Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 14 octobre 2014 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur Herbillon, la loi sur l'audiovisuel a restitué au CSA le pouvoir de nomination des directeurs ou présidents de l'audiovisuel public, ce qui a été une mesure importante.

En outre, d'autres textes sont en préparation. Il s'agit de la proposition de loi de M. Michel Françaix sur la presse, qui tend notamment à rénover la gouvernance de l'AFP, champion français qu'il convient de soutenir, et à réformer la distribution de la presse. La profession doit pouvoir s'appuyer sur des règles claires, élaborées par le Conseil supérieur des messageries de presse, et une régulation renforcée, confiée à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse. Cette proposition vise également à créer un statut d'entreprise citoyenne d'information, permettant de consolider les financements participatifs et les investissements non immédiatement lucratifs autour de projets éditoriaux d'information politique et générale innovants. Le Gouvernement réfléchit à des mesures d'incitation fiscale dans le cadre d'une prochaine loi de finances pour accompagner ce nouveau régime d'entreprenariat, si la représentation nationale en vote le principe.

Quant au projet de loi sur la protection des sources des journalistes, il constitue un enjeu important pour le Gouvernement, même si je ne peux me prononcer pour l'instant sur le calendrier de son examen.

Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, qui est ambitieux, sera présenté au premier trimestre 2015 et ne comportera pas de dispositions spécifiques à l'audiovisuel. Il contiendra en revanche des dispositions sur deux pans de mon action – la création et le patrimoine –, ce qui montre que je ne m'intéresse pas qu'à l'audiovisuel et au numérique ! Le débat sur ces deux grandes politiques publiques permettra de souligner leur cohérence et leur complémentarité. Il faut tout à la fois que la loi ait une portée normative – en tant que magistrate, j'y veillerai tout particulièrement – mais aussi qu'elle constitue un geste politique, affirmant le caractère national de notre politique culturelle et permettant l'adaptation d'un certain nombre de principes fondateurs.

J'ai d'ailleurs souhaité définir, dès ma prise de fonctions, une stratégie nationale en faveur de l'architecture, car je suis convaincue que cette discipline a un rôle majeur à jouer pour nos paysages urbains, qu'une trop faible proportion de la construction en France se fait en recourant aux architectes et qu'il faut démocratiser l'accès à ceux-ci, tout en agissant sur la formation et la projection à l'international de ces professionnels, dont certains sont très connus.

Si je n'ai pas encore eu le temps de mettre en oeuvre d'actions concrètes, les deux rapports très riches de M. Vincent Feltesse et de M. Patrick Bloche seront des sources d'inspiration pour le projet de loi et d'autres dispositions non législatives que je serai amenée à prendre.

S'agissant du régime des intermittents, je répète que les artistes et techniciens du spectacle sont des acteurs indispensables de notre modèle culturel : il convient donc de travailler d'arrache-pied à la pérennisation de ce système – ce que fait la médiation en cours. Il n'y a pas, dans le projet de loi que je viens d'évoquer, de dispositions sur ce sujet car je souhaite que cette médiation prenne toute sa place et propose des solutions durables. Je consulte également les partenaires sociaux sur les pistes envisageables. Un certain nombre de principes devront guider les choix du Gouvernement : ce régime doit rester fondé sur la solidarité interprofessionnelle, ce qui implique des droits et des devoirs, et il convient de respecter le rôle des partenaires sociaux, dont la signature permet à ce système d'exister. Il faut faire le bilan sans tabou des évolutions passées et de l'impact des réformes conduites dans ce domaine. Notre but doit être d'assurer la viabilité économique du régime tout en réduisant la précarisation des bénéficiaires et en encourageant l'emploi permanent. Le régime doit aussi prendre en compte la réalité du travail de ces professionnels, notamment en matière d'éducation artistique et culturelle. Je suis tout à fait favorable à ce qu'il valorise les activités pédagogiques menées dans le cadre périscolaire ou de l'enseignement.

Madame Genevard, les enquêtes et statistiques du ministère mettent bien en évidence une concentration forte des équipements sur l'Île-de-France. Je souhaite donc, dans le cadre de la réforme territoriale, travailler au sein du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) pour concilier un soutien réaffirmé à notre réseau de centres dramatiques et chorégraphiques et un dialogue ouvert, afin que les différents niveaux d'acteurs publics ne soient ni dans une surenchère, ni dans un désengagement massif, mais trouvent des partenariats. Il convient d'assurer une présence forte de l'État dans les territoires, en lien avec les collectivités, et de construire un nouveau modèle d'organisation territoriale.

Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale reconnaît la culture comme une compétence partagée, ce qui préserve la spécificité d'organisation du champ culturel, la diversité des implications, et donne toute sa place aux engagements politiques. J'aurai à coeur de mener une réflexion avec les collectivités, permettant d'assurer les missions indispensables de l'État et d'accompagner ces collectivités dans l'animation de l'action culturelle dans les territoires. Je procède d'ailleurs actuellement à la « revue des missions » du ministère avec l'ensemble des DRAC et les représentants des collectivités pour voir de quelle manière trouver les meilleures coopérations entre celles-ci, l'État et les institutions.

L'éducation artistique et culturelle (EAC) est importante, car former les jeunes consiste aussi à former le public et les artistes de demain. Il s'agit d'un enjeu de formation des talents mais aussi d'égalité, dans la mesure où la culture est socialement discriminante. Nous souhaitons donc renouveler notre approche de l'EAC, en l'adaptant aux pratiques nouvelles des jeunes.

Concernant les métiers d'art, je souhaite une politique très volontariste. J'avais commencé à y travailler lorsque j'étais en charge du commerce extérieur et du tourisme car j'y voyais un outil de rayonnement de savoir-faire incomparables, que le monde entier nous envie. Je désire continuer à le faire, en partenariat avec le ministère de l'industrie, l'Institut national des métiers d'art et Ateliers d'art de France. Beaucoup de professionnels souhaitent qu'on puisse mettre en avant ces métiers pour attirer des jeunes en formation et les valoriser à l'export.

La radio numérique terrestre (RNT) est une belle innovation mais les rapports de MM. Tessier et Kessler ont mis en évidence le coût élevé induit par la diffusion simultanée en numérique et analogique – le simulcast – pendant une dizaine d'années, qui ne peut être compensé par de nouveaux revenus. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement n'a pas souhaité que Radio France participe au démarrage de la RNT à Paris, Marseille et Nice. Il faut attendre le bilan de ce premier lancement, dans le cadre d'un rapport que le CSA doit rendre dans les prochaines semaines, pour envisager la suite.

S'agissant du CSA, le Président de la République n'a pas parlé de fusion avec l'ARCEP, mais seulement donné mandat au ministre chargé du numérique et à moi-même de travailler sur des modalités plus intégrées de régulation. Cette autorité a vu l'un de ses pouvoirs historiques de nomination restauré dans le cadre de la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public. Une disposition prévoit également une plus grande prise en considération des équilibres économiques de l'audiovisuel par le CSA, qui devra davantage rendre compte de son action de régulation dans son rapport annuel.

Concernant les grands projets, nous sommes en train de réaliser Lascaux IV, sachant que la part de l'État n'était pas budgétée et qu'il a fallu en prévoir le financement – comme d'ailleurs pour beaucoup d'autres projets que vous avez évoqués, tels le Centre national de la musique (CNM) ou la Maison de l'histoire de France. Quant au projet de la Philharmonie de Paris, il est en train de s'achever : il s'agit d'un établissement magnifique, qui est une merveille architecturale, dotée d'une programmation ambitieuse et d'actions pédagogiques innovantes ouvertes sur des départements limitrophes de Paris. Je le soutiens fortement et ne laisserai personne gâcher son ouverture. Un récent conseil d'administration, dont l'État et la ville sont membres, a permis de voter le budget de fonctionnement de 2014. L'État s'est engagé à prendre en charge le financement des travaux et à faire en sorte que celui-ci soit assuré, car cette salle fera beaucoup pour l'attractivité culturelle de la capitale.

Sur la filière musicale, puisque le projet de CNM ne peut être mis en oeuvre et pour en avoir beaucoup discuté avec l'ensemble des acteurs, il est important d'accompagner un secteur qui commence à se redresser et à voir le bout du tunnel de la transition numérique. La demande de la filière est de pouvoir consolider en fonds propres de très petites entreprises (TPE), notamment de production. Je travaille à un plan pour cette filière, qui fait partie de mes priorités. J'entends ainsi soutenir les investissements, c'est-à-dire la prise de risque artistique, et suis donc favorable à la prorogation du crédit d'impôt pour la production phonographique, qui est nécessaire, même s'il doit être aménagé pour mieux répondre aux besoins des producteurs et des PME-TPE. Si le fonds d'avances remboursables aux industries musicales géré par l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) est un bon instrument, ses conditions d'intervention sont à l'étude. J'ai souhaité que le plan de soutien au label TPE et PME et aux plateformes de musique en ligne soit mis en oeuvre : beaucoup de dossiers ont été reçus, témoignant d'une forte demande de la profession. Et une réflexion est également en cours sur la protection des artistes interprètes pour permettre le développement du marché et de l'offre légale dans le numérique.

Les médias ont en effet un rôle prescripteur important pour la musique et assurent des débouchés commerciaux aux productions des artistes : le rapport Bordes a proposé à cet égard beaucoup de pistes intéressantes, que mes services sont en train d'examiner et que je souhaite voir mises en oeuvre dans un futur proche.

Concernant l'audiovisuel public, le Président de la République a indiqué, lors du colloque du CSA, qu'une réflexion pouvait être engagée sur la modernisation de son financement au-delà de 2015. Le projet de loi de finances pour 2015 ne comporte donc pas de disposition modifiant l'assiette ou les modalités de calcul de la redevance. Il est vrai que nos concitoyens regardent de plus en plus la télévision sur internet ou d'autres supports, ce qui légitime une réflexion sur la modernisation de ce prélèvement. L'objectif n'est pas d'augmenter le rendement mais de moderniser l'assiette pour la rendre plus juste.

S'agissant de l'exception culturelle, ce modèle vertueux nous permet de financer la création audiovisuelle et cinématographique grâce à des mécanismes de taxe sur les tickets de cinéma ou de contribution d'un certain nombre de diffuseurs, de distributeurs ou de prestataires internet. Mais de nouveaux acteurs viennent concurrencer les acteurs traditionnels sans être soumis aux mêmes règles de promotion de la diversité, ni aux mêmes règles fiscales ou aux obligations de financement de la création. Nous devons donc à la fois consolider notre modèle d'exception culturelle – faute de quoi nous n'aurions plus de cinéma, de production ou d'espace de diffusion, comme dans certains pays – et inclure ces nouveaux acteurs, qui profitent aussi de la création, dans le mécanisme de régulation et de financement. Il s'agit d'un enjeu européen.

Cela fait deux ans et demi que je réfléchis à ces questions et notamment, depuis quelques mois, avec Jean Tirole, notre nouveau Prix Nobel d'économie. J'ai lancé avec l'École d'économie de Toulouse une réflexion pour essayer de mieux appréhender toute cette chaîne de valeurs qui se déploie aujourd'hui dans l'économie de la donnée et que l'on a du mal à appréhender, tout comme les services fiscaux. J'en ai parlé aux ministres chargés des finances et du budget, ainsi qu'au Premier ministre et au Président de la République : c'est un enjeu majeur si on veut sauvegarder le budget du ministère de la culture et la capacité de l'État à lever l'impôt. Aujourd'hui, des centaines de millions, voire des milliards d'euros de recettes fiscales échappent au budget de l'État, ce qui est inacceptable. Or beaucoup de nos collègues européens sont maintenant sensibilisés à cette question et souhaitent que nous puissions entreprendre des actions permettant un traitement équitable entre acteurs européens et extra-européens. Cela permettrait de reconstruire la clé de voûte qui tient l'ensemble de notre système et conditionne le dynamisme de la création en France et en Europe.

Quant au budget de la HADOPI, il a été discuté entre cette autorité et les ministères de la culture, de l'économie et du budget. Il est vrai que l'an dernier, un prélèvement a été opéré sur sa trésorerie, l'obligeant à puiser dans ses réserves. Je n'ai pas d'approche idéologique de cette question : j'ai rencontré hier sa présidente et je tiens à ce que cette autorité puisse remplir ses missions. Je considère que la pédagogie et la réponse graduée sont des éléments importants et n'ai jamais caché que la promotion de l'offre légale était cruciale. Beaucoup des propos du rapport de Mme Mireille Imbert-Quaretta me paraissent très intéressants et la HADOPI pourra mettre certaines de ses propositions en oeuvre : je suis en train de voir celles qui exigent des aménagements législatifs ou requièrent un dialogue avec le ministère de la justice. L'établissement et la publication de listes noires me paraissent par exemple entrer dans le cadre des compétences de la HADOPI. Pour le reste, la discussion budgétaire pourra être l'occasion d'évoquer les difficultés rencontrées par cette autorité.

Pour les autres questions auxquelles je n'ai pu répondre, je propose de vous faire parvenir une réponse écrite, qu'il s'agisse notamment du droit d'auteur, de la lutte contre le piratage, du rayonnement international de la fiction, des rapports entre producteurs et diffuseurs, de la chronologie des médias, de la copie privée ou du traité transatlantique.

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