Il est toujours délicat de répondre à une question portant sur la construction des tarifs. Indépendamment du fait que les tarifs doivent couvrir les coûts avec une marge raisonnable – sur le montant de laquelle il est permis de s'interroger – et de la nécessité pour tous les grands opérateurs de réaliser d'importants efforts de productivité, on sait que c'est l'empilement des différents paramètres du tarif qui a un effet inflationniste. Au stade de la production, de lourds besoins se font sentir en matière d'investissements – pas seulement pour l'avenir, mais aussi dès maintenant, notamment pour garantir la sûreté du parc nucléaire, avec un degré d'exigence renforcé depuis l'accident de Fukushima, En ce qui concerne les réseaux, le Tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) rémunère les gestionnaires de réseaux publics pour compenser les charges qu'ils engagent du fait du transport et de la distribution de l'électricité ; dans ce domaine, après une longue période de sous-investissement, on a retrouvé une dynamique d'investissement destinée à augmenter la qualité, ce qui a forcément un impact sur le tarif. Enfin, le tarif comprend aussi des taxes, dont la CSPE. Les trois composantes que je viens d'évoquer – production, réseaux, taxes – tendant à augmenter, il en est de même de leur addition, et rien ne permet d'espérer une inversion de courbe dans les années à venir.
À mon sens, le seul moyen pour que la facture cesse d'augmenter – voire baisse un peu –, c'est de mieux et moins consommer. L'un des principaux dispositifs prévus à cet effet par la loi est le plan de rénovation. On sait que le bâtiment représente 44 % de la consommation d'énergie en France : compte tenu de l'état du parc, il y a donc un travail considérable à faire durant des années, même en se fixant la plus ambitieuse des politiques – 500 000 logements à rénover, c'est énorme. Parallèlement, il faudra maintenir les politiques d'accompagnement, en particulier auprès des publics les plus précaires.
Cela dit, le souci de protéger le consommateur ne doit pas nous empêcher de lui dire la vérité, ce que je ne craignais déjà pas de faire du temps où j'étais délégué général du Médiateur de l'énergie, car à défaut d'envoyer les bons signaux, de mettre en oeuvre les politiques appropriées, on finit tôt ou tard par se trouver confronté à une situation inextricable. En l'occurrence, j'estime nécessaire que le juste prix soit payé par tous ceux qui peuvent le payer, comme le veulent la logique économique et le jeu de la compétition – tout en tenant compte des choix de politique publique, qui doivent être assumés. Refuser toute hausse des prix au motif que certains ne peuvent pas payer procède d'un raisonnement erroné : en fait, il faut partir du principe selon lequel ceux qui peuvent payer le juste prix – il y en a beaucoup, même si on a toujours tendance à considérer qu'on paye trop – doivent le faire, tandis que les personnes en situation de précarité énergétique ont, elles, vocation à bénéficier d'un traitement spécifique. Application du juste prix d'une part, traitement de la précarité énergétique par redistribution d'autre part, tels sont les deux principes qui nous permettront à la fois de couvrir les coûts et de faire preuve de solidarité – et c'est à la lumière de ces considérations que le milliard d'euros de la CSPE trouve sa justification.
« Mieux consommer, moins consommer », ai-je dit dans mon propos liminaire. De ce point de vue, nous sommes restés trop longtemps dans une logique où l'on n'attend qu'une chose du consommateur : qu'il paye sa facture de manière passive, sans se poser de questions. La hausse des prix consécutive à l'évolution du mix énergétique va avoir pour conséquence de modifier l'état d'esprit du consommateur, qui va progressivement devenir consommateur-acteur – aidé en cela par la mise en place de smart grid, et notamment du compteur intelligent Linky –, à la fois auto-producteur, auto-consommateur et effaceur. C'est la combinaison de ces éléments – intelligence technologique et des comportements d'une part, signaux-prix adaptés d'autre part – qui doit permettre de réduire le montant des factures à moyen terme.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, je suis effectivement plutôt favorable à un mécanisme de prime ex post – sur ce point, je laisserai Damien Siess vous donner des explications techniques plus détaillées.
Vous m'avez également demandé, monsieur Baupin, si le chèque énergie devait être affecté uniquement au paiement de la facture de chauffage. En tant que président de l'ADEME, je suis tenté de considérer qu'il est utile de financer tout ce qui peut permettre de consommer moins et mieux et que, de ce point de vue, l'aide à l'achat de matériel électroménager à basse consommation peut être une bonne idée – si ce n'est qu'un tel dispositif serait un peu compliqué à mettre en oeuvre. Tel qu'il est actuellement défini, le chèque énergie me paraît constituer un outil efficace au service d'une politique publique de redistribution, visant à ce que les personnes se trouvant dans les situations les plus précaires ne soient pas laissées au bord de la route.