contenus avec un catalogue grossiste public ? Enfin, la répression du partage a démontré son inefficacité. Comme la précédente ministre, vous voulez réduire le budget de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). Vous avez en outre détaché sa directrice juridique pour l'envoyer à Bruxelles dans le cadre des négociations sur le marché unique du droit d'auteur en Europe. Ne pensez-vous pas qu'il serait enfin temps de mettre fin à cette riposte graduée et de consacrer les millions d'euros concernés aux créateurs, dont aucun n'a jusque-là touché un centime ?

Pianolas, disques vinyles, radio, télévision, cassette audio, magnétoscope, MP3, chaque évolution technologique a provoqué de vives résistances avant qu'une façon de rémunérer les créateurs ne soit trouvée. Il est plus que temps de définir un compromis pour régler ce problème, comme l'ont fait en leur temps les licences de diffusion radio ou la rémunération copie privée. Quelles sont vos intentions à ce sujet ?

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