Intervention de Sabine Fourcade

Réunion du 7 octobre 2014 à 16h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j'axerai mon propos sur ma double compétence, à la fois comme déléguée interministérielle, chargée de l'économie sociale et solidaire et comme directrice générale de la cohésion sociale, chargée à ce titre de la prise en charge et de l'accompagnement des personnes vulnérables – personnes en situation d'exclusion, personnes âgées ou handicapées – qui sont très largement prises en charge par des associations.

J'organiserai mon propos en trois parties : après vous avoir rapidement présenté le secteur associatif, j'en rappellerai les difficultés et je vous parlerai des réformes en cours – parmi lesquelles celle de la loi sur l'économie sociale et solidaire – qui nous semblent de nature à favoriser le développement du modèle associatif.

Le modèle associatif est le type d'organisation le plus représentatif dans le secteur social et médicosocial, chargé de l'accompagnement et de la prise en charge des publics vulnérables. Les associations de ce secteur ne représentent que 10 % des 1 300 000 associations de notre pays, mais 45 % de leur budget total. En effet, ce sont des associations de grande taille – de plus en plus souvent des entreprises associatives – qui emploient des personnels, qui ont de gros financements et bénéficient d'importants fonds publics. De fait, 45 % de leurs ressources sont des financements publics.

Le monde associatif est représenté différemment, suivant les publics concernés, au sein du secteur social et médicosocial. Ce sont presque exclusivement des associations qui prennent en charge les personnes handicapées et les personnes en situation d'exclusion. En revanche, elles ne sont plus que 78 % pour les prises en charge d'aide sociale à l'enfance – une partie de l'ASE est publique – et 40 % pour les prises en charge des personnes âgées. La prise en charge de ces personnes âgées se répartit de la façon suivante : une petite moitié dans des structures publiques (anciens hôpitaux locaux ou structures relevant des CCAS), un quart dans les associations et un quart dans le secteur privé lucratif.

On peut tenir compte également de la modalité de la prise en charge, en établissement ou en service. La politique du Gouvernement consiste à développer la part des services. Il s'agit de maintenir les personnes âgées le plus longtemps possible à domicile – c'était d'ailleurs l'un des axes du projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement – et de favoriser au maximum l'intégration des personnes handicapées dans la vie sociale. Ainsi, 74 % du total des prises en charge avec hébergement et 86 % des prises en charge sans hébergement sont assurées par des associations.

Quasiment partout, les services sont rendus en majorité par des associations sur l'ensemble du champ. Le fait est ancien. La prise en charge des personnes vulnérables a été d'abord le fait d'associations, d'initiatives personnelles, caritatives ou individuelles. C'est d'ailleurs l'origine de l'action sociale. Les associations ont donc toute légitimité pour prendre en charge les publics fragiles. Certes, elles reçoivent pour cela des financements publics. Mais leur engagement – y compris celui des bénévoles – est très important et participe à la qualité de cette prise en charge.

Aujourd'hui, les associations développent de plus en plus souvent des modèles de gestion d'entreprise. On parle beaucoup d'entrepreneuriat social ou d'entreprises associatives. Le fait d'être une association n'empêche pas de développer des modèles de gestion tout à fait rigoureux et qui n'ont rien à envier au domaine privé lucratif. C'est le cas des grandes associations du domaine social et médicosocial.

Une particularité mérite d'être relevée : lorsqu'elles prennent en charge des personnes vulnérables, ces associations ont un rôle à la fois de gestion et un rôle tribunicien, puisqu'elles représentent à la fois des personnes vulnérables et ceux qui les prennent en charge. De ce fait, les pouvoirs publics n'ont pas avec elles une relation de donneur d'ordre à opérateur, mais une relation partenariale avec des acteurs qui ont une parole propre en tant représentant les intérêts des personnes. C'est une relation parfois plus complexe, mais tout à fait intéressante et enrichissante.

Une autre particularité du secteur associatif dans le monde social et médicosocial concerne les conventions collectives : d'une part il n'y a pas de convention collective étendue dans le domaine social et médicosocial, au point que l'on peut parler d'un « émiettement » important ; d'autre part, les relations entre les partenaires sociaux doivent donner lieu à agrément pour que les conventions collectives puissent s'appliquer.

D'une part, on peut parler d'un « émiettement » des conventions collectives.

Deux branches coexistent : la branche « sanitaire, social et médicosocial » et la branche de l'aide à domicile. La branche « sanitaire, social et médicosocial » qui regroupe l'ensemble des établissements est une branche privée non lucrative, qui est placée sous l'égide de l'UNIFED (l'Union nationale des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, social et médicosocial). Elle est elle-même partagée entre plusieurs conventions collectives, dont les deux plus importantes sont celles de 1966 et de 1951. En revanche, la branche de l'aide à domicile est arrivée à se regrouper dans une seule convention collective étendue.

Ainsi, dès qu'on sort du secteur de l'aide à domicile, il n'y a plus que des conventions collectives différentes d'un établissement à l'autre, ce qui rend le dialogue plus complexe, et surtout donne au secteur un poids moins important que s'il n'y avait qu'une seule convention collective étendue.

D'autre part, si les partenaires sociaux sont libres de leurs négociations et de leurs accords, leurs accords ne peuvent s'appliquer que s'ils sont agréés par l'État. Cette compétence d'agrément est instruite dans ma direction, et les agréments sont signés par la ministre des affaires sociales.

Ce système d'agrément s'explique par le fait que la masse salariale des associations qui gèrent des établissements et services médicosociaux représente entre 70 et 80 % de leur budget. Il y a donc un lien très fort entre le financement qui doit être mis en place pour couvrir les charges de ces établissements, et les évolutions salariales. Ce système permet d'éviter que les négociations aboutissent à des accords qui ne soient pas financés par la puissance publique ou, à l'inverse, que la puissance publique soit contrainte de suivre des accords qui auraient été pris entre partenaires sociaux d'une façon qui serait insoutenable pour les finances publiques.

Ce système est aujourd'hui obligatoire, dans la mesure où les modalités de financement des associations se font sur la base des charges. Si l'on changeait de système de financement et que l'on passait à un système fondé sur des référentiels, l'utilité de l'agrément pourrait se poser. Mais pour le moment, on est obligé de vérifier que les charges évoluent d'une manière soutenable pour les finances publiques.

J'en viens à la deuxième partie de mon propos : les difficultés des associations, qui sont aujourd'hui bien connues.

Ce sont essentiellement des difficultés de financement liées évidemment au manque de fonds propres des associations, et donc au système associatif lui-même, mais aussi au fait que les associations du monde social et médicosocial sont financées par des financements publics qui, aujourd'hui, ont tendance à se tendre.

Ce mécanisme de tension des financements dépend du type de financement. Ma direction est ainsi en relation avec deux grands types d'associations :

D'une part, les associations qui gèrent des établissements ou services sociaux ou médicosociaux, qui sont donc dans un système d'autorisation de l'exercice pour répondre à un certain nombre de prestations. Pour ces prestations, ils ont droit à une tarification qui est prévue par les textes – notamment par le code de l'action sociale et des familles. Dans ce cadre, les financements des établissements, qui sont en majorité des associations, sont tarifés pour tenir compte de leurs charges.

D'autre part, les associations « tête de réseau » qui représentent des usagers ou d'autres grands secteurs de l'action sociale, et qui sont subventionnées. Leurs moyens ont tendance à se tendre. En effet, si l'ensemble des crédits sociaux a continué à augmenter dans les dernières années malgré les difficultés budgétaires, c'était essentiellement pour répondre à des dépenses obligatoires – prestations ou dépenses d'établissements et de service. Les subventions « libres » servies aux associations ont tendance, sinon à diminuer, du moins à être plus difficiles d'accès.

Reste un secteur dans lequel les associations qui prennent en charge les personnes ne relèvent pas toutes du code de l'action sociale et des familles : celui de la lutte contre l'exclusion, et plus précisément l'hébergement des personnes sans abri. À côté des établissements qui relèvent du code de l'action sociale et des familles – essentiellement les CHRS (centres d'hébergement et de réadaptation sociale), existent en effet des établissements et de services qui sont financés par un système de subventions, avec toutes les difficultés que cela peut entraîner : des subventions qui arrivent tard dans l'année, ce qui peut se traduire par des difficultés de trésorerie, et une inconnue quant à la pérennité de ces subventions.

Dans le cadre de la loi ALUR (loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) le Gouvernement a pris l'engagement de déposer à la fin de l'année 2014 un rapport permettant d'étudier selon quelles modalités un statut unique pourrait être mis en place pour l'ensemble des établissements et services accueillant des personnes sans abri ou mal logées ; ce rapport est en cours d'étude, en lien avec l'ensemble du secteur et des associations concernées.

Toujours à propos des difficultés rencontrées par le secteur associatif, je voudrais m'arrêter un instant sur les difficultés propres au secteur à domicile. Ce secteur est soutenu par l'État et l'ensemble des financements publics. Depuis 2012, un Fonds de restructuration a mobilisé 130 millions d'euros et permis de le soutenir. Mais il est vrai qu'il est actuellement en difficulté après avoir longtemps été un secteur créateur d'emplois. Un comité de refondation de l'aide à domicile, coprésidé par l'État et par l'Assemblée des départements de France est en train de travailler sur les prestations rendues par les services d'aide à domicile qui prennent en charge les personnes vulnérables, et sur l'ensemble des modèles de tarification.

Cela m'amène à ma troisième partie sur les réformes en cours – ou à venir – pour développer l'ensemble du secteur associatif.

Je commencerai par évoquer la réforme de l'appel à projets qui peut être ressentie par les associations comme une difficulté. Ce n'est pas une provocation de ma part : je crois profondément que c'est une réforme intéressante.

Lorsque je parle d'appel à projets, je ne parle pas de l'ensemble des appels à projets qui peuvent, dans un certain nombre de situations, remplacer les subventions. Vous avez vu qu'à l'article 59 de la loi sur l'économie sociale et solidaire figure une définition de la subvention aux associations qui n'existait pas jusqu'à maintenant et qui permet de valoriser et de donner une existence juridique à la subvention – laquelle peut être destinée « à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit privé bénéficiaire ».

L'appel à projets, tel que nous l'avons mis en place, concerne les établissements ou services sociaux ou médicosociaux qui sont autorisés, et pour lesquels les créations de places nouvelles étaient, jusqu'en 2010, développées uniquement à partir d'initiatives des porteurs de projets, donc des associations. Ces projets étaient examinés devant des instances locales qui s'appelaient les CROSM (comités régionaux de l'organisation sociale et médicosociale). Cela aboutissait à une opacité assez grande, puisqu'ils avaient tendance à trouver que les projets étaient de bonne qualité et à les approuver, même s'il n'y avait pas de financements en face. De ce fait, de nombreux projets de développement d'associations sociales ou médicosociales, malgré un avis positif du CROSM, avortaient.

La procédure d'appel à projets a renversé la logique. On part en effet du principe que, dans le cadre du développement de la prise en charge en établissement ou en service, l'important est la réponse aux besoins des personnes, et donc le schéma de développement fait par l'ARS ou par le département suivant le type de prise en charge – par le département pour les projets de vie des personnes handicapées, et par l'ARS et le département pour les personnes âgées. Les projets de schéma de développement reposent sur l'analyse du besoin sur le territoire et donnent lieu à des appels à projets qui doivent évoquer les besoins à satisfaire. Et c'est sur la base des besoins à satisfaire que les associations – ou tout autre organisme – proposent une réponse, en développant un projet qui doit être le meilleur et le plus innovant possible.

Nous avons beaucoup travaillé – et je crois que le combat n'est pas terminé – pour éviter que ces appels à projets ne conduisent à une standardisation et à une normalisation des réponses des associations. L'objectif est bien de mettre en avant l'initiative individuelle. Par ailleurs, nous souhaitons laisser la porte ouverte à des réponses innovantes et expérimentales. Enfin, nous avons prévu que les calendriers d'appels à projets soient connus à l'avance – au minimum sur l'année et si possible de façon pluriannuelle – afin que l'ensemble des porteurs de projets ait le temps de se préparer.

En outre, après trois ans de mise en place des appels à projets, un bilan a montré qu'un certain nombre d'ajustements étaient nécessaires. Je citerai la révision des seuils d'extension de capacité des établissements, la simplification de la procédure, et surtout la possibilité de passer un CPOM (contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens) avec l'organisme en cas de transformation d'activité.

Dans cette dernière éventualité, l'organisme ne serait pas remis en concurrence. En effet, si l'appel à projets semble adapté lorsqu'il s'agit une offre nouvelle puisqu'il permet de demander à tous types d'organismes les réponses qu'ils peuvent proposer à tel ou tel besoin, lorsqu'il s'agit d'une transformation d'activité, il n'y a aucun intérêt à s'adresser à d'autres organismes. C'est au porteur de projets avec lequel on travaille qu'il est demandé de transformer son activité pour mieux s'adapter aux besoins.

Un deuxième type de réforme devrait contribuer à moderniser et à améliorer les possibilités ouvertes aux associations. Je vise là l'ensemble des travaux que nous avons engagés sur la tarification. En effet, nos mécanismes de tarification sont pour beaucoup « historiques ». Comme les services de l'État, ou des départements, ou des ARS ne peuvent pas remettre à plat tous les ans l'ensemble des besoins des établissements, la couverture des charges se fait souvent par alignement sur un taux de reconduction qui est le même pour tout le monde.

Nous essayons donc d'encourager la conclusion de CPOM, qui permettent de définir pour trois ans les objectifs et les moyens, de manière à donner de la visibilité au gestionnaire et de pouvoir avoir un engagement réciproque sur des objectifs. Par ailleurs, nous développons sur les différents secteurs – personnes âgées, personnes handicapées, hébergement des personnes sans abri et aide à domicile – des référentiels d'activités et des référentiels de coûts pour « objectiver » la tarification et la rendre plus équitable. Ainsi, un organisme qui rend les mêmes prestations pour le même type de public peut compter sur le même niveau de dotation, quel que soit l'endroit du territoire où il se trouve.

Ensuite, la loi relative à l'économie sociale et solidaire a permis des avancées importantes. Je citerai, au-delà de la définition de la subvention, la diversification et la sécurisation des financements associatifs, avec des titres associatifs qui mériteraient d'être plus actifs, avec la pérennisation des DLA (dispositifs locaux d'accompagnement aux associations) et avec la possibilité de mutualiser les fonds territoriaux mutualisés, qui permet aux associations de mener conjointement des projets.

Au début du mois de septembre, j'ai rencontré Mme Corinne Delga, secrétaire d'État au commerce, à l'artisanat, à la consommation et à l'économie sociale et solidaire. Celle-ci veillera à ce que, sur l'ensemble de ces sujets, les décrets soient pris rapidement et ne dépendent pas tous de la DGCS. En ma qualité de déléguée interministérielle, j'ai participé à l'établissement d'un tableau récapitulant l'ensemble des décrets à prendre et précisant quelle administration est responsable de l'instruction de quel décret. Une réunion interministérielle permettra de s'assurer que chaque administration y travaille.

J'ajouterai que la loi favorise l'engagement associatif bénévole, à travers la validation des acquis de l'expérience bénévole. De cette façon, une activité bénévole pourra être reconnue dans un parcours professionnel. Cela me semble important.

Enfin, nous travaillons sur l'ouverture de prêts et de financements par BPI France et sur la prolongation, pour une année supplémentaire, du PIA (programme d'investissements d'avenir) avec le lancement d'un nouvel appel à projets.

Tels sont, rapidement exposés, les différents sujets sur lesquels nous travaillons pour essayer de développer, renforcer et pérenniser ce modèle associatif qui est extrêmement important pour le monde social et médicosocial et, au-delà, pour l'ensemble de notre économie.

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